Suzanne Kala Lobe
A no be talk. L’expression est en pidgin et signifie en français: « ne
l’avais-je pas dit»? En d’autres termes, elle est utilisée, lorsque dans une
discussion, votre interlocuteur s’aperçoit que ce qu’il avait subodoré, comme
suite prévisible à un ensemble d’actes posés, était entrain de se dérouler sous
les yeux des observateurs, les plus entêtés.
ainsi, en empruntant cette expression, pour le titre de ces Regards
hebdomadaires, je voudrais tenter un épilogue en mettant en perspective les
questions surgies du débat autour et sur la diaspora et l’actualité d’une
nomination en France d’un membre actif de la diaspora.
Je vous propose cet épilogue, en guise de conclusion (provisoire) au débat sur
le rôle de la diaspora , ses rapports avec l’Etat-Nation et son pays d’origine,
la stratégie d’assimilation, intégration pour tenter de se faire reconnaître
et représenter, la manière dont les politiques d’immigration se servent de ses
insuffisances, sa non organisation pour faire passer la pilule d’une politique
qui demeure séparatiste et truffée d’exemples marginaux .
Si l’actualité camerounaise est plus ou moins minée par la campagne activée à
nouveau contre le SDF, pour mieux le décrédibiliser, la réorganisation de
l’espace politique français autour des questions d’immigration et gouvernement
d’union, ne saurait laisser indifférents.
Tout récemment donc, Gaston Kelman, l’auteur de «je suis noir et je n’aime pas
le manioc» et autres assertions du même cru, a été nommé Conseiller technique
au Ministère de l’immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du
Codéveloppement! Un ministère dont la seule dénomination en dit long sur la
confusion des genres et le douloureux rapport que la France continu d’entretenir
avec les « migrants » de ses anciennes colonies. Un ministère pas du tout
simple, dont les plus mauvaises langues disent que lorsqu’un noir accepte ce
poste dans un gouvernement de droite, c’est pour aider les politiques à mieux
traquer les clandestins ! A no be talk ?
C’est donc dire que l’obligation de se reconsidérer en redéfinissant son
statut, est au cœur de toute prétention au changement de la diaspora .Elle a de
nombreux problèmes qu’elle doit régler dans sa patrie d’accueil en même temps
que qu’elle a besoin d’une nouvelle visibilité pour la terre de ses ancêtres.
C’est cet écartèlement qui traduit ce qui est à l’œuvre au sein de ce groupe,
qui a amené Gaston Kelman, à son écrit apparemment provocateur, mais qui
témoigne de sa quête d’assimilation. Son credo qui peut résumer en ceci «
non, ne me regarder pas à travers ce que vous voyez de ma peau. Ce n’est qu’une
enveloppe circonstancielle dont je ne suis pas responsable. Pas plus que je ne
suis responsable de ce qui a amené une partie de l’humanité à prendre la
couleur de la peau d’un homme, comme un discriminant pertinent, ni quelque
chose à voir avec ses valeurs intrinsèques ou même son histoire »… est
l’expression des atermoiements d’un groupe, qui n’a pas pris le temps de se
penser, de se pencher sur lui-même, sans avoir les vertiges de la précarité ou
même d’un présent parfois plus aride que celui de leurs cousins d’Afrique. En
suivant le cursus de Gaston Kelman, ainsi que ses prisse de position, en lisant
ses discours sur une Afrique qui doit se prendre en main, et en constatant
qu’il ait choisi de servir sa (la) cause à l’intérieur d’une structure telle
que celle dans laquelle il se retrouve, force est de s’exclamer « Ah, a no be
talk » ?
Oui, A no be talk? D’aucuns me diront que je prends la trajectoire de Gaston
Kelman, comme significative des destinées de la diaspora. Mais à quoi rêve la
diaspora aujourd’hui ? A un retour triomphant ou alors de s’installer dans le
pays d’accueil en abreuvant le pays de ses ancêtres de fortes critiques tout
en se délestant de quelques euros, comme la piécette que les riches donnent aux
mendiants sans toucher le fond du problème... Elle se donne bonne conscience et
parle de .. Co-développement. C’est cette critique radicale qui fit le fond
de la lettre dont évidemment pet de lecteurs ont saisi la nuance, préférant
voir dans l'analyse, un cas patent de trahison politique, d'arrivisme et de
positionnement ! A no be talk ?
Pourtant, la trahison, n'est pas toujours là où on le croit ....
Trahison, arrivisme, revirement, positionnement! Ce luxe de qualificatifs
utilisés avec virulence par la diaspora vaut la peine d'être recontextualisé.
Car qu’est-ce que la trahison en politique ? Pourquoi, doit-on pointer du doigt
au nom de la morale en politique celui qui un jour danse avec les loups et
l’autre hurle avec eux ? Qui est à l’abri de la trahison ?
