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Diaspora : ce qu’on retiendra de la (fameuse) lettre de Kala Lobe
(08/08/2009)
Après moults réactions survenues de toute part suite à l'interpellation de la diaspora par Kala Lobé Suzanne, un membre de la rédaction apporte sa contribution.
Par Yann Yange
La journaliste Suzanne Kala Lobé
La journaliste Suzanne Kala Lobé
Le débat autour de la lettre adressée à la diaspora Camerounaise par Suzanne Kala Lobé, en marge de la visite officielle du Président Paul Biya en France, a certainement été l’un des plus populaires et des plus engagés sur le Web Camerounais ces derniers jours. Sociologue(s), scientifique(s) ou simples anonymes, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité à se jeter dans l’arène comme des gladiateurs touchés au vif par un « adversaire » qui, vraisemblablement, a été jugé très mal placé pour faire la leçon.

Le présent article, le énième d’une longue série sur le sujet distillée à tout va sur le net, témoigne tout autant de la fécondité du débat soulevé par la journaliste Camerounaise. Notamment sur la collusion entre la diaspora Camerounaise dans son ensemble et l’opposition dite « radicale » agissant en son sein ; sur le rôle et la légitimité de la dite diaspora à donner de la voix sur les problématiques nationales, au même titre que la société civile et l’opposition locales ; et enfin, sur le rôle et bilan général des actions entreprises par cette même diaspora ces dernières années.

Sur la question du CODE en tant qu’organisation d’opposition de la diaspora, de sa représentativité et de ses actions

Comme certains compatriotes ont eu à le faire remarquer, la diaspora Camerounaise n’est pas un bloc homogène et compact qu’on pourrait indexer de manière globale sans compromettre la réalité. Une réalité somme toute évidente qui veut que ce soit une collectivité d’hommes et de femmes qui ont pour seul dénominateur commun le fait de vivre à l’étranger, mais dont les tendances politiques diffuses et les intérêts parfois divergents font qu’ils ne regardent pas nécessairement dans la même direction.

Il apparaît donc quelque peu farfelu, comme l’a fait Suzanne Kala Lobé, de s’adresser à la diaspora Camerounaise toute entière sur la seule base de manifestations orchestrées par une organisation qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais prétendu représenter les Camerounais de l’étranger dans leur ensemble. Il est encore plus surprenant, de voir cette même journaliste, contestataire à ses premières heures, critiquer l’une des seules organisations qui peut encore se prévaloir d’être la conscience coupable d’un régime qui a appauvri le Cameroun et les Camerounais depuis plus d’un quart de siècle.

Le CODE et « leurs amis », puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont peut être des méthodes contestables. Leur manie de critiquer à tout vent est peut être agaçante. Et la virulence de leurs communiqués peut parfois sembler déconnectée d’une réalité vécue différemment par une majorité de Camerounais. Mais il n’empêche que, dans un pays où l’implication citoyenne en politique est désormais complètement inexistante, où les partis de l’opposition ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes et où le journalisme de contestation a totalement disparu, avoir une voix dissidente qui échappe aux pesanteurs et aux pressions politiques et qui remet en question un système défaillant n’est pas un luxe.

Mongo Béti, depuis la ville de Rouen où il enseignait, a passé une grande partie de sa vie à critiquer les régimes politiques qui se sont succédés à la tête du Cameroun et ce, sans jamais proposer d’alternatives programmatiques concrètes. Il n’était ni économiste, ni politicien professionnel, ni scientifique. Est ce pour autant que son action et son rôle ont été dénués d’intérêt ? Une organisation dissidente n’est-elle plus dans son rôle si elle n’est pas systématiquement force de propositions ? L’engagement politique ne peut-il pas se limiter qu’à mettre en lumière les défaillances d’un système ? Cet argument qui consiste à opposer critique à proposition ressemble fort à celui des adeptes de la dictature d’opinion qui veut qu’on ne puisse critiquer un joueur de football qui rate nonchalamment une occasion parce qu’on ne serait pas capable de le remplacer sur le terrain. Tout citoyen n’a pas la capacité de faire des propositions techniques pour rénover la politique Camerounaise et améliorer la gestion de la cité. Mais tout le monde a le bagout pour déceler ce qui est imparfait et le devoir, chaque fois que cela semble nécessaire, de tirer la sonnette d’alarme.

C’est dans cette unique perspective de « gendarme de la mauvaise gouvernance » que l’on doit inscrire les actions perpétrées par le CODE. Il ne faut pas attendre d’eux qu’ils se transforment en présidentiables cintrés en costumes-cravates, mallettes à la main, avec un programme économique prospectif pour le Cameroun sur les 10 prochaines années.

S’il est par ailleurs évident qu’on ne partage pas tous les mêmes vues et les mêmes stratégies que les leaders de l’opposition « radicale », les carences avérées du régime Biya devraient inviter à poser un regard au mieux respectueux sur le dévouement intemporel et sans limite de ceux là mêmes qui continuent d’assumer ce rôle, parfois ingrat, de « mauvaise conscience » de nos dirigeants.


