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Messi Martin : La fin d'un titan du bikutsi
(08/12/2005)
Il était l'un des fondateurs de ce rythme, il s'est éteint à son domicile au quartier Kondengui à Yaoundé. Hommage du journal Mutations...
Par Armand Désiré Nkodo

La nouvelle n'a pas tardé à faire le tour de la capitale du Cameroun, Yaoundé, cette ville qui des années durant, a dansé au rythme de la guitare et de la voix de Messi Martin. Et l'émotion, a tôt fait de gagner les proches et fans du musicien. On apprendra même que Sam Mbendé, président du conseil d'administration de la Cameroun Music Corporation (Cmc) est revenu précipitamment sur Yaoundé après avoir appris la nouvelle inattendue.
Car, Messi Martin, la veille encore, n'était pas à l'article de la mort. On le savait tenaillé par des ennuis digestifs, mais son état se serait empiré dans la nuit de mardi à mercredi. C'est donc aux environs de 5h, que Messi Martin, a rendu l'âme à son domicile de Kondengui à Yaoundé. Que cette voix si adulée durant des années, s'est définitivement tue.

Né le 22 septembre 1946, Messi Martin est considéré comme le père du bikutsi moderne. En effet, dans les années 60, alors que cette musique jouée à l'aide des balafons est quelque peu en perte de vitesse, le guitariste a l'idée de reproduire le son du balafon à l'aide de la guitare électrique. Progressivement, il arrivera au sommet, deviendra un «titan». Le groupe qu'il crée dans la province du Nord ne s'appellera-t-il pas «Les Titans de Garoua» ? L'image de ce musicien exceptionnel restera toutefois gravée dans l'esprit de ceux qui l'ont connu.

Les cheveux bien taillés en touffe au milieu de la tête dans une coiffure punk, une cigarette fixée en permanence au coin de la bouche, le geste onctueux, le débit saccadé et le discours volontiers abscons, Martin Messi Me Nkonda est tout de fierté cousu. Il se raconte péniblement. Comme si d'avoir à revisiter son parcours lui procurait quelque douleur...

Pourtant, il se souvient très bien de sa rencontre avec la passion de sa vie : la musique. Son destin. Une prédestination. «Je suis né intelligent et surdoué», déclame-t-il sans fausse modestie. C'est la raison pour laquelle, dès l'âge de douze ans, à l'heure où ses congénères s'occupent d'autres chats, lui, hante de sa présence la cour du chef supérieur des «Mvele», Ngoa Evina. Pour une raison simple: là, se trouve un instrument à cordes, le banjo, que le déjà virtuose Messi manie avec une dextérité hors du commun, sous le regard admiratif de la cantonade. Mais, un homme, Raphael Nkonda, le géniteur du génie, ne partage pas l'enthousiasme général. Ce qui est d'ailleurs peu dire puisque, en réalité, il désapprouve totalement les accointances de son fils avec le monde de l'art, «ces activités de voyous, de gens qui ont raté leur vie», aime-t-il alors à dire. Aujourd'hui encore, Messi Me Nkonda Martin se souvient douloureusement des colères noires de son paternel: «Un jour qu'il m'a encore retrouvé dans la cour du chef en train de jouer contre ses injonctions, il s'est saisi du banjo et me l'a asséné sur la tête comme un gourdin. J'en porte toujours le souvenir», achève-t-il en montrant la cicatrice qu'il porte au niveau de l'arcade sourcilière droite.

Gloire

A la mort de son père, Messi Me Nkonda décide de se prendre en mains. Il y est d'autant plus résolu que cet événement malheureux lève heureusement la dernière banière qui I'empéchait de vivre pleinement sa passion. Mais il y avait autre chose: «J'étais malheureux de voir ma mère (Bekono Anasthasie) désormais veuve, monter et descendre comme une âme en peine, sans soutien!»
Décembre 1960. L'artiste prend la route du Nord où l'entraîne un ami, Saidou Ghana, rencontré à Yaoundé. Il dépose ses bagages à Garoua et y fait une rencontre détenninante. Il fait la connaissance de Jean Gabary, un Kaka de Batouri. Celui-ci devient son mentor. Ensemble, ils évoluent dans le groupe Jazzy Garo (jazz de Garoua). Qui éblouit les mélomanes du septentrion une fois le soir venu, dans un bar situé au quartier Nkolbivès (la colline des os). Le jeune artiste, de plus en plus remarqué, tisse la toile de sa gloire. Ses performances émerveillent un Togolais du nom de Jean Bossou, qui l'emmène à Maroua. Evoluant désormais en solo, il fonde le groupe Diamafoune, qui connaît un succès tellement grand qu'il ne peut plus se suffire du seul septentrion. Les vannes de l'aventure s'ouvrent. Messi et son propre groupe foncent à l'ouest, traversent la frontière et se retrouvent au Nigeria. Ils y passeront un séjour plutôt discret.

