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Quand le Saint Père rencontre « Saint » Paul : Lettre ouverte au Pape Benoit XVI
(17/03/2009)
Très Saint-Père, Je profite de votre visite au Cameroun pour vous adresser ces quelques lignes. Comme je vous sais très occupé, je ne vais pas abuser de votre temps. Je tiens d’abord à vous rassurer sur un certain nombre de points.
Par Marcel-Duclos Efoudebe
Chantal et Paul Biya accueillant le pape Benoit XVI
Chantal et Paul Biya accueillant le pape Benoit XVI
Très Saint-Père,

Je profite de votre visite au Cameroun pour vous adresser ces quelques lignes. Comme je vous sais très occupé, je ne vais pas abuser de votre temps. Je tiens d’abord à vous rassurer sur un certain nombre de points.

Je ne vous dirais pas un mot sur votre décision de réintégrer les Evêques intégristes au sein de l’Eglise Catholique. Je suppose que vous en avez assez d’en entendre parler, d’entendre tous ceux qui vous reprochent de donner un blanc seing à cet évêque négationniste. Je ne vous en parlerai pas, même si l’envie est grande de rappeler que les Camerounais, jeunes et moins jeunes, connaissent un peu les intégristes, et notamment leur « père fondateur », Marcel Lefebvre.

Ce dernier – se souviennent les Camerounais – avait réuni ses pairs à Nkongsamba, pour rédiger la célèbre Lettre Commune, dans laquelle les hommes de Dieu mettaient en garde les Camerounais contre l’UPC et « ses liens avec le communisme athée condamné par le Souverain Pontife ». Votre prédécesseur d’alors, Pie XII, n’eut aucun mot pour dénoncer le support qu’apportait l’Eglise Catholique à la répression sanglante de l’UPC. Il était loin d’imaginer que 30 ans plus tard, Mgr Lefebvre se retournerait contre le Vatican…

Je ne vous parlerai pas non plus des précédentes visites papales chez nous. Les Camerounais en sont encore à se demander ce que ces visites leur ont apporté, en dehors des dépenses faramineuses qu’elles ont occasionnées. Ils comprennent mal que l’Eglise, qui est si riche, n’utilise pas ses moyens propres pour financer le séjour du Pape lors de ses visites. Qu’un pays aussi mal en point que le Cameroun puisse dépenser autant d’argent, alors que les populations manquent de tout, est à leurs yeux un contre-sens difficilement acceptable.

Je ne vous parlerai pas de certains fils du Cameroun, éminents représentants de l’Eglise Catholique qui, pour avoir essayé de concilier l’idéologie chrétienne à des aspects plus concrets de la vie quotidienne des Camerounais, ont été contraints à l’exil. Jean-Marc Ela et Albert Ndongmo, par exemple, n’ont pas eu la chance de vivre leurs derniers jours sur la terre de leurs ancêtres !

Je ne vous parlerai pas de beaucoup d’autres choses, que vous savez certainement – je fais confiance au service de presse du Vatican, qui n’ignore rien de ce qui se passe dans notre chère Afrique. Ce dont je voudrais vous parler, Très Saint-Père, tient en deux points précis. Je voudrais vous faire quelques suggestions pour « nourrir » l’entretien que vous aurez avec notre Président, Paul Biya.

Quand vous traverserez la ville de Yaoundé pour rejoindre le Palais de l’Unité, lieu de résidence de notre Président, elle sera coupée en deux. Bien sûr, vous n’en saurez rien, debout dans votre papamobile, d’où vous ne verrez qu’une foule en liesse. Ceux des Camerounais qui auraient envie de faire autre chose que vous applaudir – il y en a, vous savez ! – ne pourront pas traverser la ville. Ils ne pourront même pas se plaindre pour ce désagrément. Vous ne comprenez pas pourquoi ?

Figurez-vous qu’il y a quelques semaines seulement, un enseignant qui n’arrivait pas à se rendre à son travail a osé se plaindre du même « désagrément ». Il a eu la mauvaise idée de se plaindre à haute voix, dans un taxi. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il s’est retrouvé devant le Tribunal de Grande Instance de Yaoundé, pour « outrage au Président de la République ». Il n’avait fait que se demander pourquoi le Président et son épouse ne regagnaient-ils pas le Palais de l’Unité en hélicoptère, pour ne pas paralyser la ville. Ce jeune camerounais vient de bénéficier d’une liberté provisoire, après le versement d’une lourde caution. Son cas sera « réexaminé » plus tard, quand vous serez reparti pour Rome. On aura alors évité de faire des vagues pendant la visite du Saint Père.

