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Enquête : la mafia du bois au Cameroun
(02/08/2006)
Alors que le secteur forestier pèse d’un poids de plus en plus important dans l’économie camerounaise, l’opacité et les mauvaises pratiques continuent de prospérer.
Par François Bambou

Le 19 juillet dernier, les maires et autorités des communes riveraines des zones d’exploitation forestière ne boudaient pas leur plaisir. L’Etat venait de verser à plus de 70 communes quelque 3 milliards F Cfa au titre de la redevance forestière annuelle revenant aux communes et communautés riveraines. Une manne assurément pour ces communes situées dans la partie la plus pauvre du Cameroun, car certaines communes ont reçu près d’un demi milliard au titre des deux premiers trimestres de l’année en cours. Au total, c’est quelque 35 milliards que les communes reçoivent depuis le début de la répartition des redevances forestières il y a sept ans. Voilà qui prouve que le secteur forestier au Cameroun est en passe de devenir un véritable or vert, qui pourrait d’ailleurs supplanter les cultures traditionnelles de rente. Aujourd’hui, la superficie forestière du Cameroun est d’environ 22 millions d’hectares, dont 17 millions sont réputés exploitables avec rentabilité. De fait, le bois représente déjà 16 % des exportations du Cameroun.

Au ministère chargé des Forêts, on s’en réjouit naturellement : “ La forêt est une des principales sources de recettes d’exportation au Cameroun. Avec une politique d’aménagement durable, elle ne tarira pas comme les sources des industries extractives (mines, hydrocarbures). Le poids du secteur dans l’économie nationale est croissant avec un volume d’exportation de 152 milliards de F Cfa en 96/97 et de 320 milliards de F Cfa en 2004 (estimation) ”. Ce, malgré la baisse de la production liée à l’arrêt de l’exportation des grumes (autres que les essences de promotion). En dix ans, les recettes générées par le secteur forestier et injectées dans le budget de l’Etat sont passées de moins de 2 milliards à environ 50 milliards aujourd’hui.

Là s’arrête, certainement, l’horizon angélique de l’exploitation forestière au Cameroun. Car, il est avéré que les autorités et les exploitants, dans une espèce de complicité tacite, s’acharnent à détruire le patrimoine forestier du pays, sans aucune considération pour les générations futures ni même pour les intérêts présents de l’Etat et des populations. “ Moins d’un cinquième des forêts camerounaises non protégées, situées principalement au centre et à l’est du pays, restent intactes. Seuls 6 % environ (…) des forêts camerounaises sont protégés à titre de réserves ou de parcs nationaux ”, explique un expert. A la vérité, la part de recettes du secteur forestier qui revient aux communes et populations est maigre, à côté de ce que l’Etat engrange, et aussi du manque à gagner subi par l’Etat. C’est une véritable mafia, qui mêle l’Etat aux privés locaux et aux multinationales étrangères qui se sont accaparés de la forêt camerounaise, et qui construit une impénétrable opacité autour de celle-ci.
Dans ce trafic autour de l’or vert, les pontes du régime ont rapidement compris que leurs positions pouvaient leur permettre d’en rajouter rondement à leur fortune. On trouve ainsi, selon une enquête de Forest Monitor, des cas flagrants d’implication des hauts dignitaires dans l’acquisition d’exploitations forestières dans des conditions douteuses : “ Au cours de la série d’attributions des concessions de juillet 2000, trois unités forestières d’aménagement (Ufa) ont été octroyées à Ingénierie forestière, une société liée au fils du président Paul Biya. Le secrétaire général de la Défense possède une concession (Ufa 10-029) qui est sous-traitée par la Société forestière de Hazim (Sfh), une société connue du gouvernement pour avoir exploité de façon illégale et à grande échelle dans la concession voisine (Ufa 10-030) et ailleurs. Au cours d’une controverse récente, six concessions (Ufa) étaient supposées avoir été annulées en raison d’irrégularités, mais trois des concessionnaires ont conservé leurs droits d’exploitation. Tous les trois étaient des généraux de l’armée camerounaise ”, explique Forest Monitor à l’issue de son enquête.

Cette situation, où l’élite politique et militaire s’accapare des pans entiers d’un secteur vital de l’économie, ne peut que nuire à l’équilibre de cette filière sensible. En la matière, les craintes de Forest Monitor sont sérieuses : “ La participation de tels personnages ne bénéficie pas au développement des capacités nationales de gestion de la forêt. Au contraire, elle semble introduire un niveau accru d’engagement politique dans le secteur forestier, ce qui ne peut qu’entraver la mise en application de la loi et ralentir les progrès vers une plus grande transparence et une plus grande responsabilisation. ” Même le concept de foresterie communautaire mis en place pour intéresser les communautés villageoises au partage de l’or vert s’est révélé comme une véritable arnaque. Les populations villageoises, ignorantes, rétrocèdent rapidement leur droit à une société industrielle soi disant experte, qui mène une exploitation sauvage en temps record avant de disparaître, sans le moindre risque de représailles de la part de l’Etat.

