Une famille polygame
Dans la salle des actes de la mairie de Douala pleine à craquer, Richard et Flore sont sur le point de sceller leur union. Mais, au dernier moment, un problème surgit : l'homme tient à se marier sous le régime de la polygamie et sa fiancée ne le veut pas. Quelques instants de conciliabule et elle cède : mariage conclu ! Félix, un jeune homme de Nkongsamba (135 km à l'ouest de Douala) a dû, lui, user de persévérance pour convaincre Charlotte de signer. Ils ont dû se présenter trois fois devant le maire avant de légaliser leur union. "Je n'ai pas véritablement l'intention de prendre un jour une seconde épouse, mais il faut prévoir des garde-fous, car, avec les femmes, on ne sait jamais ce qui peut arriver", se justifie Félix.
Au Cameroun, la loi permet aux futurs mariés de choisir entre la monogamie, qui implique l'attachement exclusif de l'homme à une seule épouse, ou la polygamie qui lui permet légalement de prendre d'autres épouses. Les polygames sont de plus en plus rares, surtout en ville, car la vie y est devenue trop chère. Cependant, de nombreux Camerounais choisissent toujours cette seconde option, plus pour soumettre leur première épouse que pour pouvoir en prendre une seconde. "L'option 'monogamie' fait que l'épouse est orgueilleuse et se croit tout permis, consciente que son conjoint devra d'abord passer par la justice et obtenir un divorce avant d'envisager une autre relation", explique Jean-Claude, marié depuis 23 ans à une seule femme sous le régime de la "polygamie". Il justifie ce choix par son souci d'éviter les tracasseries judiciaires du divorce en cas de problème dans son couple.
Certaines Camerounaises le comprennent bien ainsi et n'y voient pas d'inconvénient. Pour elles, l'essentiel est qu'on leur passe l'alliance au doigt pour être respectée dans la société. "Pour moi, être mariée, c'est être mariée. Le régime n'est qu'un détail dans la mesure où les hommes entretiennent toujours des seconds bureaux qui ont parfois un statut bien plus enviable", soutient, lucide, Françoise. Elle parle en connaissance de cause : mariée sous le régime monogamique, elle élève sous son toit deux enfants de son époux, nés de relations extraconjugales. En plus des quatre siens…
Une violence faite à la femme
La plupart des tribus du Cameroun sont traditionnellement polygames. Les rois ont parfois des dizaines de femmes, le pouvoir se mesurant au nombre d'épouses et d'enfants. "Chez nous, le mariage est traditionnel et donne par essence la possibilité à un homme d'avoir autant de femmes qu'il le désire. L'acte de mariage qui permet souvent aux femmes de contester ce droit est une affaire de Blancs", estime Moubitang, un haut fonctionnaire, petit-fils d'un chef traditionnel dans la région du Centre. Il s'est marié sous le régime polygamique pour ne pas trahir ses ancêtres, et surtout le roi dont il porte le nom. Mais il n'a toujours qu'une femme.
Rosine Ngwem, présidente de l'antenne Littoral de l'Association pour la lutte contre les violences faites aux femmes, reconnaît que la polygamie est culturelle et légale. Mais pour elle, "c'est une violence faite à la femme car savoir que l'on partage son mari avec une autre, fut-elle la coépouse officielle, fait toujours mal". Elle conseille aux femmes de toujours proposer que la mention "polygamie" soit au moins suivie de la mention "domicile séparé pour chaque épouse".
Secrétaire d'état civil depuis une vingtaine d'années, Mathieu Ehawa constate que, depuis un peu plus de cinq ans, les couples optent plus pour la monogamie. Ils sont actuellement 55 % à le faire. Un retournement de tendance favorisé par la prolifération des Églises qui prêchent l'attachement à une seule femme et ne bénissent que les couples qui choisissent la monogamie. Tout chrétien légalement uni à plusieurs épouses est excommunié et ne peut recevoir les sacrements
Source : Jade Cameroon
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