Le Cameroun est ce qu'il est. Il y a des choses qui vont plutôt bien, et des choses qui ne vont pas très bien. Et malheureusement, celles-ci sont souvent nombreuses.
Nous avons par exemple le comportement de certains policiers, sur les routes, dans la lutte contre la délinquance ou dans le traitement des manifestations. Nous avons l'administration, avec des maux connus (lenteurs, tribalisme, corruption). Bref les problèmes ne manquent pas.
Des problèmes qui se manifestent par le comportement individuels ou de corps des membres des différentes administrations, en gros, des membres constituant l’État.
Face à ces comportements, il est compréhensible que le citoyen importuné en vienne à vouer aux gémonies ces différents corps. En disant par exemples quelques unes des formules que l'on retrouve (à tort ou à raison) dans la bouche des Camerounais et que l'on connaît bien :
. Les policiers sont tous corrompus
. Cela ne vaut même pas la peine d'aller à l’hôpital si tu n'es pas plein aux as.
. La justice de ce pays est pourrie. Si tu n'as rien, tu ne peux pas rentrer dans ton droit.
. Nous avons une armée qui ne sert que les desseins de dictature du régime, réprimant les manifestations pacifiques alors que les coupeurs de route les dépassent.
[...]
Et autres formules toutes plus lapidaires les unes que les autres. Et bien entendu, le summum est atteint avec le fameux « Biya dégage » et ses variantes « Tout sauf Biya » ou « Kick Biya ». Car si Biya agit mal, c'est à travers son gouvernement et l’État qu'il a mis en place. L’État et donc les individus et les différents corps qui le composent.
Car les différentes critiques à Biya le sont toujours par rapport à un ou plusieurs aspects de la société et du travail de l’État. « Biya dégage » signifie « Biya, sur tel(s) ou tel (s) aspect (s), je trouve que tu n'as pas assuré », et chacun de ces aspects est en faillite du fait donc des individus et des corps chargés de le mettre en application.
Ce qui nous interpelle, c'est quand des candidats déclarés à la prochaine élection adoptent ce même discours. Il n'est pas rare de retrouver quelques uns de ces candidats s'adonner à ces diatribes :
. Je suis victime de l’État policier de Biya, je demande donc l'Asile en France. Mais je suis candidat.
. Je suis victime de la police violente de Biya. Voyez comment le 23 février dernier, je me suis faite arroser en levant les bras en V, en signe de résistance à l'oppression.
. Il y a le choléra en plein 21ème siècle à Yaoundé. Comment ne pas dire que le système de santé est complètement nul ?
. Kick Biya, c'est mon mot d'ordre.
Mais est ce là un rôle que doivent jouer les candidats ? Nous pensons que « Non », pour les raisons suivantes :
Risque de rupture avec une partie des citoyens
Imaginons un commentateur sportif qui soit aussi un coach en attente de boulot. Les émissions sportives en regorgent. Imaginons maintenant que face aux prestations calamiteuses d'une équipe, ce commentateur passe son temps à dire à quel point cette équipe est nulle, à quel point les joueurs (ou certains d'entre eux) sont faibles et incompétents.
Imaginons maintenant que le coach de ladite équipe soit en instance de départ et que notre commentateur postule pour ce job. S'il en devient le coach, quel rapport aura t'il avec les joueurs après les avoir critiqués ?
C'est la même chose quand il s'agit du candidat. Après avoir dénigré les membres de l'armée, de la police, du corps médical ou de la douane, comment pourra t'il être amené à travailler avec eux ? Car il faut bien comprendre que la continuité de l’État implique que le nouveau dirigeant travaille avec les fonctionnaires qui servaient sous le régime précédent.
Nous comprenons là, que de la part d'un candidat, la simple critique, la dénonciation ou le dénigrement ne saurait être une posture efficace. Notamment eu égard à cette continuité de l’État. Même en Tunisie ou en Egypte où les changements ne se sont pas faits de manière structurée (élections), les manifestants ont su faire ami / ami avec l'armée qui les maltraitait sous le régime précédent.
