La police elle-même alimentait un réseau de faux papiers
Le dossier de demande de visa comporte en effet, entre autres pièces, les copies de deux passeports. L’un porte le numéro 052063, délivré le 4 mai 1990 ; l’autre, le numéro 803825, délivré le 25 mai 2004. Si un flou persiste sur le lieu de délivrance du premier, le second a été délivré au commissariat à l’Emi-immigration de Yaoundé et a été signé par le commissaire en poste à l’époque, Wise Euphemia.
Le nom mentionné sur les deux passeports est le même : F.X.L.D. (les initiales sont à la demande de la victime). La date et le lieu de naissance sont également identiques. La photo du titulaire est la même, avec cependant un détail important. Sur le passeport délivré en 2004, le titulaire, en veste et cravate, paraît plus mûr. Sur le passeport délivré en 1990, apparaît le même homme, plus jeune et sobrement vêtu. Cette sobriété s’explique. Dans le cadre prévu pour l’indication de la profession, le titulaire est « étudiant ». En 2004, il apparaît plus replet et il est « cadre de banque ». Rien n’est laissé au hasard, les moindres détails comme la métamorphose avec l’âge sont importants.
Comment les services consulaires de l’ambassade des Usa découvrent ce faux ? F.X.L.D. est bien connu dans le milieu diplomatique et médiatique pour avoir plusieurs fois obtenu un visa à destination de l’Europe et d’autres destinations, pour raisons professionnelles. Mais curieusement, les photos apparaissant sur les deux passeports ne lui ressemblent pas. Après vérification, le service consulaire réalise qu’il s’agit d’un faux. Le dossier de demande de visa est intercepté. L’usager qui l’a déposé, visiblement alerté, ne donne plus de nouvelles. Informée par des canaux informels, au vu du secret qui entoure la gestion des dossiers de demande de visa, F.X.L.D., la victime du faux saisit le commissariat à l’Emi-immigration de Yaoundé.
Il s’agit manifestement d’un cas flagrant de substitution de photo sur un modèle ancien de passeport, le film de sécurité ayant été levé. Sur les anciens modèles de passeports en effet, l’opération était simplifiée par le fait que les photos étaient apposées, ce qui facilitait leur substitution. Question : comment l’usurpateur de l’identité de F.X.L.D. est-il entré en possession d’un passeport arrivé à expiration, retiré à son titulaire légitime et archivé au commissariat à l’Emi-immigration ? « Des policiers véreux en service au commissariat de l’Emi-immigration ont subtilisé le passeport des archives et l’ont monnayé à l’usurpateur », reconnaît un cadre de la police. Il explique que les passeports arrivés à expiration et sur lesquels sont apposés de nombreux visas confèrent de la crédibilité au demandeur et lui facilitent l’obtention de nouveaux visas.
Et les personnes impliquées dans ce réseau de faux bien huilé le savent. Ceci explique que des policiers véreux subtilisent de tels passeports dans les archives du commissariat à l’Emi-immigration et les monnayent à des demandeurs, comme l’usurpateur de l’identité de F.X.L.D. Combien de passeports ont ainsi été subtilisés des archives ? Aucun chiffre n’est avancé. L’opération est toutefois lucrative. D’après nos indiscrétions, le demandeur peut débourser jusqu’à 500 000 Fcfa pour un tel service. Le nombre de passeports arrivés à expiration et ainsi recyclés par ce réseau de faux est certainement très élevé. Dans la haute hiérarchie de la police, on veut cependant relativiser le phénomène : « Aujourd’hui, la substitution de photos sur un passeport n’est plus possible. Sur les nouveaux passeports, les photos sont désormais scannées », confie un commissaire de police « C’est d’ailleurs des raisons pour lesquelles le nouveau passeport a été adopté », souligne-t-il.
Ceci garanti-t-il pour autant la sécurisation des archives des les services de délivrance de passeports ? Notre source reconnaît à ce sujet que les cachets portant la mention « annulé » sur les passeports expirés et archivés, initialement retenus pour garantir la sécurisation, ont montré leur limite car ils étaient susceptibles de « lavage ». Il a fallu trouver autre chose : « Les passeports arrivés à expiration sont désormais perforés », confie notre source. D’après nos informations, des responsables des services de l’Emi-immigration de la police ont été suspendus puis révoqués pour ces indélicatesses.
Source: Le Jour Quotidien
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