Le Dr Shanda Tonme, président du COMICODI
Note de la rédaction : Le Dr Shanda Tonme répond
ici à Achille Mballa, qui avait rédigé une lettre ouverte concernant Yves Michel
Fotso intitulée :
non contre la pensée unique.
Mon très cher compatriote,
c’est avec beaucoup d’intérêt et d’admiration que j’ai lu, dans l’édition du 26
septembre 2008 du quotidien Le messager, ta réflexion que tu voudrais sublime,
concernant la sortie médiatique de monsieur Yves Michel Fotso, Vice-président du
Groupe Fotso, dont l’implication, à un titre ou à un autre, dans quelques
affaires, fait l’objet des enquêtes dans le cadre de l’opération Epervier.
Je tiens franchement à te féliciter, pour cette capacité à dompter l’histoire de
l’Europe, particulièrement tous ces versets philosophiques et littéraires, qui
donnent de la consistance et prouvent la constance voire le sérieux de la
formation. La tienne, à en juger par la densité des références, des symboles
étalés, et des dogmes, mérite d’être saluée à ses justes mérites. Bien que je
sois libre de juger de l’utilité de faire appel à tant de leçons lointaines et
de démonstrations puisées des autres civilisations, pour expliquer à l’Africain
au Sud du Sahara pourquoi il a la peau noire, je conviens honnêtement qu’il faut
être d’une réelle brillance intellectuelle pour se situer à ton niveau.
Félicitations donc, et surtout merci.
Je dois d’abord fixer le contexte de ma réaction, et le cadre de ce que je veux
présenter comme une contribution et non une polémique, encore moins un combat de
bonnes têtes en quête de fanatiques auprès du peuple.
Lorsque j’ai terminé la lecture de ton texte, je me suis senti un peu mal, mais
j’ai vite repris courage. En fait, je continue de craindre les épithètes qui
nous ont joué un si mauvais tour pendant les années de braise, et divisé
profondément la gente instruite de notre triangle. Je viens d’ailleurs de
commettre à l’Harmattan, un livre dont le titre, autopsie de la décrépitude de
l’intelligentsia camerounaise, retrace l’histoire de cette épopée qui
malheureusement continue de causer un tort immense à la génération.
Je te prie vraiment, de me considérer comme le plus commun des citoyens et de ne
point tenir compte de tous les noms de vedette, de provocateur, d’agitateur, de
défenseur de l’ethnie, d’opposant, ou d’éternel révolté que quelques-uns se sont
empressés d’imprimer sur mon identité publique. Je suis ton frère, citoyen
concerné et consterné par la marche de notre pays depuis ma tendre enfance. Nous
vivons donc tous un drame d’orientation qui finit par installer l’obscurité dans
la projection de notre destin, en ruinant au passage toutes nos valeurs les plus
immédiates et les plus collectives. C’est donc normal que l’opération Epervier
soit vécue, comme une perche que l’on pourrait ou devrait saisir pour toutes
sortes de réparations, d’agitations aussi.
Simplement, c’est dans les moments d’unanimisme de nature à fonder des croyances
absolutistes, ce que tu désignes pensée unique, qu’il faut réinventer, réveiller
le citoyen fondamental, sans qu’il soit besoin que celui-ci fut un de ces
Docteurs en civilisations étrangères. Je me suis depuis vendu à la vindicte des
puissants, disposé à accepter des coups, à renoncer à l’affection de ma
grand-mère, aux éloges et aux amitiés des proches, pour la cause de la vérité et
de mon indépendance d’esprit. Notre pays en a besoin, car des sacrifices, il y
en a pas encore assez, et sans ces sacrifices, point de véritable peuple libre
et digne.
Maintenant, je m’interroge profondément sur le sens des observations et des
affirmations véhiculées par ta réflexion. D’entrer, tu proposes “ d’examiner de
façon rationnelle, c'est-à-dire de façon critique les impensées ou les non-dits
de cette gigantesque opération de communication ”. Tu affirmes ensuite, en
t’aidant de moult citations, rappels d’histoires européennes, et survols de
quelque temps forts de la vie politique trouble du pays, que le postulat de
tentative d’aliénation de l’opinion publique, est incontestable, vérifié. La
vérité ne tirant son origine que de la confrontation, la sortie de Yves Michel
Fotso, ne serait qu’une cabale de mauvais goût, tissée, avalisée ou rendue
potable, par une pléiade de journalistes dont le professionnalisme n’aurait été
d’aucune contribution.