Cela ne signifie pas qu'il ne faille rien faire ou rien dire. Bien au contraire...
Deuxième limite de la simple critique : La reproduction de l'existant
Reprenons la métaphore de notre coach sportif. Imaginons qu'il arrive à se faire pardonner de ses critiques précédentes par ses joueurs et que ceux-ci acceptent de travailler avec lui en lui pardonnant les attaques précédentes.
Si le nouveau coach ne met rien de différent en place, l'équipe continuera à avoir les mauvais résultats qui ont entraîné le changement de coach. On constatera alors que ce qui l'intéressait, c'était juste le fauteuil de coach, et non pas l'amélioration des résultats de l'équipe. Les critiques n'étaient qu'une manière d'attirer le chaland.
Si on revient à ce qui nous intéresse, à savoir le candidat souhaitant être président, l'analogie est faite quand le président fraîchement élu ne corrige aucun des maux précédemment dénoncés. L'armée qui « tuait pour l'ancien régime », se retrouvera en train de « tuer pour le nouveau régime ».
Tant que les causes profondes des symptômes constatés n'auront pas été mises en exergue, et corrigées, le système continuera de fonctionner comme précédemment, au nom de la continuité de l’État.
Des propositions argumentées
Pour sortir de la simple critique qui ne corrige pas les maux (eut égard à ce que nous avons dit précédemment), des programmes politiques sont demandés aux candidats. Malheureusement, ce que l'on constate la plupart du temps, ce n'est qu'un énoncé de promesses. Par exemple :
. ouvrir un musée culturel dans toutes les régions
. atteindre 10% de croissance en 5 ans
. créer un organisme de gestion du chômage des jeunes
. Créer une usine de tracteurs
. Subventionner l'agriculture
. Résoudre le problème anglophone (lequel? comment?)
Ce sont là quelques unes des promesses que l'on retrouve sur des sites internet de quelques uns des candidats. Elles ne diffèrent en rien des promesses que l'on retrouve du côté du parti au pouvoir. Ce qui manque, c'est l'exposé des root causes qui entraînent les symptômes.
C'est la manière de contourner les root causes en tenant compte des réalités locales, des voies et moyens d'atteindre les objectifs, et en prévoyant les effets de bords des mesures qui seront prises. Sans cela, cela qui montre que la réflexion a été sérieuse et que la résolution des problèmes est possible, alors on restera dans le statu quo, même si changement de régime il y a.
Pour en revenir à notre métaphore footballistique, le coach aspirant, après avoir critiqué les joueurs va dire « il faut qu'il cadre ses frappes, il faut qu'il centre mieux, il faut qu'il court plus vite, etc. », bref un énoncé de poncifs. Sans tenir compte du fait qu'avec les joueurs dont il dispose, la qualité du terrain, il faut peut être repenser le système de jeu (augmenter le nombre de milieux, recentrer le jeu, etc.), en prévoyant que cette refonte corrigera certains maux, mais en créera peut-être d'autres (effets de bord).
Il doit avoir tout cela à l'esprit quand il demande à reprendre le poste. De cette manière là, il n'aura pas besoin de critiquer les joueurs ou les travailleurs existants. Il dira « il y a tel ou tel problème. Ça vient de ceci ou de cela. Je pense qu'on corrigera en modifiant ceci ou cela, mais attention, il faudra être plus vigilant sur tel effet de bord ». De cette manière, le personnel existant ne vit pas la critique de manière personnalisée, et il peut même se reconnaître dans le nouvel objectif s'il comprend le processus de mise en œuvre.
C'est cela que nous pensons que le candidat sérieux doit faire : Tenir compte de la continuité de l’État. Sinon, on comprendra vite qu'il ne l'est pas, sérieux.
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