Retour au pays. Changement de producteur. Joseph Tamla de «Afrique ambiance» prend la place de Jean Bossou. Retour de la gloire. L'album Bekono Nga Nkonda», dédié à la mère de l'artiste, voit le jour en 1964. Ses chansons enchantent le Cameroun. Comme toutes les productions du jeune prodige. Bientôt «Amu dzé», «Mengala Maurice», «Minyono», «Ovongo ane man Bella» sont fredonnées à longueur de journée et personne n'ose organiser une fête en faisant l'économie de la galette Messi. L'étoile du Nord, plus que jamais scintillante, peut amorcer la descente vers le sud. Dix ans après. En service commandé.
C'est le ministre des Forces Armées de !'époque, Sadou Daoudou, qui instruit un musicien - soldat, Archangelo de Moneko (de son vrai nom Philippe Nkoa), d'aller chercher ce jeune musicien dont on parle tant au Nord, aux fins de l`enrôler dans l'armée camerounaise. Cette proposition n'est pas bien accueillie au sein de la famille Messi qui voit d'un très mauvais oeil le métier de pandore. L'offre est déclinée. Un de ses «gars», Elanga Maurice, saute sur l'occasion et choisit, lui, de servir sous le drapeaux. Il est aujourd'hui adjudant chef.

Elanga Maurice, que tout le monde n'appelle plus que «Elamo», va.d'ailleurs devenir son principal rival, dans ce quartier d'EligEffa où ils s'installent l'un et l'autre, dans deux cabarets qui se faisaient face, comme dans un défi. «Mango bar» pour Messi et «Colombey-les deux-églises» pour Elamo. Le combat est âpre, mais reste loyal: «Nous nous passions souvent les clients. Mais, au final, c'est chez moi à «Mango bar» qu'il y avait toujours la plus grande affluence», révèle Messi Me. Nkonda. Souvenir ému d'une époque où, selon lui, la musique camerounaise connaît alors son heure de gloire avec des têtes de proue comme Jacob Medjo Me Nsom, Jean Bikoko Aladin, Nelle Eyoum et lui-même, Messi Martin. Les artistes jouent alors pleinement leur rôle, celui de gardiens de la sagesse ancestrale, «donnant de judicieux conseils à leur public, évitant de verser dans la trivialité et la pornographie.» Comme c'est le cas aujourd'hui, laisse-t-il deviner plus qu'il ne le dit. Alors, on se laisse tenter à vouloir savoir comment lui qui a définitivement établi sa réputation de grand parolier s'y prenait. Mais lui, précise: «Je ne suis pas un parolier. Je suis un messager. Sur la base de mes expériences personnelles, j'essaie de mettre les autres en garde. Parce que l'artiste est une fosse septique que l'on creuse et que l'on entretient soi-même, mais dont on est souvent le premier à se plaindre des odeurs.»

Ingratitudes

Des odeurs, et de nauséabondes justement, recouvrent à son sens les instances dirigeantes de notre art d'un halo d'ingratitudes. «Peut-on me dire pourquoi Messi Martin, commissaire d'identification des oeuvres à la Socinada a été bouté hors de cette structure? Sous le coup de quelle loi est-il tombé? Qui est Esso Essomba? Qui est Vincent Diboti? Qui est Messi pour Esso Essomba?»
Ces questions sybillines qu'il retourne systématiquement à son interlocuteur donnent une idée de la profondeur de son amertume. D'ailleurs, il achève comme pour convaincre du peu de cas qui est souvent fait de ceux qui méritent pourtant la reconnaissance de la nation, par une autre question: «Où est Joseph Kono, le célèbre cycliste qui a tant fait honneur au Cameroun ? Et Joseph Bessala grand Jo?»
Malgré tout, Messi Me Nkonda Martin se dit encore prét à rendre service. Il dit avoir tellement de projets et de propositions à faire pour la rénovation du monde artistique camerounais qu'il aimerait rencontrer le président de la République en personne pour en parler.

Mais, en attendant il invite 1es jeunes artistes camerounais à sa rencontre «Je suis le patriarche. Il f aut qu'ils viennent et que je leur montre où sont cachés les trésors inestimables de notre patrimoine culturel.» Quelques jeunes artistes, Zanzibar, Mballa Roger's... auraient d'ailleurs déjà eu à bénéficier de ses conseils. Au même titre que sa nombreuse famille (2 épouses et 9 enfants) avec une partie de laquelle il partage des moments de bonheur simple dans ce studio réduit qu'il loue laboneusement au quartier Kondengui à Yaoundé.

On l'y voyait, chaque matin, lustrant ses chaussures pendant de longues heures en sirotant de l'eau de vie sous le regard attendri de sa Rose d'épouse. On l'y apercevait souvent, se pavanant dans les ruelles, une fleur à la main ou une guitare au bras, un mégot incandescent toujours fiché au coin de la lippe, le torse bombé, la démarche altière et fière, apparemment à la recherche d'un destin progressivement mais inexorablement évanescent dans le rétroviseur de sa vie.

(Article Publié dans Mutations n° 145
du 28 août 1998 et actualisé)


Source : Mutations




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