La trahison politique ne date pas d’aujourd’hui, elle n’a pas de frontières et
une littérature dense et riche à été réservée à ce phénomène que les uns
qualifient de manière éthique alors que d’autres considèrent ces variations
comme étant pragmatisme et ambition de faire la politique. Le débat en France a
pris une certaine ampleur, vu ce qui se passe dans les recompositions de la
droite après l’élection de 2007, et le délitement du Ps, qui se sent obligé
d’avoir désormais un langage plus « radical »…
Depuis l’arrivée de Sarkozy au pouvoir en 2007, les voltes face sont
spectaculaires au sein du Ps et on voit beaucoup de socialistes de la dernière
heure embrasser la cause de la droite. Comme Eric Besson, et comme Kelman. Ceux
qui sont arrivés au Parti Socialiste – comme besson en 1993et en démissionner en
2007 et qui est enté au Parti Socialiste dans les années 90, pour en
démissionner sans tambour ni trompette et rallier la droite en 2007, ou Kelman,
sont qualifiés de traîtres par les plus radicaux... Mais qui peu affirmer qu’ils
furent au Parti Socialiste par conviction ?
Ces ondulations n’ont pas eu l’heure de déranger notre sémillant écrivain et
c’est avec une tranquillité toute bourguignonne qu’il va rejoindre ses
bureaux de Matignon, avec la conviction voire la sérénité d’avoir travailler à
manifester sa différence, pour bien être assimilé dans le dispositif de
Sarkozy au nom de l’identité qu’il s’est forgée sur les berges de la Seine…
Des exemples de ces atermoiements son légion outre-Atlantique. Mais bien
évidement, lorsque cette même diaspora, se penche sur les "traîtres" qui osent
« critiquer des actions légitimes », elle affirme que ceux-ci font « le jeu
de Paul Biya » ! Elle a du mal, à s’interroger sur sa propre abdication. On
peut embrasser à pleine bouche la droite Sarkozienne, c’est tout à fait
politiquement correcte. On peut faire carrière dans toutes sortes d’officines à
l’étranger, c’est le suprême sacrifice, car on souffre loin de chez soi, et
c’est toujours très politiquement correct, du moment qu’on soulage de temps en
temps la misère des sous développés, avec un billet de 100 euros, un certificat
d’hébergement et que l’on porte un matelas dans une chambre de bonnes, à celui
ou celle qui a fui la misère du pays pour raser les murs de l’Occident
triomphant !
Le débat est donc là : dans le choix des stratégies et dans l’illusion selon
laquelle, « l’avenir est ailleurs"! Et qu’il suffit que les politiques
changent au pays pour que l’on ait envie d’y rester. Or pour que les
politiques changent au pays, il faut la volonté de plus d’un pour imposer de
nouvelles alternatives. C’est sans doute là, où le bat blesse et le débat
s’égare.
Il faut revenir à Gaston Kelman dans cette déclaration en 2007 à propos de
création du Ministère de l’immigration, de l’Intégration, de l’Identité
Nationale et du Co-développemment, pour comprendre le double langage et le
double malaise de la diaspora: «Que reproche-t-on à ce ministère, qui pour ma
part est le plus ambitieux que l’on ait jamais conçu en la matière ? En liant
l’immigration l’identité nationale, le pouvoir reconnaît que l’immigration est
constitutive de cette identité qu’elle doit enrichir, mais dont elle peut aussi
menacer les fondements. Donc vigilance ! Toute nation a une identité." Et
ainsi de suite… A no be talk ?
Il faut bien pouvoir mettre fin à un débat épistolaire et cybernétique, sur une
question qui semblait anodine. La fameuse lettre à la diaspora a déclenché une
déferlante. Et le fond de ce qu’elle contenait n’est toujours pas débattu.
Anyway. Les arguments aussi disparates les uns que les autres ont permis de
dégager une construction, voire un profil de ce que représente sociologiquement
la diaspora et de la manière dont elle se représente elle-même. Le fond de la
lettre mettait en garde contre ces idées reçues à partir desquelles on a fini
par l’enfermer dans cette aliénation culturelle que dénonça avec justesse
Frantz Fanon. A l’époque, il postulait que l’exil, n’est pas La dernière
solution, d’autant qu’il est contraint et donc ne libère pas … il renvoyait
chaque patriote ou ceux qui se réclamaient comme tels à leurs propres
responsabilités : qu’allaient-ils être en mesure de faire pour transformer leur
pays ? C’est cette question qui fut le conducteur de la lettre à la diaspora et
qui reste d’actualité aujourd’hui dans le combat pour changer et initier une
alternative durable sur le continent
Aujourd’hui, Kelman est entré au gouvernement de Sarkozy. Les étiquettes valsent
et dansent la diaspora s’en dort. A no be talk ?
Source : La Nouvelle Expression
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