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Tonme - Mouangue : Quand le « dynamisme Bamiléké » divise
(14/12/2008)
Bonaberi.com revient sur l'opposition entre les intellectuels Shanda Tonme et James Mouangue et propose sur cette base une lecture alternative de la question ethnique.
Par Yann Yange
Le Dr James Mouangue Kobila
Le Dr James Mouangue Kobila
Depuis quelques semaines, les échanges vifs entre Shanda Tonme et James Mouangue par médias interposés, qui ont suscité de nombreuses réactions (parfois très passionnées) sur Internet, ont inévitablement remis à l'ordre du jour la question ethnique au cœur du débat national.

Si l'on peut se féliciter que deux experts de ce calibre se livrent à ce genre de confrontation qui participe sans nul doute à l'éveil des consciences populaires sur un sujet majeur du « vivre mieux ensemble » au Cameroun, les conclusions que l'on tire de ces joutes intellectuelles n'augurent en réalité rien de positif pour notre pays.

En effet, que ce soit Shanda Tonme ou James Mouangue, aucun de nos deux intellectuels n'a pu sortir de cette prison identitaire dans laquelle reste enfermée la plupart des Camerounais lorsqu'on essaie d'aborder la question du tribalisme et ses corollaires en désacralisant les mythes et en abolissant les tabous. L'objectivité et la neutralité qui auraient dû prévaloir dans ce genre d'oppositions ont laissé place à des revendications nourries exclusivement à travers le prisme non englobant de l'appartenance tribale. Tantôt Sawa pour l'un, tantôt Bamiléké pour l'autre.

De cette partie de ping-pong intellectuel, il est ressorti que les prises de positions à certains égards de l'un ou de l'autre « camp » étaient relativement discutables et méritaient qu'on s'y arrête pour les regarder en profondeur :

- premièrement, l'idée désormais acquise et répandue d'un dynamisme propre aux Bamilékés (à l'origine du débat) dont Jean-Louis Dongmo avait été le précurseur à travers un ouvrage paru en 1981 (1) et pour laquelle Shanda Tonme semble être l'apologiste en chef contemporain ;

- deuxièmement, l'idée de « préservation et de défense » des droits des peuples autochtones et des minorités prônée par les instances internationales dont le Dr Mouangue défend bec et ongles l'application au Cameroun (en notant qu'elle est censée être effective, même si elle l'est de manière imprécise, puisque consacrée par la constitution de 1996).


Sur la tangibilité du « dynamisme Bamiléké »

Tout d'abord, sur la question du dynamisme bamiléké. Il est clair qu'elle continue d'alimenter un certain nombre de fantasmes dont même le Dr Shanda Tonme n'a visiblement pu se défaire. Si dans son premier texte, il a fait de l'exaltation de ce soi disant dynamisme son principal crédo, il s'est bien évidemment gardé de nous donner des chiffres récents précis pour corroborer ses dires, puisqu'il n'en possédait visiblement pas. Jusqu'à ce jour, nous n'avons qu'une idée approximative du nombre de Camerounais qu'il y a sur le triangle national (les chiffres du dernier recensement étant toujours attendus), on serait donc bien en peine d'avoir des statistiques détaillées et précises postérieures à l'ère Ahidjo (2) sur le poids de l'activité Bamiléké dans l'économie Camerounaise.

D'autre part, au delà de l'aspect statistique, la théorie du dynamisme Bamiléké est un concept relativement tendancieux. Certains observateurs ont pris la peine de noter que dire que les Bamilékés sont dynamiques n'enlève rien au dynamisme des autres tribus. C'est certainement vrai, mais dans ce cas, pourquoi certains se sentent-ils obligés de parler spécifiquement de ce « dynamisme » s'il peut être considéré comme banal et s'il n'est l'apanage d'aucune tribu en particulier ? Pour nous, et nous soutenons à ce propos les positions du Dr Mouangue, parler du dynamisme Bamiléké est clairement exclusif et à ce titre, rappelle bizarrement les théories de la supériorité raciale des Blancs sur les Noirs que la plupart des intellectuels africains n'ont cessé à juste titre de vouer aux gémonies depuis plus d'un demi siècle.