Enfin, Yves Michel Fotso devra rendre compte à la justice des actes qui lui sont
reprochés. Cette conclusion est atteinte après une autre course dans l’histoire,
mêlant le sage athénien.
Mais Yves Michel a-t-il jamais demandé un traitement spécial ou particulier ?
A-t-il refusé de répondre à une convocation ? A-t-il refusé de produire une
preuve, un document, un témoignage ? N’a-t-il pas au contraire produit plus de
25.000 pages de papiers ? N’a-t-il pas rendu public quelques papiers
révélateurs, à l’exemple de ce premier rapport après six mois au four et au
moulin ? Ne souhaite-t-il pas au contraire que toute l’affaire aille vite ?
N’a-t-il pas rendu public le document qui prouve que son prétendu contradicteur
ou dénonciateur, n’est qu’un vrai faussaire, un aventurier, un de ces fugitifs
qui surfent avec des nationalités étrangères pour tromper tout le monde de tous
les côtés et impressionner les naïfs ? Comment un individu sans aucune référence
a-t-il pu prendre pieds dans les comptes de la société ? N’est-ce pas le même
individu de sale vertu qui se retrouve dans le lancement des intrigues en
Suisse, en France et ailleurs ? Tout cela ne te bouges pas. Bien au contraire,
les éléments probants livrés à l’intelligence publique te dérangent. Tu aurais
voulu qu’il soit coincé, que ces documents n’existent pas, oui ou non ?
Mon frère,
Ce qui m’inquiète infiniment, c’est le risque que je perçois, que tu aies en lieu
et place d’une explication rationnelle, plongé dans une logique d’inquisition et
de soupçon. Je crains fort que tu ais manifestement refusé de juger les propos
de Yves Michel Fotso à leur juste dimension, contenance, signification,
cohérence et portée. Je crains même que tu aies dès le début, raté l’enjeu, parce
que tu as tout de suite crée un subjectivisme dans la considération que tu
réserves à l’accusé.
D’abord de cette présentation fort injuste, inappropriée, et malicieuse : “Jeune
loup de la finance et accessoirement fils de son père”. Il y a manifestement
soit une déformation de la fréquentation des lectures sur les aventures de
quelques feymens, ou alors, volonté expresse de banaliser le sujet, de le
ramener à ces spéculateurs effectivement jeunes, (25-40 ans), qui écument les
allées de quelques banques et se cherchent par des voies et selon des méthodes
trop pressées, hors de toute considération éthique. Abandonne honnêtement cette
présentation, et il sera possible de mieux valoriser ton message, pour une
entreprise de bonne foi. La vérité c’est, ici, que nous ne sommes pas en
présence “d’un jeune loup”, ni “du fils de son père” au sens impropre du terme.
J’ai confessé lors d’un entretien télévisé, que de ce monsieur, je ne connais
presque rien de plus que ce que connaissent les autres Camerounais, ce qui est
vrai. Je veux te dire que je ne manquerai point de respect pour ces gens qui
parviennent à offrir ce qu’Alain Foka appelle justement, une autre image de
l’Afrique, celle qui travaille, qui peut bâtir, construire, conquérir le monde,
créer des richesses, et ouvrir des alternatives autres que la résignation, le
désespoir, le complexe et la subordination. Je vois déjà ici un de nos points de
divergence. Je veux pouvoir citer Paul Soppo Priso, Victor Fotso, Aladji Abo,
pour les affaires, et les autres Mongo Béti, Wolé Sonyka, Amadou Kourouma,
Léopold Sédar Senghor, Ferdinand Oyono, Bondjawo, Cheick Anta Diop, Tchundjan
Puémi, pour les sciences et les lettres. Voilà pourquoi Yves Michel Fotso n’est
point à mes yeux le genre dit “jeune loup”.
