« Le Cotonou » n’arrive pas à bon port
Le récit de notre envoyé spécial. Le témoignage du pêcheur-secouriste. Les rescapés regagnent leurs pays par avion.Au moins 30 personnes périssent dans le naufrage du bateau béninois.
Des corps dénudés et déformés par la furie des vagues, des ventres ballonnés par l’eau de mer, des crânes fracassés par les rochers. Images ahurissantes et terrifiantes que celles de ces cadavres qui viennent échouer, par vagues successives, à Campo beach aux premières heures de ce vendredi 01 juillet 2005. Dans cette localité aux bâtisses coloniales où les jours se suivent et se ressemblent entre pêche, commerce et trafics divers sans histoires à 75 kilomètres de Kribi. Les rescapés traumatisés, les populations altérnées, les autorités mobilisées se repassent et racontent en bande le film du naufrage. Même si, écrasés par le poids de la douleur, ils ne parlent pas. Ils murmurent, ils chuchotent de leurs voix cassées par l’émotion et qu’on entend péniblement dans le vacarme ininterrompu du va-et-vient des vagues qui continuent à déverser leur effroyable cargaison mortuaire. Flash-back.
Selon des versions concordantes, c’est la veille, aux encablures de 17 heures, que le drame s’est noué. L’embarcation baptisée Le Cotonou, sorte de méga pirogue de fabrication artisanale, fend de toute sa cinquantaine de mètres de longueur, les eaux de l’océan Atlantique. Après être parti de Oron au Nigéria, avec près de 80 personnes à bord. Après une escale à Limbé, au Cameroun, qui a vu débarquer une vingtaine de voyageurs, l’embarcation met le cap sur Libreville au Gabon, destination finale. «Tout se passait bien jusqu’à ce qu’une succession de hautes vagues foncent sur nous» raconte un rescapé.
Un pêcheur qui jette ses filets dans les parages conseille alors vivement à l’équipage du Cotonou «d’arrêter les moteurs et d’attendre sur place que la mer se calme». Mais les passagers, les uns contre les autres, sentent confusément que l’affaire peut tourner mal et affichent les premiers signes de panique. Ils conviennent que la solution la plus sûre est de se mettre à l’abri, c’est accoster. Erreur fatale. Explication? «Nous étions à deux kilomètres de la terre. Nous ne pouvions attendre dans la tourmente étant si proche de la terre», justifie un autre miraculé. Il ajoute «après une rapide concertation, nous avions le choix entre la côte camerounaise à Campo et la côte équato-guinéenne à égale distance. Mais compte tenu de la réputation de ce pays, nous avons pensé pouvoir être en plus grande sécurité au Cameroun».
C’est donc ainsi que l’embarcation met le cap sur Campo beach. Elle n’atteindra jamais cette terre promise. Ballottée par les vents et comme attirée par l’aimant de l’embouchure, la pirogue se surprend à cet endroit où les eaux du fleuve Ntem et de la mer s’entrelacent dans un tumultueux tourbillon. C’est l’irréparable. Le pilote nigérian, Sony Abia, dans un anglais saccadé n’a rien oublié: «les choses sont allées très vite. Une première vague a éteint le premier moteur. Le mécanicien voulait faire quelque chose. Mais le deuxième moteur a aussi lâché. Et une autre vague a englouti la pirogue».
La suite du récit se perd dans une voix broyée par l’émotion. On devine plus qu’on ne l’entend décrire cette scène de sauve qui peut dans un concert de cris désespérés. Les plus vaillants s’agrippent avec l’énergie du désespoir aux rebords de l’embarcation qui se désagrège lentement. D’autres disparaissent dans les abîmes de l’océan. Le temps de le dire, d’autres encore se battent à la surface pour garder la tête hors de l’eau.
Les secours
Si certains occupants du «Cotonou» ont échappé à ce naufrage collectif, ils le doivent avant tout à ce pêcheur Camerounais qui, par une heureuse circonstance, a croisé leur trajectoire. Son nom? Etienne Mbotto Eboko. C’est lui qui flaire le danger et presse l’équipage d’attendre la marrée basse. C’est lui qui enverra son fils donner l’alerte au village lorsque le piège de l’embouchure se referme sur l’embarcation. Les pêcheurs accourent. Les pirogues sont lâchées sur l’eau. Plusieurs nouvelles entre l’épave en dérive et la plage permettent de sauver d’une noyade programmée, 26 personnes. Précoce en cette saison la nuit dissuadent les secouristes de continuer leur intervention sans risquer leur vie.
Sur la rive, les rescapés, les miraculés à la lueur des lampes cherchent les leurs et réalisent que: chacun ou presque a perdu un ami, un frère, une sœur, un enfant avalé par l’océan. Mais la douleur de ces miraculés est muette. Ils n’ont plus la force de pleurer, de crier. Ils paraissent absents, ailleurs. La nouvelle du naufrage se répand telle une traînée de poudre. Les premières autorités administratives locales arrivent sur les lieux. En tête du peloton, le sous-préfet de Campo, Nlend Likeng et son état-major. Première mesure: identification des rescapés. On dénombre donc six Nigérians, trois Burkinabé, deux Togolais, un Malien, 14 Béninois. Ils sont acheminés puis installés au village des pêcheurs à Campo Beach. Et pendant de longues heures, Campo va gérer sa tragédie à huis clos. Le préfet de l’Océan, finalement informé, arrive avec son staff pour prendre en main la suite des événements. Grégoire Vengo sera donc le grand ordonnateur de l’inhumation dans la mi-journée du 01 juillet 2005 des 30 corps vomis par l’océan, un office religieux oecuménique est dit pour le repos des âmes. Puis commence un L’ambassadeur du Bénin au Cameroun avec résidence à Libreville, dont les compatriotes constituaient le gros des victimes, est le premier diplomate à fouler le sol sablonneux de Campo. Son excellence Lassissi Adébo, accompagné des deux consuls honoraires du Bénin à Douala et Yaoundé, réconforte les rescapés en paroles et en espèces sonnantes et trébuchantes, non sans s’indigner devant la sépulture des naufragés.
Avant de prendre la route de Yaoundé pour des entretiens avec les autorités camerounaises, le diplomate se prononce pour une enquête internationale pour déterminer les responsabilités. Car de sources concordantes, deux autres pirogues similaires au «Cotonou» parties de la même base sont arrivés à bon port, à Libreville. Ce qui accréditerait la thèse d’un réseau. Le ballet diplomatique va se poursuivre avec le consul du Bénin à Bata, venu spécialement démentir une rumeur faisant état de l’enterrement de certains naufragés en territoire équato-Guinéen. Autre passage du corps diplomatique, le Haut commissaire du Nigeria au Cameroun venu «à la source chercher la bonne information sur la tragédie». Dernière personnalité vue à Campo, le gouverneur de la province du Sud, Enow Abraham Egbé, entouré par une escouade de forces de maintien de l’ordre bien visibles aussi dans la suite du chef de terre, le procureur général près de la cour d’Appel d’Ebolowa et le procureur de la République de Kribi. «Dans la perspective de l’enquête», affirme une source des services du gouverneur. Ceci expliquant cela ; Les trois membres de l’équipage ont été soustraits du reste du groupe. Ils sont gardés à vue au commissariat de Campo «de peur qu’ils ne s’évanouissent dans la nature». Le patron du Sud a aussi instruit une surveillance du site, où reposent les dépouilles des naufragés à la lisière de la plage. En attendant d’y aménager un monument à la mémoire des disparus. Sait-on jamais si certains trafiquants passaient par là?
Mutations
|