Des conditions de travail exécrables sont à déplorer
La mort d’Emmanuel Ntonga Ntonga, mécanicien à Hevecam, une société de production du caoutchouc établie à Nyete dans le sud-Cameroun, est désormais considérée comme un cas d’école en matière d’accident de travail. Cet homme est décédé à quarante-six ans, broyé dans une machine de broyage d’hévéa dans l’usine de la société à une quarantaine de kilomètres de Kribi. C’était le 23 juin dernier en mi-journée. La broyeuse ne fonctionnait pas normalement. Il y est entré pour poser son diagnostic et détecter éventuellement la panne.
Arrivé dans l’usine après lui, le directeur, M. Gopi Nathan, a ordonné au chef mécanicien de mettre la machine en fonctionnement pour voir lui-même ce qui ne va pas. Ne sachant pas que le très dévoué Ntonga Ntonga était à l’intérieur de l’appareil, ce dernier a appuyé le bouton de mise en marche. L’engin a ronflé. Deux minutes après, des manœuvres ont entendu des bruits suspects – ce sont les os qui se fracassaient – et ont arrêté. A la place de l’hévéa broyé, c’est plutôt du sang et de la viande hachée qui venait en bloc. Et c’est avec le sceau qu’un employé a recueilli, ramassant avec les mains, les restes d’Emmanuel.
Arrêt de travail
Suite à l’accident fatal, un arrêt de travail officiel est décrété vers 16h par les délégués de personnels. Le 24 juin, la direction générale a organisé un recueillement. Le 25, le personnel a été informé de la suspension du directeur de l’usine. Le travail a repris. Le 04 juillet, la même direction générale a informé les délégués de personnels de ce que le directeur de l’usine allait reprendre le travail. Refus catégorique des délégués, à cause du climat encore trop tendu dans l’entreprise. Le 09 juillet, une réunion entre les deux parties a avorté.
Le 13 juillet, au mépris des souhaits des employés, la note qui réintégrait le directeur de l’usine est découverte au babillard. Le travail s’est arrêté. La direction générale est allée chercher des gens dans les villages pour travailler à la place des grévistes. Le lendemain, 14 juillet, le directeur de l’usine est arrivé avec sa voiture. Mais les employés avaient barricadé le portail. Intervention infructueuse du directeur général. Le préfet de l’Océan a alors négocié et les choses sont presque rentrées dans l’ordre. Promesse a été faite aux employés de leur payer la prime de risque. La suspension du directeur de l’usine a été maintenue.
Actuellement, les employés sont au travail. Mais le calme observé lundi 21 juillet reste très précaire. La mort d’Emmanuel, en fait, n’était que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Depuis longtemps, les employés réclament le limogeage de M. Gopi Nathan qui excelle, selon eux, dans la brimade. Au-delà des ennuis avec ce « mauvais chef », ils revendiquent l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Le 1er juillet 2008, une pétition a été adressée au préfet de l’Océan, Jean François Vilon. Cette requête réitère les réclamations contenues dans celle du 21 octobre 2005.
Rien n’a été fait…
Intitulée « mémorandum sur la dégradation progressive du climat socioprofessionnel à l’usine et demande de signature d’un accord d’établissement global », la pétition de 2005 avait égrené un chapelet de revendications : l’instauration et/ou la réévaluation de diverses primes, l’institution d’une indemnité de carburant pour tous ceux qui mettent leurs motos au service de la société, l’application intégrale de la convention collective, le respect des prescriptions d’hygiène et de salubrité dans les lieux de travail, etc.
Ce mémorandum signalait déjà que « [i les eaux usées en provenance des bassins de rétention des déchets de l’usine se déversent en amont du fleuve Nyete qui désert les travailleurs en aval est une violation de l’arrêté n° 39 / Mtps/Imt du 23/11/84 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur les lieux du travail […] Pas de prise en charge des employés qui avaient contracté des maladies socioprofessionnelles du fait de l’environnement hautement pollué ainsi que l’inhalation, l’absorption des vapeurs de gaz des produits chimiques, la manipulation des produits chimiques à grande concentration commerciale utilisée à l’usine par les ouvriers. Les cas de mutilation des membres et des morts asphyxiés sur les chaînes d’usinage démontrent l’incommodité et l’insalubrité des travailleurs qui ne sont pas protégés selon les prescriptions en vigueur définies par le Code du travail]…»
La pétition, signée par 272 employés, avait provoqué une réunion tripartite le 17 novembre 2005 entre le préfet de l’Océan, la direction générale de l’époque pilotée par M. Seyman Jean Marc et les représentants des ouvriers. Malgré les engagements pris, rien n’avait été fait jusqu’à ce que Ntonga Ntonga meure… broyé. Le pauvre laisse une veuve et quatre orphelins.
Quelques « accidentés » non pris en charge entre 2007 et 2008
- Akemo Armel (décédé par asphyxie)
- Barora (une jambe amputée)
- Hassouni Abdoulaye (main gauche amputée)
- Foe (main gauche amputée)
- Takougoum (4 doigts coupés à la main droite)
- Amina (4 doigts coupés de la main gauche)
- Mbandi Martine (bras droit broyé)
- Nkouaga Issac (pied droit broyé)
- Essomba Abbe (absorption du latex)
- Nguiamba Jean (blessé par la cuve de stockage)
- Issangou André (bras droit fracturé)
- Nguiamba Fritz (1 doigt coupé)
- Mvondo Jean (un doigt coupé)
- Mbotmeza (1 doigt coupé)
- Bissene Atangana (1 doigt coupé)
-Ibrahim Abba (brûlure des yeux)
- Ondo Jacquard (brûlure d’acide à la cuisse)
- Bibeme Laurent (brûlure d’acide)
- Amboye Laurencin (brûlure d’acide)
- Monayong (brûlure du visage)
- Ndoman Barthélemy (brûlure du visage)
- Mbosso Lucien (brûlure du pied)
- Nembot Petoh (écartement des vertèbres)
- Ayomo Pierre (brûlure des yeux)
- Nanga Raul (écrasement du pied)
- Ngoune Collins (fracture du bras)
- Ngo Lomgoye (brûlure des yeux)
- Tcheguia Kamto (gorge écrasée, il ne parle plus)
- Assongue (évanoui des suites des coups reçus de Gopi Nathan)
- Alo’o Mve Calvin (entorse au pied)
- Njanga Rachel (fracture du pied)
- Ekene Balbine (lésions internes graves causées par l’absorption de la chaux de la laine de soie)
- Ntonga Ntonga (8 accidents en 13 ans de service, broyé par une machine)
Source: Le Messager
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