Si on s'amusait à faire le décompte des richesses détenues par les Blancs et les Noirs et leur proportion dans l'économie-monde et que, sur cette base, on se laissait aller à des affirmations suggérant que les Blancs sont plus dynamiques que les Noirs, ou que les Blancs sont plus intelligents que les Noirs parce qu'ils créent plus de richesses sur cette terre, la plupart des gens sensés crierait au racisme. Et nombreux seraient ceux qui n'hésiteraient pas à nous ressortir, à raison, la vieille rengaine anticolonialiste et les éléments historiques qui ont conduit à un tel état de fait. Pourquoi donc ce genre de raisonnement qu'on dénierait naturellement à certains bien pensants occidentaux passerait-il à travers le filtre de l'objectivité dès lors qu'il serait circonscrit aux entités tribales ? Notre conclusion est que même si des chiffres venaient à soutenir les positions défendues par Shanda Tonme, cela ne saurait faire des Bamilékés une ethnie particulièrement dynamique sans qu'on ne nuance tout cela en prenant en compte des éléments sociologiques qui ont ponctué la trajectoire de ces populations au cours de l'histoire.

Un autre point, toujours à propos de ce soi disant dynamisme est qu'on le confond souvent à la visibilité dont bénéficient les Bamilékés sur l'étendue du territoire et ailleurs. Une visibilité qui est essentiellement dûe à deux facteurs essentiels : la démographie de l'ouest Cameroun et sa densité de population qui sont parmi les plus élevées du pays (96 habitants au km² pour une moyenne nationale de 38 habitants au km² sur la base des chiffres du recensement de 1987) (3). Facteurs qui ont fait des Bamilékés un peuple de diasporas et qui explique que les populations de l'Ouest aient été contraintes très tôt en début de siècle dernier de migrer vers les grandes villes que sont Douala et Yaoundé (4) en s'inscrivant bien évidemment dans une logique d'acquisitions foncières et d'entrepreneuriat dans l'informel. On est bien ici dans une logique de survie, donc d'impératif physiologique, qui est le propre de tout être humain indépendamment de sa race ou de son ethnie. C'est ce que suggère d'ailleurs Abraham Maslow avec sa pyramide des besoins puisqu'il n'y fait aucune distinction raciale ou ethnique, au moins en ce qui concerne le premier niveau. Il est donc fort à parier que n'importe quel groupe ethnique dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles ont évolué les Bamilékés, avec les mêmes impératifs démographiques et géographiques, aurait eu une trajectoire similaire.

Cette visibilité dont on fait état ici peut être mise en parallèle avec l'expansion Chinoise qui s'est développée pour des raisons similaires ces dernières années (explosion démographique, manque de ressources, etc). Et c'est cet élément majeur qui permet d'expliquer pourquoi partout où l'on passera et où il y aura des Camerounais, que ce soit dans les milieux académiques, dans les entreprises publiques ou privées ou dans n'importe quel autre milieu, on aura l'impression de voir une pléthore de Bamilékés (c'est d'ailleurs comme cela, entre autres choses, que Shanda Tonme soutient son positionnement). Si en valeur absolue ce constat a tout son sens, cela doit néanmoins rester proportionné au poids démographique de ce groupe ethnique sur l'étendue du territoire comparativement aux autres ethnies (5) et nuancé par les réalités que cela implique sur sa mobilité, donc sur la puissance de son déploiement.

Pour nous donc, ce concept de dynamisme Bamiléké ne correspond à aucune réalité tangible et n'est fondée que sur des spéculations individuelles n'ayant malheureusement aucune valeur scientifique avérée.

Sur les concepts d'autochtones et de minorités

Dans sa deuxième intervention, en guise de réponse à Shanda Tonme, le Dr Mouangué a longuement insisté sur la protection des minorités et des peuples autochtones. En citant une résolution adoptée le 13 Septembre 2007 par l'ONU qui se dit consciente « de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources » et convaincue que « le contrôle, par les peuples autochtones, des événements qui les concernent, eux et leurs terres, territoires et ressources, leur permettra de perpétuer et de renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins » (6), l'intellectuel Camerounais a pour ainsi dire trouvé une brèche dans laquelle s'engouffrer pour justifier les politiques d'équilibre régional et l'idée de protection des minorités inscrite dans le préambule de la constitution Camerounaise depuis 1996 en des termes pour le moins imprécis.

