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Chronique : temps de chien, de Patrice Nganang
(30/01/2006)
Prix littéraire Marguerite Yourcenar 2001 ainsi que Grand Prix de l’Afrique Noire 2003, Temps de Chien, demeure à ce jour, l'une des oeuvres clées de la littérature contemporaine camerounaise.
Par Albertine M.

Prix littéraire Marguerite Yourcenar 2001 ainsi que Grand Prix de l’Afrique Noire 2003, Temps de Chien, de l’illustre auteur camerounais Patrice Nganang, a été publié en 2001. Demeurant à ce jour, et nul ne le contestera sans doute jamais, l’une des œuvres clées de la littérature contemporaine camerounaise, ce roman critique, plurilingue, teinté de folklores et de couleurs, dans lequel la mixtion de nombreux néologismes et de langues tribales est reine, se pose, au travers de nombreux procédés, en véritable référence symbolique aux réalités sociales du Cameroun contemporain mais aussi en authentique satire politique.

Ainsi, le tableau que l’auteur nous brosse dans son oeuvre de la société camerounaise se veut on ne peut plus probant et réaliste. Il témoigne à cet effet de la déchéance d’une société en totale perdition, désabusée, livrée à elle-même et seule face à son destin, mais aussi de l’état d’aliénation et de misère tant physique que morale dans lequel l’a confiné un système étatique arbitraire et ingrat.

De ce fait, ledit roman met en scène le quotidien misérable des habitants d’un quartier populaire de Yaoundé appelé Madagascar. Témoin et victime des vices et des violences physiques et verbales des hommes, le narrateur, un chien pouilleux nommé Mboudjak, nous livre tout au long de son aventure de chien errant en perpétuelle quête de savoir et de vérité, ses impressions sur la vie et sur cette « jungle humaine » dans laquelle intrigues, hypocrisie et égoïsme sont les maîtres mots, et où chaque « homme » semble être, à l’instar de Hobbes, « un loup pour l’homme ». C’est au départ avec beaucoup d’incompréhension, d’émoi et de naïveté et par la suite avec davantage de cynisme et réalisme que Mboudjak, depuis le bar de son maître, « Le Client est Roi », nous décrit les faits et gestes, les us et coutumes des habitants de ce sous-quartier de Yaoundé. Il y fera l’expérience d’un monde médisant, cruel et perverti, où la violence physique, verbale et politique est omniprésente.

Son maître, Massa Yo, ancien fonctionnaire, avare, est peu soucieux du bien-être de sa femme, Mama Mado, et de sa progéniture, Soumi. Nouvellement reconverti au petit commerce, plus précisément dans celui de la vente de boissons, celui-ci tient au cœur de Madagascar un bar qui, au fil de roman va devenir le lieu du vice, de la calomnie, du « kongossa » et de la « palabre » africaine par excellence. De la sorte, victime comme de nombreux camerounais à l’époque de la récession économique de la décennie 90 et de ses méfaits, Massa Yo n’aura pas d’autre choix, à la suite de son licenciement, que de se conformer à ce nouveau mode de vie qui lui était jusqu’à ce jour encore inconnu. Mama Mado n’en n’aura pas pour autant été épargnée. En effet, vendeuse de beignets, celle-ci incarne l’archétype même de la femme africaine laissée pour compte par son mari et contrainte, afin de faire vivre son foyer, de s’adonner corps et âme à certaines activités nourricières.

Ainsi, tout en faisant de cette œuvre un roman de fiction quelque peu humoristique, Patrice Nganang a tout de même tenu à conserver un certain réalisme. C’est à ce titre que nous pouvons parler d’allégorie voire même de satire sociopolitique. La présence d’une multitude de personnages aux attitudes rocambolesques et aux langages différents, et dont le « quartier général » est le bar de Massa Yo, témoigne de cette ambition. C’est avec sans ambiguïté aucune que l’auteur attaque, par le biais de personnages stéréotypés, les vices et les ridicules de la société camerounaise de son temps et qu’il met en lumière les divers modèles sociaux qui la composent. Aussi le « Client est roi », lieu de rencontre pour le moins « bigarré », joue un rôle essentiel dans ce roman car il représente non seulement l’endroit où naît et s’alimente la parole, mais aussi, à l’image des personnages qui le côtoient, l’ensemble du Cameroun et de ses réalités. L’existence de nombreux personnages n’est de ce fait aucunement anodine. De surcroît, Patrice Nganang a voulu mettre l’emphase sur les difficultés que rencontrent les citoyens camerounais et ce, à tous les niveaux. C’est à travers ces êtres mais aussi de nombreuses références à des personnages de la scène sociopolitique camerounaise, tels le Général Sémengue, le Président de la République Paul Biya ou même Jean Fochivé, qu’il raille, dénonce et lève le voile, toujours dans un souci d’objectivité, sur les pratiques abusives d’un système politique et administratif répressif, non démocratique, discrétionnaire, égoïste, oublieux et lâche.

Finalement, ce roman tire somme toute son originalité du registre linguistique qu’il met en valeur et qui n’est en fait que l’image pure et simple des réalités et habitudes sociales locales. En effet, d’un point de vue linguistique, il est intéressant de noter l’existence d’une certaine appropriation voire même d’une « camerounisation » de la langue française, et d’un recours itératif au « pidgin », au « camfranglais » et aux différentes langues locales. De ce fait, ce côté « polyglotte » du texte nous permet de mieux apprécier non seulement la diversité culturelle et linguistique du Cameroun mais également de rendre davantage compte de l’usage que font les « gens de la rue », des langues nationales.

En fin de compte, plus qu’un simple roman, l’œuvre de Patrice Nganang se révèle être un réel symbole d’identité nationale. Véritable réquisitoire à l’égard d’un système politique peu démocratique, celui-ci replace le thème de la liberté de pensée et de parole au centre des discussions, rappelant ainsi que dans de nombreux pays africains « soi-disant » démocratiques ou à vocation démocratique, certains droits restent bafoués. De ce fait, le caractère véridique ou plutôt réaliste qui s’en dégage, contribue davantage à souligner l’importance d’une prise de conscience nationale rapide et forte pour tout pays qui cherche à se développer aussi bien politiquement qu’humainement.







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