La complicité établie entre l’élite politique, administrative et même militaire et les autorités du secteur n’en complique que davantage tout contrôle visant à faire respecter la loi. Plusieurs organisations spécialisées qui ont enquêté sur le phénomène sont formelles : les contrôles effectués par les autorités sont plus apparents que formels. Par exemple, dans la province de l’Est, qui demeure la plus grande zone forestière après la déforestation sauvage menée dans le centre du pays, il y a peu de contrôleurs et peu de moyens mis à leur disposition. Dans la province de l’Est où les sociétés d’exploitation forestière basées en Europe sont prédominantes, il n’y a en moyenne qu’un agent gouvernemental pour 20 000 hectares de concession. La tâche du “ chef de poste ” est de contrôler ce qui se passe dans la forêt et de signaler toute infraction à la loi de façon régulière. “Peu de ressources sont mises à la disposition de ces fonctionnaires pour faire leur travail : ils ont peut-être une moto mais pas de carburant ni d’autre ressource. (…) Beaucoup de ces procès-verbaux disparaissent au sein du Minef soit en échange de pots-de-vin payés au personnel du ministère ou plus haut, soit les procès-verbaux sont gardés dans un dossier qui servira aux fonctionnaires pour extorquer de l’argent aux sociétés qui devraient sinon payer une contravention ”. Samuel Nguiffo, du Centre pour l’environnement et le développement (Ced) ne dit pas autre chose : “ Une étude récente réalisée dans la province forestière de l’Est indique que 21 % des procès verbaux dressés par des fonctionnaires de l’administration des forêts pour activités illégales dans le secteur forestier véreux étaient “ arrêtés sur intervention d’une haute personnalité ” ”. Le secteur est certes devenu, très vite, un gros pourvoyeur d’emplois, avec près de 100 000 emplois. Mais il s’agit, pour l’essentiel d’emplois peu qualifiants (manœuvres, conducteurs d’engins lourds, etc.) et mal payés. Le transfert de technologie que l’on avait espéré en interdisant l’exportation des grumes autres que des essences peu connues en promotion, n’a pas eu lieu. De vieilles usines de coupes ont été démontées simplement dans les pays où l’activité sylvicole est en berne pour être reconstituées au Cameroun. Les emplois créés ne sont pas plus durables, puisque les exploitants forestiers avancent au fur et à mesure que la forêt recule.

Si tout le monde clame la transparence dans la filière, personne n’est véritablement prompt à l’appliquer. On l’a vu, l’élite politico-administrative du pays profite largement du flou actuel pour s’enrichir sur le dos des générations futures. Même les communes riveraines des zones d’exploitation forestière sont de moins en moins enclines à exiger la transparence dans l’exploitation. Tout le monde est complice de tout le monde. En la matière d’ailleurs, la gestion des redevances forestières annuelles versées aux communes et aux communautés villageoise reste un sujet de grande préoccupation. Ces communes à qui les redevances forestières apportent près de 10 fois plus que leur budget ordinaire, sont restées engluées dans la pauvreté. On parle d’auditer la gestion des 35 milliards F Cfa déjà versés à ce titre. Mais l’enthousiasme de ces édiles est si tenu que tout le monde a intérêt à se taire. Même au sein du gouvernement, on n’est pas pressé d’imposer des normes et pratiques transparentes dans la gestion du secteur forestier. La publication récente des Ufa attribuées, une vieille exigence du Fonds monétaire international, n’a été possible que sous la pression des bailleurs de fonds.
Cette loi du silence n’est perturbée que par l’activisme de quelques organisations environnementales. Si les motivations de ces organisations non gouvernementales ne sont pas toujours transparentes, il en existe néanmoins qui, à force d’enquêtes, ont souvent contraint le gouvernement à reculer sur certaines questions de grande importance. Il en va ainsi des sanctions, certes faibles, imposées aux entreprises qui piétinent la loi. Dans certains cas, ces sanctions sont si faibles et symboliques que l’industriel ne perd rien à violer la loi pour ensuite payer les pénalités. Dans d’autres cas, ces sanctions sont si lourdes qu’on se demande simplement s’il ne s’agit pas d’un règlement de comptes. Dans tous les cas, les mécanismes restent peu transparents, ce qui, à la vérité, ne dérange pas grand monde.


Source : La Nouvelle Expression






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