Parce que je ne connais aucune autre
expérience de réussite de même ordre qui fasse notre fierté, j’ai du respect
pour le Groupe Fotso. Ne prends point ombrage pour ma loyauté patriotique, au
point d’en déduire une faiblesse qui frise l’obstruction de la justice. Ni les
journalistes que tu mets en cause, ni moi-même, ne sommes partisans de
l’obstruction de la justice. Nous nous sommes battus pour cela en 1990, et je
suis de ceux qui ont subit pour cela, les foudres des protecteurs de l’ordre
établi. Tous ceux que tu as cité ont fait et continuent de faire l’histoire. Ils
n’ont pas changé, à preuve, les récents malheurs du patron de Equinoxe TV. Des
chagrins, des investissements perdus, compromis. Et la radio du Groupe Messager,
bâillonnée, incendiée, tuée dans l’œuf. C’est grave.
Je veux qu’il soit su, que je me suis répandu à l’intérieur de ce pays comme à
l’extérieur, en dénonciations, en déclarations de vengeance, et en appels à
l’unisson, contre Yves Michel, n’acceptant pas que l’on soit né avec une
cuillère en or entre les lèvres, et que l’on fasse preuve d’indélicatesses à
l’égard de la chose publique. Je veux en retour, qu’il soit aussi su, et c’est
ce qui caractérise mon suicide auprès des idéologues de l’ordre établi, que j’ai
promptement écrit à l’intéressé, pour lui dire mes félicitations, mon soutien,
et ma satisfaction citoyenne, après sa sortie médiatique. L’une de mes
faiblesses c’est la rapidité avec laquelle, je fais mon autocritique, au risque
de nouer la corde pour me pendre. Je me sens néanmoins plus à l’aise ainsi :
m’excuser après avoir, même dans le secret, insulté quelqu’un, manqué de
respect, ou comploter involontairement contre la vérité.
Je n’en suis pas à le traiter, Yves Michel Fotso, de sain des sains, et encore
moins de personnalité au-dessus de tout soupçon. Je parle d’un homme d’affaires
multidimensionnel qui ne manque pas de tares, ni de travers comme l’on en trouve
chez ces espèces. Mais je parle aussi, et j’en ai conscience, d’un être humain
qui a à cœur, de défendre son honneur, de démontrer son innocence, et de
préserver sa réputation. Je ne veux point entendre ce qui ressemble à une
interrogation sur le bien fondé ou l’opportunité de sa sortie médiatique. Je lui
laisse la responsabilité de son choix d’adulte, de créateur d’entreprises, et de
gestion des milliers de salariés dont le sort pourrait bien dépendre, tu t’en
balance, du moindre geste négatif ou positif, explicite ou implicite.
Cher
compatriote,
Voici planté encore un autre point fort de notre divergence. Tu sembles
t’accommoder avec une étonnante liberté de ton, du retrait du passeport d’un
opérateur économique dont les mouvements transfrontières, constituent
l’essentiel du socle du pouvoir de management, et conditionnent la continuité de
la prospérité. Jamais l’on ne perçoit le moindre soupçon de positivité même
relative, dans la présentation psychologique que tu fais de l’affaire. Les
ennuis, en fait les privations subis par Yves Michel, semblent te réjouir, et je
ne suis pas loin de penser que tu voterais tout de suite, les yeux fermés, pour
son embastillement dans l’une de nos prisons. Il ne faut pas aller chercher
auprès des philosophes grecques, ni dans les multiples thèses qui illuminent les
rayons des bibliothèques des Ecoles des hautes Etudes en sciences sociales, pour
comprendre le dessein final, de ceux qui attendent avec impatience, de voir
conduire Yves Michel Fotso en prison, menottes aux poings.
En fait, les enjeux sont énormes, et je m’en veux toujours d’être celui qui
crève les abcès, sans même plus craindre que l’on finisse un jour par me crever
les yeux. Mais, pourquoi craindre tant, si c’est pour aller rejoindre Sankara au
ciel, et avoir des nouvelles de Patrice Lumumba !
La réalité dans ce qui est dit, c’est cette volonté d’unité nationale abjecte
dans le malheur ou les malheurs, selon la tradition satanique de l’équilibre, de
la constitution inéluctable et inévitable, d’une équipe des “ lions indomptables
” derrière les barreaux sales et infects de la République. Et puis, cette petite
ruse qui voudrait que l’on ne rate aucune occasion pour désacraliser les
richesses de quelques-uns, le mythe du travailleur de quelques citoyens, le sens
de l’épargne et de la patience de quelques villages électoraux.
