Le Cameroun serait un des pays les moins xénophobes. Jacques Franquin, Le représentant résident du Haut commissariat aux réfugiés au Cameroun partage son expérience et sa vision du phénomène dans une interview accordée au Quotidien Mutations.
Le Cameroun vient de se doter d'une loi définissant le statut de réfugié. Pourquoi seulement aujourd'hui, alors que d'autres pays en disposent depuis longtemps?
Je pense qu'il y a plusieurs explications à ce retard. La raison essentielle c'est que le problème des réfugiés, dans ce pays, n'a jamais été considéré comme un problème de première essence. On a aujourd'hui à peu près 30.000 réfugiés sur ce territoire. Mais, c'est sûr que ces gens sont acceptés et tolérés de la même manière qu'un grand nombre d'étrangers qui vivent dans ce pays. Le Cameroun, de mon expérience africaine, est probablement l'un des pays les moins xénophobes du continent. C'est peut-être la diversité culturelle qui fait que les gens acceptent facilement ceux qui ne sont pas de la même origine qu'eux. Tout le monde vit en bonne harmonie. Donc, ce problème n'a jamais été posé comme un problème à régler d'urgence. Ce qui fait que le Cameroun s'est assis sur le fait qu'il avait déjà les lois internationales, a savoir la convention de Genève de 1951, qui est la pierre angulaire de tout ce qui concerne les réfugiés, et la convention de l'Organisation de l'unité africaine (Oua) de 1969. Ce qui fait que tout ce qui a été réalisé jusqu'aujourd'hui est considéré comme suffisant.
Qu'est-ce qu'une loi apporte de plus si, comme vous le notez, le Cameroun n'a pas mal à ses réfugiés?
Le gouvernement camerounais a très bien compris le problème. Il s'agit de se donner des armes claires qui permettent à la fois de faire la différence entre un véritable réfugié et les migrants économiques. Vous savez qu'aujourd'hui l'Afrique est aussi sujette à pas mal de migrations de populations venant de tous les coins du continent. Les communications sont beaucoup plus faciles aujourd'hui qu'il y a peut-être 20 ans. Il fallait aussi une loi pour faire la différence entre ce mouvement économique et les véritables réfugiés, des gens qui ont besoin d'une protection spécifique, parce qu'ils sont persécutés dans leur propre pays
Définir le statut de réfugié suffit-il? Est-ce qu'il faut réunir d'autres conditions pour que les réfugiés soient véritablement protégés?
Déjà, la loi très importante : elle définit d'abord la personne qui est persécutée dans son pays.
On entend beaucoup d'amalgames où le mot réfugié est aujourd'hui galvaudé dans tous les sens; où on considère comme réfugié n'importe quel étranger qui se trouve à côté de vous sur le territoire. Il est très important qu'on puisse protéger spécifiquement ces gens-là, savoir ce qu'ils sont en fonction de la définition de la convention de 1951.
Que dit cette convention?
Elle définit le réfugié comme toute personne persécutée dans son pays et qui a besoin de cette protection dans le pays d'asile. Ça, c'est important. Après, il y a une série de modalités qui permettent, selon la loi du pays, de mettre des barrières, des sauvegardes, justement de bien faire la différence entre les migrants et les réfugiés d'une part, mais aussi de protéger contre des gens qui abuseraient de cette situation et qui mettraient aussi en péril les relations avec les pays voisins; ce qui est très important
Dans un environnement où les réfugiés constituent parfois une menace pour la stabilité des Etats, que doit faire le Cameroun pour maintenir sa réputation de pays hospitalier tout en sauvegardant son équilibre socio-économique?
Ce qui est important de dire, c'est que le nombre de réfugiés est inférieur par rapport au nombre de migrants économiques ; officiellement les chiffres donnent à peu près 50.000 réfugiés au Cameroun, nous sommes d'ailleurs en train de revoir ce chiffre et de réorganiser tous les dossiers individuellement pour voir. Parce que beaucoup de gens reconnus comme réfugiés arrivent dans le pays, mais s'en vont ailleurs. Nous en perdons la trace et gardons leurs dossiers ouverts etc. donc il s'agit de revoir tout cela.
Cinquante mille, c'est beaucoup, et ça peut constituer une menace...
