« Dans moins de dix ans, les Africains
parleront anglais, la technologie qu'ils emploieront sera américaine,
leurs élites seront éduquées aux États-Unis, nous resterons quant à nous coupés
de
nos racines africaines, recroquevillés sur une Europe frileuse, incapables
alors d'être une puissance écoutée. »
(Pr Bernard Debré Ancien Ministre français de la
Coopération) [1]
Au
Cameroun, les ravages de cet impérialisme ont été et continuent d’être
catastrophiques .Le constat est amer : plus les générations s’écoulent, plus le
ciment identitaire s’écroule. Ce qui est plus choquant c’est que, face à cette
phase de substitution, voire de décomposition de notre culture, les peuples et
les pouvoirs publics semblent peu conscients. Ces derniers qui devraient être
les avant-gardistes et les locomotives de l’intégrité et de l’identité
culturelles du pays semblent avoir démissionné. Dans le pays, il n’existe pas
vraiment de politique culturelle. A la place de la culture proprement dite,
telle que vécue au quotidien par les populations, et des industries culturelles
bien pensées et mises sur pied, on assiste de part et d’autre et de façon
sporadique à des manifestations folkloriques d'une portée limitée dans l’espace
et dans le temps.
Genèse et quelques raisons de l’effondrement
La décadence
des langues maternelles au Cameroun ne fait plus l’ombre d’aucun doute. A partir
des observations dans les familles, à la lecture des articles et autres ouvrages
des spécialistes de la question, on se rend compte, et ceci sans effort
particulier, que les langues de nos ancêtres sont en voie de disparition. La
question qui nous vient à l’esprit est celle de savoir pourquoi ?
Nous
pouvons considérer la colonisation comme la première cause de l’abandon et de la
négation de nos langues. En effet,
avec sa politique impérialiste (avouée et non avouée), l’ « Homme blanc » dès
son arrivée sur les berges du wouri (littoral du Cameroun) s’est donné pour
première mission d’imposer sa langue aux « peuples primitifs ».Des allemands aux
anglais, sans oublier les français, tous, à des rythmes et stratégies
différents et variés, ont laissé leurs marques, linguistiquement parlant, sur le
peuple camerounais.
Une fois
l’indépendance (du moins politique) acquise en 1960, le virus de l’impérialisme
a continué ses ravages au Cameroun. Les nouveaux administrateurs locaux ont
poursuivi, voire amplifié la colonisation, histoire sans doute de montrer à
leurs « patrons blancs» qu’ils sont dignes de la confiance placée en eux et qu’ils peuvent en toute
efficacité perpétuer leurs œuvres et leur volonté.
Ainsi, les
administrateurs locaux n’ont pris aucune initiative pour rétablir et promouvoir
les langues locales. Sur le
plan officiel, on assiste à ce qu’il convient d’appeler un « génocide des
langues locales » car le Cameroun est défini comme étant un pays bilingue où
sont officiellement reconnus le français et l’anglais.
A l’école,
haut lieu de la diffusion des connaissances et de la fabrication de la
conscience, les langues locales sont simplement inexistantes
La
reconnaissance des deux langues (officielles) au Cameroun, signifie
l’inexistence de toute autre langue. Nous nous retrouvons là dans un pays
linguistiquement extraverti. L’identité linguistico-culturelle va alors se
chercher dans un ailleurs qui ne prend pas (toujours) en compte les spécificités
socio-psychologiques locales.
Comme si
cela ne suffisait pas, depuis les années 1990, le Cameroun se noie de plus en
plus dans les images diffusées par des télévisions occidentales. Très vite, le
jeune enfant, qui résistait jusque là à l’invasion linguistique occidentale, n’a
plus eu besoin d’aller à la rencontre du français et/ou de l’anglais, mais il
l’a trouvé jusque dans sa maison, voire dans sa chambre. Ainsi, l’enfant de
Metet, de Makak de Bandjoun, de Ngaoundal,, de Lolodorf de Mamfé ou de Wum qui
passe le plus clair de son temps à regarder des programme de Disney Channel,
Tiji, Teletoon, Ciné cinéma, sera alors plus proche des langues occidentales. Il
sera inconsciemment amené à réfléchir et à exprimer sa pensée en ces langues. Et
même à voir et à percevoir le monde comme les autres. L’Internet et les autres
outils des Nouvelles Technologies de l’Information et de la
Communication, sont venus enfoncer le couteau dans la plaie.
Sur les milliers de pages web que visitent les internautes tous les jours, y en
a-t-il en nos langues locales ? Combien traitent-ils de nos langues
maternelles ?
Conséquences de l’extraversion linguistique
Il nous semble
inutile de rappeler que la négligence des langues maternelles a des conséquences
graves et profondes. Il serait présomptueux de faire un inventaire exhaustif des
conséquences de l’abandon de nos langues locales.
La
relation qui existe entre la langue et la culture, est indéniable. Tous les
linguistes sont d’accord que la langue véhicule une culture. Ainsi, on n'est pas
surpris de constater que ceux qui ne parlent pas ( ou qui parlent peu) leur
langue maternelle s’éloignent également des musiques, des mets, des habitudes
agricoles... etc... de chez eux. Ils affectionnent les produits venus d’ailleurs
et surtout de l’occident. C’est malheureusement le cas au Cameroun. Comme nous
l’avons évoqué plus haut, de telles personnes sont au quotidien plus proches des
autres que d’elles-mêmes. Elles auront alors tendance à réfléchir, à penser et à
exprimer leurs pensées comme le font les autres. Avec un cerveau ainsi formaté,
comment ne pas trouver une solution Y alors que le problème est X ? nous sommes
là au cœur d’une inadéquation doublée d’une incompatibilité problème-solution.
Inadéquation dont les conséquences s’étendent à des domaines variés : politique,
économique, social, éducatif, culturel, ...etc...
Ceci expliquant cela, on peut
aisément déduire la raison pour laquelle le Cameroun a si mal à son
développement. Une étude comparative entre l’Afrique centrale et l’Afrique de
l’Ouest laisse voir que cette dernière est plus en avance sur l’autre (du point
de vue démocratique, développemental…) car leurs langues locales ont une
attention particulière et sans le principal instrument de communication.
Au vu des
conséquences assez graves que provoque (ou peut provoquer) la décadence de nos
langues maternelles, il nous semble important, voire urgent de mettre en place
une politique de sensibilisation des citoyens sur la nécessité d’utiliser les
langues locales, de les transmettre aux générations suivantes et de
diffuser celles-ci dans les médias et autres moyens de communication.
[1] Bernard Debré. "Plaidoyer pour l'Afrique". Le Figaro. 9 février
1998.
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