Si la résolution de l'ONU ne peut que rencontrer l'assentiment de toute personne naturellement éprise de paix, de justice et de démocratie, la majorité des pourfendeurs des concepts d'autochtonie et allogènie le sont, non sur le principe de la protection de minorités en lui même, mais plutôt sur la manière dont ce principe prend naissance et peut être appliqué dans le cas du Cameroun. En effet, si on comprend aisément que les Australiens reconnaissent la protection des Aborigènes comme une cause nationale au point où le Premier Ministre Kevin Rudd soit amené à présenter les excuses de l'Etat Australien aux populations indigènes, que les Américains aient une démarche à peu près similaire avec les Indiens et que les Canadiens fassent de même avec les Inuits, on a du mal à comprendre comment ce concept peut se déployer au Cameroun sans qu'il ne soit précisé exactement ce qu'il est entendu par « autochtone » et ce qui permet de définir le degré « d'autochtonie ».

Dans le cas de l'Australie, des USA ou du Canada, nous avons le cas d'une population indigène qui a dû faire face à l'invasion (accompagnée de massacres pour le cas de Aborigènes et Amérindiens) d'une population étrangère qui s'est, au fil du temps, installée au point d'en devenir la principale composante en terme de démographie tout en menaçant par ailleurs l'existence même de ces populations indigènes. Si l'on pense pouvoir faire le parallèle de ces situations avec la ville de Douala par exemple qui serait en majorité « non autochtone » aujourd'hui car peuplée au 2/3 de Bamilékés (7), on y trouve une différence majeure en ce sens que les Bamilékés n'ont pas colonisé le Littoral, n'y ont perpétré aucun massacre et y sont autant chez eux que ne peuvent l'être les Sawas, selon le principe même de l'unité nationale. Parler de protection de minorités à Douala reviendrait donc à considérer les Bamilékés comme des envahisseurs dans leur propre pays. C'est une aberration qui tombe sous le sens et dont l'idée même est clairement combattue dans cette constitution Camerounaise de 1996 dont on a déjà fait état : « Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement ».

Ce concept d'autochtonie revêt donc une complexité particulière dans le cadre de son application au Cameroun et en Afrique en général compte tenu de la spécificité du continent au regard de l'histoire et des nombreux mouvements de populations. Il est ainsi particulièrement difficile de situer exactement l'antériorité des divers groupes ethniques sur des espaces géographiques donnés. Dieudonne Zognong résume d'ailleurs brillamment ce paradoxe :

« On ne peut pourtant pas s'empêcher d'interroger profondément la notion de terroir qui fonde l'autochtonie, ce terroir qui est ici revendiqué comme lieu de naissance des parents, grands-parents et ancêtres. C'est l'élément spatio-temporel qui fonde ainsi l'autochtonie. Or l'histoire des populations africaines étant une histoire de migrations, dans la longue traversée des âges, il n y a pas de place pour une autochtonie absolue. Elle devient essentiellement relative, dans l'axe de la temporalité, car historiquement, toutes les populations sont migrantes. L'autochtone d'aujourd'hui peut donc être l'allogène de demain et vice-versa. Le terroir n'est pas un bien meuble, une création humaine qu'on peut s'approprier, il est de loin une donnée, un héritage universel, à portée de tous, sauf mystifications métaphysiques. Bien plus, en sociologie urbaine, la ville, en tant que construit collectif, est essentiellement marquée d'anonymat, donc ne peut être identifiée à une ethnie, fut-elle native. D'où l'arbitraire visible du concept d'autochtonie. » (8)

D'autres questions nous viennent aussi à l'esprit, toujours dans le cadre de l'applicabilité de ce concept : un Béti est-il autochtone à Yaoundé ou doit-il encore être Ewondo ? Un Bamiléké est-il forcément autochtone à Bagangté ou encore doit-il être spécifiquement de cette ville ou un peu plus largement du département du Ndé ? L'autochtonie a-elle une portée provinciale, départementale ou communale ? Et comment doit-on prendre en compte les mutations régionales diverses qui ont eu cours depuis la création de l'État Cameroun en tant qu'entité territoriale en 1884 par les allemands jusqu'à nos jours ?