Dans la réalité, nous n'avons pas plus de 30.000 réfugiés sur le territoire aujourd'hui. Ça n'a rien à voir, comparé au nombre de migrants économiques dans ce pays. La rumeur dit qu'il y aurait entre trois et quatre millions de Nigérians vivant au Cameroun. Là, ça devient beaucoup plus sérieux. Je pense que le nombre de réfugiés a très peu d'impact sur l'équilibre socio-économique de ce pays. Ceci dit, il est important que le Cameroun ait des lois, en l'occurrence celles sur les réfugiés, qui permettent de distinguer clairement les personnes, de donner la protection, et puis de gérer le reste des étrangers comme il lui semble bon, en fonction de son équilibre socio-économique.
Les Camerounais ont lieu de s'inquiéter quand on voit des réfugiés en provenance des pays des Grands lacs transférer leur conflit interethnique en terre camerounaise...
Disons que la loi dispose d'un arsenal qui lui permet d'exclure des personnes du statut de refugié en cas de crimes contre l'humanité ou contre les droits de l'homme. Les autorités pourront prendre des mesures pour arrêter ce genre de choses. D'ailleurs, pour ce qui est des Rwandais, certains ont été arrêtés ici dans les années 1995-1996 après le génocide puis transférés au tribunal pénal international. Donc, je dis que cela fait partie des lois. Nous avons des communautés de réfugiés parmi lesquelles des Rwandais. Certains ont essayé de transférer leurs problèmes internes ici; c'est vrai que si la presse a fait écho il y a quelques mois par exemple de tensions importantes entre les communautés Tutsi et Hutu notamment à Douala, c'est parce que c'était un peu exagéré. On n’en est pas du tout à ce point là. Mais il faut quand même reconnaître que ce genre de problèmes peut toujours surgir. Et, une fois de plus, la loi permet aux autorités de prendre action.
Et quand on lit attentivement la loi, on se rend compte qu'elle vise davantage à favoriser les conditions d'intégration des réfugiés ; est-ce qu'il n'est pas plus judicieux de penser plutôt aux conditions de leur retour?
Alors c'est vrai que la loi a deux choses : d'abord elle met l'accent sur la protection des réfugiés. Cela nous concerne, c'est-à-dire qu'il y a une notion très importante dans la loi, c'est la notion de non-refoulement: une personne reconnue comme réfugiée engage le pays d'accueil; ça fait partie de l'arsenal international. Mais la personne a beaucoup d'obligations, comme se conformer aux lois du pays. Au Cameroun il y a quelques mois, certains réfugiés se sont crus au dessus des lois parce que protéges soit disant par les Nations unies. Ce n'est pas vrai, ils ont à se conformer aux lois camerounaises. Pour le problème de l'intégration, nous faisons notre possible pour que ces gens ne soient pas exclus.
Pensez-vous que le Hcr fait assez pour leur rapatriement?
La politique du Hcr est basée sur trois solutions durables: rapatriement; intégration et réinstallation dans les cas exceptionnels. Donc, c'est clair que nous favorisons d'abord le rapatriement. Si le Hcr est si présent encore par exemple au Burundi et au Rwanda, c'est parce que nous essayons de créer des conditions adéquates de rapatriement et dignes des droits de l'homme; je veux dire recréer des infrastructures et un arsenal de protection pour que les gens puissent rentrer dans de bonnes conditions et ne soient pas mis en prison ni quoi que ce soit. Donc il est important de savoir que 90% de réfugiés que nous avons dans le monde rentrent chez eux un jour ou l'autre.
La loi internationale est très claire et la loi nationale l'applique : le rapatriement doit être fait de manière volontaire. C'est pourquoi nous essayons de créer des conditions pour décider les gens à rentrer chez eux. Nous avons un formidable exemple au Cameroun : nous sommes en cours de rapatriement de 17.000 réfugiés nigérians venus dans les régions de Banyo et Ngambe, l'Adamoua et le Nord-Ouest.Sur les 17.000, 7.900 sont déjà rapatriés et d'ici à la fin de l'année, nous espérons réaliser le même nombre. Donc, tous les réfugiés nigérians arrivés avec le groupe seront chez eux d'ici l'année prochaine.
Source : Quotidien Mutations
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