Lucienne Nkombeu, tricoteuse au Cameroun
Assise derrière son comptoir, un étal en planche situé au bas des escaliers en face de l'entrée principale de l'hôpital central de Yaoundé, Lucienne Nkoumbeu tient une aiguille dans laquelle elle a enfilé un fil de laine blanc dont la bobine se perd dans un sac posé près d'elle.
Tête baissée, l'air concentré, elle tisse le lacet d'un chausson. Et les longues années d'expérience qu'elle traîne derrière elle accélèrent le mouvement de ses mains.
C'est à 16 ans que ses parents la mettent en apprentissage dans un atelier de tricot à Yaoundé. Après deux années de formation, Lucienne Nkombeu s'apprête à se mettre à son propre compte, quand le mariage frappe à sa porte. Aux charges domestiques, s'ajoute bientôt l'éducation des enfants. Pour s'y consacrer, la femme de 49 ans met son projet en berne. Cependant, pour satisfaire sa passion, elle tricote de temps en temps des vêtements pour ses enfants. Après le décès de son mari en 2003, Lucienne Nkombeu reprend le tricot pour subvenir aux besoins de sa famille.
" Tricoter à la main est pénible et prend beaucoup de temps. Il faut par exemple deux semaines pour réaliser une combinaison de bébé", explique la tricoteuse. Aussi a-t-elle acheté, en seconde main, une machine à tricoter à 400 000Fcfa qu'elle a installé dans sa maison. Elle y confectionne des parties de vêtements avant de les joindre à la main. Après s'être longtemps inspirée des modèles de catalogue, Lucienne Nkombeu crée aujourd'hui ses propres motifs. Et ces motifs, tout comme la taille, déterminent le prix du vêtement. Un ensemble de bébé, est cédé aux femmes enceintes, principales clientes, à 5000Fcfa voire 8000Fcfa. Un pull-over pour adultes quant à lui coûte 15 000Fcfa. Les nappes, écharpes et autres ouvrages, Lucienne Nkombeu ne les fait que sur commande et, quelquefois, avec un matériau autre que la laine.
Malgré son amour pour le tricot, Lucienne Nkombeu envisage aujourd'hui de changer d'activité : " Le tricot n'a pas d'avenir au Cameroun. Je fais parfois une semaine ici sans vendre un seul vêtement. Or, j'ai des charges : l'impôt libératoire à payer, la marmite à faire bouillir… je suis d'ailleurs en train de chercher une activité plus rentable ", affirme-t-elle la voix chargée de regrets.
La mort du tricot made in Cameroun, Lucienne Nkombeu l'attribue à l'envahissement du marché du tricot par des produits industrialisés chinois: " Les gens n'ont pas d'argent. Alors, ils préfèrent acheter les vêtements venant de Chine qui coûtent moins cher. Or, ces produits sont légers et moins durables, contrairement aux produits faits sur place qui sont lourds et peuvent couvrir trois maternités ", poursuit la tricoteuse. Elle regrette que les tricoteuses se contentent de reproduire des motifs connus au lieu d'en créer ; cette monotonie ne contribuant pas à susciter l'engouement du consommateur.
Qu'à cela ne tienne, après le démarrage des "Tricot Café" aux Etats-Unis et maintenant en Europe, après le succès du championnat de France de vitesse de tricot au salon "L'aiguille en Fête", la vague laineuse est en train d'envahir le monde. Depuis 2005, la Journée mondiale du tricot se célèbre tous les 9 juin. En attendant, le réveil de cette bonne vieille laine chez nous, les dernières tricoteuses vivent des jours difficiles.
Source: Le Jour Quotidien
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