Cher compatriote,
Tu mets l’exigence de contradiction au centre de ton postulat de “tentative de
manipulation de l’opinion”. Voilà ! Mais que dit le mis en cause, ton jeune loup
? Allons chercher, fouiller, piocher, partout, même sur des prête-noms, ce que
j’ai pu, même par inadvertance, faire atterrir dans mes comptes. Comment
prends-tu ce défi que personne ne semble vouloir relever ? Que pourrait dire de
plus contraignant, un accusé dans cette situation ?
Je m’excuse, mais je veux me faire à mon tour inquisiteur. Nous parlons donc des
sciences sociales, dans ce qu’elles ont de lecture sociologique, de
manipulations statistiques, de faits historiques, et de vérités
anthropologiques. Comment n’arrivons nous pas, nous aidant de ses outils connus,
à décrypter le contexte camerounais avec ses mille rivalités, confrontations
ouvertes, ségrégations ethniques, et règlements des comptes, par ces temps de
fin de règne ? Il me semble, que le genre de l’intellectuel prolifique que je
perçois dans ton identité académique, est capable de ne pas se tromper de
combat, à moins de choisir de verser, dans l’espèce de facilité qui voulait,
dans les années de braise, que la vérité, dès lors qu’elle n’était plus dans la
ligne de compréhension du pouvoir et du clan tribal régnant, fut tout de suite
considérée comme une manipulation, une tromperie, le désordre d’un trio de
publications que l’on baptisa la sainte trinité.
Enfin, je te renvoie à ces histoires européennes, puisque c’est seulement là-bas
que tu trouves des sources pour crédibiliser tes arguments et empoter la
conviction des Africains. Je veux tantôt évoquer l’affaire Dreyfus, le capitaine
Dreyfus, injustement accusé et sacrifié surtout parce qu’il était juif. Je
t’invite à penser à Zola, Emile Zola, et son rôle dans cette affaire, sa
lumière, son engagement solitaire qui paya. Souviens-toi donc de ce mémorable et
inoubliable j’accuse qui ébranla la France et montra la consistance d’un
intellectuel accompli, vertueux, courageux. Moi, je préfère ce rôle-là, et tant
pis si pour certains, à cours d’arguments, trouveront en Shanda Tonme,
l’artificier de l’ethnie.
Ton propre rôle devrait donc être repensé, de façon ardue et contextuelle, pour
échapper aux étiquettes, que ne manquent pas de trahir, la phonétique des noms.
Il faut ainsi craindre de tomber dans la légèreté cruelle, impardonnable.
Non, il ne peut pas s’agir de légèreté, c’est plutôt de calcul, de réflexion de
stratège. Mais il est constant, que nul auteur français, nul savant américain,
et nul conquérant chinois de l’espace, ne trouvera dans sa culture propre, des
éléments pour expliquer ce qui se passe chez nous, ce qui nous est propre.
Laisse donc ces gens tranquilles et parle-nous de notre affaire avec les
réalités camerounaises. Les équations mathématiques qui sont en œuvres dans
l’affaire, sont camerounaises, et sans doute qu’à trop recourir aux équations
mathématiques parisiennes, tu n’y comprends rien, pas assez, ou trop peu. Je te
concède donc des circonstances atténuantes, en réitérant toute mon admiration
pour ton immense savoir. C’est aussi notre force, que de mieux connaître les
autres civilisations plus qu’elles ne connaissent la nôtre. L’embêtant c’est
tout de même que nous n’en avons rien fait, et que nous nous sommes aliénés un
peu plus, confondant des capitaines d’industrie avec des feymens, et mélangeant
tout avec tout.
Je veux croire que tu m’as compris et je te remercie pour ton attention, mais
pas avant d’avoir réaffirmé, le droit de chacun de nous, d’avoir une opinion
divergente, de convoquer les auteurs et la culture de son choix, de se faire le
procureur public, d’un instant.
L’essentiel, c’est que nous gardions présent à l’esprit, le centre et
l’importance de l’enjeu : le destin du Cameroun.
|