Ce concept de protection des minorités et d'autochtonie nous apparaît comme une coquille vide sans aucune portée pratique et aucun fondement légitime dans notre pays. A ce titre, les marches Sawa de 1996, tout comme le discours du chef Deïdo ou l'appel des élites du Mfoundi pendant les émeutes de février 2008 sont des émanations d'un tribalisme dangereux se camouflant derrière des idéaux pompeux et infondés de préservation de valeurs traditionnelles séculaires et de protection de minorités qui n'en sont pas au demeurant. L'autochtonie et ses corollaires, à savoir la politique d'équilibre régional, procède donc d'une tentative de « nivellement par le bas » qui exclut bien évidemment un certain nombre de Camerounais pétris de talents et de qualités indifféremment de leurs origines tribales.

Une politique d'exclusion de tous les Camerounais

Pour nous, la réalité du débat ethnique au Cameroun est qu'il est essentiellement manipulé par les élites pour alimenter les vieilles rancœurs et les suspicions mutuelles entre populations d'origines diverses et jouer la carte du « diviser pour mieux régner » sans pour autant que cela ne participe d'une quelconque manière à réduire l'indice de pauvreté du citoyen lambda. Et même si, comme Shanda Tonme le souhaite, on disposait de plus de populations originaires de l'Ouest, du Nord ou d'ailleurs dans les sphères du pouvoir en comparaison au nombre de personnalités du Centre-Sud, rien ne garantit que cela pourrait changer le cours des événements dans notre pays puisque la corruption, le manque de vision et l'irresponsabilité politique, qui sont les principaux maux dont souffre notre élite, ne sont l'apanage d'aucun groupe en particulier. Pour preuve, la mosaïque ethnique des personnalités incriminées dans le cadre d'affaires de détournement de fonds, qui nous suggère qu'il y a dans toute région comme dans toute collectivité humaine, du bon grain et l'ivraie.

Charles Ateba Yene, dans un livre qui a fait polémique (9) il y a de cela quelques mois déjà, a par ailleurs fait la démonstration que la présence massive de personnalités originaires d'une région en particulier dans les sphères du pouvoir n'avait pas une incidence spécifique sur la qualité de vie des populations locales de la dite région en même temps qu'elle n'impactait pas non plus le bien être des Camerounais dans leur ensemble. Ce qui pourrait laisser penser que l'origine ethnique n'a pas d'influence particulière sur la trajectoire économique de notre pays tant qu'il n y a pas de vision à long terme et un leader ambitieux à sa tête. Et si, finalement, on souhaite tant que cela parler d' une politique d'exclusion qui se déploie en coulisses au Cameroun, on ne saurait la voir ailleurs que dans le processus d'aggravation des privations au regard des conditions matérielles minimales requises pour prétendre à une existence « normale ». Privations dont la principale victime reste bien évidemment le peuple Camerounais dans sa globalité.

Notes :

(1) Jean-Louis Dongmo, Le dynamisme Bamiléké, Ceper, 1981

(2) Précisons néanmoins que Jean-Pierre Warnier, dans L'Esprit d'entreprise au Cameroun, Karthala, 1993, donne bien des chiffres sur la base du recensement de 1976 relatifs au poids des Bamilékés dans l'activité économique en ces termes : « les Bamilékés comptaient 58% des importateurs nationaux, 94% des boutiques de grands marchés des villes, 75% des acheteurs de cacao, 47% des grossistes industriels, 80% de la flotte de taxis, 50% du secteur informel et métiers de la rue » Comment ont évolué ces chiffres en trente ans ? Quelle est leur actualité aujourd'hui ? Et quel rôle a joué le régime d'Ahidjo pour encourager les Bamilékés dans les activités commerciales ?

(3) Annuaire statistique du Cameroun – 2004, Wikipédia

(4) Antoine Socpa situe cette émigration, à Yaoundé notamment, à la fin de la première guerre mondiale, voir son ouvrage Démocratisation et Autochtonie au Cameroun, LIT-Verlag, 2003

(5) Voir http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/cameroun.htm

(6) Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 Septembre 2007 :
http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/fr/drip.html

(7) Cette estimation est donnée dans l'ouvrage collectif dirigé par Georges Courade, Le Désarroi Camerounais, Karthala, 2000

(8) Dieudonne Zognong dans La Question Bamiléké pendant l'ouverture démocratique au Cameroun :
http://www.unesco.org/most/dpzognong.htm

(9) Charles Ateba Yene, Les paradoxes du "pays organisateur", Editions Saint Paul, 2008









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