Pourriez-vous porter à la connaissance de notre Président le cas de ce jeune enseignant ? Accepteriez-vous d’intercéder pour lui auprès de Paul Biya ? Je peux comprendre la surprise que je vois sur votre visage. C’est que vous ne savez pas que notre Président ne lit pas la presse. Non, il ne la lit pas ! Il a même oublié qu’il avait recommandé aux Camerounais de s’informer, de lire les journaux et de regarder la télévision. D’accord, c’était il y a très longtemps, puisque vous veniez d’être nommé Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’ex-Saint-Office, qui combattait les hérésies – et qui s’occupait, entre autres, de l’Inquisition.

Vous ignorez probablement que notre Président est si souvent absent du pays que les Camerounais ne savent jamais s’il se trouve en Europe – pour un « court séjour privé » –, au Palais de l’Unité ou au Palais de Mvomeka – c’est sa résidence secondaire, un peu comme votre résidence de Castelgandolfo, le luxe et le terrain de golf en plus. Quand vous serez au Palais de l’Unité, les Camerounais sauront, avec certitude, que leur président y est. Et si vous lui en parlez, il ne pourra pas dire : « je ne savais pas. »

Ma deuxième préoccupation est d’ordre général, et elle concerne l’état de la démocrature camerounaise. Vous ne connaissez pas ce mot ? Pour faire court – puisque votre temps est précieux – il s’agit d’une « démocratie dictatoriale » ou d’une « dictature démocratique », au choix. Votre service de presse vous a probablement dit que notre Président voudrait entrer dans l’histoire du Cameroun comme l’homme qui y a apporté la démocratie. Pourriez-vous lui rappeler, Très Saint-Père, que cette même démocratie exige un renouvellement de la classe politique, l’organisation d’élections libres et transparentes, sans oublier la limitation des mandats du Président ? Le paysage politique qui gravite autour de notre Président est vieux : ce sont souvent des ministres de longue date, tous interchangeables, dont les permutations donnent le tournis aux Camerounais. Chez nous, les élections sont truquées, malgré la présence d’« observateurs internationaux ». Le choix des électeurs n’est pas respecté, et le Président bafoue allègrement les lois de la République. Il vient même de changer la Constitution de notre pays, pour pouvoir se présenter aux prochaines élections présidentielles, dans quelques années.

Pourriez-vous, Très Saint-Père, évoquer toutes ces questions avec notre Président ? J’hésite à vous le demander, même si je ne doute pas de votre attachement à la démocratie. J’hésite parce que je ne suis pas certain que le Vatican, dont vous êtes le Chef de l’Etat, soit un état démocratique. Je redoute même une certaine affinité entre vous et notre Président. Vous êtes de la même génération, vous êtes, tous les deux, Catholiques – même si Paul Biya flirte avec les Ordres. Vous êtes pour un « libéralisme chrétien », Paul Biya, plus modeste, est Pour le libéralisme communautaire – c’est même le titre du livre qu’il a « écrit ». Mon inquiétude vient d’ailleurs : le Pape ne démissionne pas, et son mandat est « élastique », puisque seule la mort met fin aux fonctions papales. Les Camerounais, qui espèrent connaître le Changement, doivent-ils se résigner à attendre que Dieu, dans son immense amour, rappelle à lui son « fidèle serviteur » Paul Biya, pour lui confier des tâches hautement plus importantes dans Son Paradis céleste ?

Voilà, Très Saint-Père, les points sur lesquels je souhaiterais que vous disiez un mot lors de vos entretiens avec Paul Biya. Vous pourriez même, pourquoi pas, le dire au monde entier, lors de la Grande Messe que vous direz au Stade qui porte le nom de l’ancien président, Ahmadou Ahidjo – auprès duquel Paul Biya a fait toute sa carrière politique, et dont il fut le premier ministre pendant 7 ans.

Les Camerounais, notamment ceux d’entre eux qui sont Catholiques, ne perdront aucun instant de votre séjour au Cameroun. Ils vous observeront avec attention. Dans vos actes et dans vos discours, ils espèrent trouver des éléments de réponse à la question que posait Um Nyobé, grand leader révolutionnaire camerounais : « de quel côté se trouve Dieu ? ».

Marcel-Duclos Efoudebe, Pharmacologue et écrivain, auteur de L’Afrique survivra aux afro-pessimistes, L’Harmattan, 2007.







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