Ainsi, demandera un enfant dans cent ans, une vingtaine de jeunes Camerounais moururent en République de Guinée (Conakry), dans leur quête du savoir, dans leur course vers les qualifications supérieures, dans leur volonté de trouver peut-être en ces cieux étrangers à leurs foyers naturels, ce qu’ils n’avaient pas pu trouver régulièrement à la maison.
Non, les accusations ne sont jamais bonnes sur les lieux de mort. Non, les accusations des morts, sont silencieuses, mais dures, dérangeantes, invivables parfois, mais d’une vérité impardonnables et imbattables. Comment donc avons nous pu ainsi construire un pays pendant plus d’un demi siècle, en continuant de faire de l’entrée dans une simple école de médecine un tabou ? Mais comment avons nous laisser s’en aller tant de petits gamins, parce que nous ne voulions pas mettre en place les structures appropriées pour leur émancipation professionnelle dans tous les domaines ? Comment supportons nous encore qu’il soit impératif de s’expatrier pour accomplir un rêve de devenir pharmacien ? Comment donc expliquer, que tant de petits génies se soient planqués chez les autres, avec peu de chance de nous revenir ?
La douleur de cette jeune maman nous accuse, la maman de cette jeune fille de cinquième année de médecine, morte engloutie par des eaux vengeresses et rageuses, comme pour signifier à toute la société camerounaise, qu’elle n’a cessé de se tromper depuis 1960, qu’elle n’a jamais pris le bon chemin, et que sa jeunesse à travers les cadavres, demandera des comptes. Comment arrêter donc les sanglots de ce père, qui ne reverra plus jamais son fils dont le corps est devenu un repas gratuit pour toutes sortes de prédateurs des mers ?
Si la réalité de nos jours fonde les peuples à juger leurs gouvernants et à demander des comptes, notre cas relève d’une gravité sans pareil. Rien ne justifie que des milliers de fils et de filles de ce pays en soient à s’enfuir pour aller chercher une formation ailleurs, y compris sous des cieux moins cléments et sévères. Dans les rues de Dakar, dans les allées des campus de Lomé, Cotonou, Bamako, Kinshasa, Madagascar, etc., il sont des centaines, reprenant les mêmes refrains de l’expatriation pour cause de discrimination, pour cause de subjectivisme dans les concours et les recrutements dans la fonction publique.
Je n’encouragerai personne à fuir tant son pays, tant tout nous donne raison sur le fait que nul ne saurait abandonner à autrui, le soin de construire sa maison et de corriger les justices sous son toit. Pourtant, je procéderai d’une injustice condamnable, d’une myopie volontaire et d’une malhonnêteté inexcusable, si je me refuse à comprendre le sens du message de ces partants, de ces morts.
Les morts de Conakry nous accusent, pour avoir joué avec le destin d’un peuple, laissant bien souvent les décisions qui sont bonnes, pour orchestrer les mauvaises, parce que nous redoutons telle ou telle ethnie, telle ou telle personne. Il est arrivé, semble-t-il, que des lois soient édictées dans un pays, juste pour nuire à un individu. Il est arrivé que pour une famille, une poignée d’amis, un clan ou même une secte, l’intérêt de tout le pays fut bradé, vendu à vil prix, balancé dans une poubelle de l’histoire, ou enfermé dans un coffre hermétique.
Les morts de Conakry nous accusent, et récitent à notre attention, les nombreuses mises en garde que certains vont entendre de la bouche des chefs de culte tous les dimanches, et continuent de faire comme si la terre appartenait à leur famille ou à leur village. Il ne faut pas aller chercher plus loin dans la mer, les causes de ces morts qui n’ont besoin ni d’autopsie, ni de livret médical, ni de bilan de leurs vaccins. Nous en sommes la cause unique, nous, nous notre système de gouvernance depuis cinquante ans avec ses imprévisions, ses oublis, ses haines et ses errements explicites ou implicites. A un jeune qui me montrait comment l’on avait passé le temps à affecter ses notes de deuxième année de droit à une charmante étudiante qui n’avait jamais mis les pieds à la fac et qui passait brillamment ses examens, j’ai écrasé secrètement une larme en silence, des larmes de désespoir, des larmes qui accusent.
Les morts de Conakry nous accusent, parce que dans la lecture du monde et dans la conduite de notre société, la prédation est le modèle d’action et de référence déposé. Nous avions bâti une Constitution il y a moins d’un temps, moins d’une génération. Mais voici que sous des prétextes confus, touffus et battus, des sirènes d’une amère insolence, nous pressent de la jeter tantôt à la poubelle, tantôt de la brûler, tantôt de l’adapter à des humeurs folles sans réel justification pour le peuple pauvre de Dieu qui n’a ni armée, ni police, ni montagne de billets de banque pour signifier son refus. Comment dire à ces mêmes apôtres de tous nos malheurs et de toutes les causes de notre mort prochaine, que la révision de la Constitution dans leur esprit et dans leur sens, fait partie de ce que ces enfants de Conakry ont cru fuir ?
Les morts de Conakry nous accusent, pour notre hypocrisie ambiante, consistant à proclamer la solidité de la République et de l’Etat de droit, en violant nos propres lois chaque jour, en laissant libre cours à la généralisation d’une idéologie du vol, de l’argent facile, et aux doctrines des sectes qui ne croient plus qu’en la force, au matériel, et la perdition du corps et de l’esprit. Les enfants ne reviendront pas, parce qu’ils ne sont plus membres des êtres vivants qui aspirent et rêvent d’un lendemain même incertain. Les enfants sont morts, pour exprimer une cause très grave, celle de l’immigré involontaire qui s’en va le sac au dos, avec la promesse de revenir pétri de force, de culture, de compétence et de mérite pour défier ceux qui les ont contraint dans cette galère.
Les morts de Conakry accusent, tous ceux qui, imbus et repus, ils n’entrevoient pour demain, que la continuité de leurs privilèges, de leurs pouvoirs et de leur domination. Non, ne dites pas de ces morts qu’ils sont morts. Dites de ces morts qu’ils se sont sacrifiés sur l’autel des égoïsmes vengeurs, qu’ils se sont élevés en martyrs des temps, pour purifier volontairement ou involontairement, une société que nous avons détruite. Nous sommes un scandale naturel par notre richesse, mais au lieu d’en profiter, nous avons transformé notre destin en scandale tout court.
Les morts de Conakry nous accusent et nous imposent des leçons, au bout des indispensables condoléances. A chaque parent sa douleur, que nous ne pourrons jamais partager jusqu’au bout de leurs souffrances. Pourtant, c’est un pays qui est par ces morts, à nouveau mis en cause, planté dans le décor des imprévisions et des accusations. Courage, mon cher Cameroun.
Une fois n’est pas coutume. Le gouvernement camerounais a dès l’annonce de ce drame, pris des mesures qui ne sont pas habituelles dans sa pratique connue à ce jour. Il faut rendre honnêtement à César ce qui lui appartient, et lui savoir gré dans ces circonstances dramatiques, de s’être pour une fois manifesté avec le genre de promptitude que les citoyens sont en droit d’attendre de leur gouvernement. Pourvu que demain soit différent, et qu’au delà, le message et les accusations de Conakry soient entendus !
Source: Le Messager
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