Sur la légitimité de la diaspora à parler des problèmes du Cameroun en dépit de l’énorme fossé géographique

Un autre point soulevé par la première missive de Kala Lobé est la question de la légitimité de la diaspora à parler des problèmes du Cameroun en dehors du prisme déformant dans lequel leur vision est empêtrée du fait de l’éloignement physique et de l’enracinement dans paradigmes éculés (idéologies marxiste, communiste et consorts) tendance guerre froide. Cet aspect de la lettre, manifesté par la phrase « Prenez un billet d’avion tous les trois mois et venez réfléchir avec nous à la meilleure stratégie pour sortir le pays des griffes de tous les imposteurs», participe de cette Kala-Lobéïsation (*) des esprits consistant à faire croire que les Camerounais de l’étranger sont des extraterrestres sortis de nulle part. Car, sinon, comment comprendre cette idée saugrenue qui veut qu’il faille résider au Cameroun pour comprendre ce qu’endurent les Camerounais ; ou encore pour avoir le droit de penser de manière pertinente le Cameroun de demain ?

Il ne faut pas perdre de vue que l’émergence d’une diaspora Camerounaise n’est pas le résultat d’une œuvre mystique faisant spontanément apparaître des hommes et des femmes ça et là aux quatre coins du monde. La diaspora, ça reste avant tout de nombreux Camerounais ayant pour la plupart vécu au Cameroun et qui l’ont quitté pour diverses raisons, souvent d’ordre économique, pour aller tenter l’aventure à l’extérieur. Ils connaissent donc ce pays, au moins dans ses grandes lignes et dans ses grandes tendances, au même titre que l’instituteur de Bertoua, l’éleveur de Kousseri ou l’agriculteur de Mpenja.

Mongo Béti sus évoqué, disqualifié à maintes reprises sur sa capacité à aborder les questions locales avec pertinence, avait résumé son point de vue sur cette question en reprenant le psychanalyste Freud (dans l’ouvrage Mongo Beti parle) : « la meilleure façon de saisir une société et ses problèmes, ce n’est pas d’être à l’intérieur. C’est d’avoir une certaine distance par rapport à cette société. » Une distance critique qui permet parfois de penser le pays de manière plus rigoureuse et objective, par delà le cloisonnement intellectuel largement entretenu par les difficultés du quotidien : la misère, la faim et l’impératif de survie.

Sur le rôle et le bilan de la diaspora ces dernières années

Le dernier élément soulevé en filigrane dans les missives de Kala Lobé, même s’il ne l’a pas été de manière rigoureuse, est celui du rôle effectif de la diaspora (on parle bien ici de la diaspora apolitique et non des opposants de la diaspora) dans les chantiers relatifs au changement dans notre pays. Par changement, on entend l’ensemble des mutations économiques, sociales ou politiques qui pourraient être orchestrées par le biais des Camerounais de l’étranger pour contribuer positivement à la construction de notre pays.

A bien y regarder, il est presque impossible, comme certains tentent de le faire, de décoreller ce qui est communément perçu comme « l’échec de la diaspora » de l’immobilisme de nos pouvoirs publics. La maxime « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez vous ce que vous pouvez faire pour votre pays » est bien belle, mais ne sied en rien à ces républiques bananières où l’Etat semble parfois allergique aux dynamiques individuelles. Le feu Président Kennedy, s’il avait vécu un tant soit peu dans un pays comme le Cameroun, n’aurait certainement jamais eu telle inspiration.

Un autre corollaire à cette phrase du feu Président Américain, que les Kala-Lobéïstes consacrent, on ne sait pour quelle raison, au panthéon des recommandations majeures pour l’avenir des Camerounais, c’est que « chacun doit faire ce qu’il peut à son petit niveau ». Si la banalité de cette assertion fait qu’on en saisit tout de suite le bien fondé, cette phrase ne fait malheureusement que résumer ce que fait l’ensemble des Camerounais depuis 27 ans. Entre le jeune vendant ses médicaments dans les artères crasseuses de Douala pour nourrir toute sa famille et ses petits frères, l’étudiant de la diaspora finançant des groupes d’auto défense dans son quartier à Yaoundé en travaillant comme gardien de nuit dans un trou perdu en Russie et le responsable associatif qui promeut la culture Camerounaise dans sa petite ville du fin fond de l’Alsace, les Camerounais ont de tout temps fait ce qu’ils pouvaient à leur « petit niveau ». Mais pour quels résultats ?

La réalité est que quel que soit l’action individuelle ou collective que l’on veut poser, si l’Etat ne met pas en place le minimum de bonne volonté et de structures adéquates pour penser les questions de développement de manière globalisante, rien de constructif ne pourra en ressortir. Ebenezer Njoh Mouelle, dans son désormais célèbre ouvrage De La Médiocrité à l’Excellence, avait d’ailleurs reconnu cette prééminence absolue de l’Etat pour faire bouger les lignes dans des pays où le corps social (de l’administration au bas peuple) est déstructuré par une pauvreté, non seulement matérielle, mais aussi morale : « (…) Le choc des intérêts égoïstes dans nos sociétés est tel qu’il rend le rôle de l’Etat bien plus important que partout ailleurs. L’Etat, en Afrique, se doit d’être fort, non pas pour assurer la survie des dirigeants et de leur régime, mais pour imposer ses arbitrages (…) »

Faire le procès de l’inaction collective de la diaspora, c’est donc un peu comme accuser un enfant de ne pas aller à l’école quand il ne dispose d’aucune infrastructure éducative dans son environnement de proximité. L’Etat n’est certes pas tenu de porter tous les projets à bras le corps (il a d’ailleurs déjà démontré qu’il en était incapable), mais il doit absolument mettre en place des mesures d’accompagnement pour faciliter le déploiement des nombreuses initiatives privées qui fleurissent à l’étranger.

L’exemple du projet de l’Université des Montagnes, qui est certes en train d’aboutir positivement aujourd’hui, a été révélateur de cette capacité de nuisance de l’Etat Camerounais lorsqu’il s’agit de soutenir et de favoriser l’éclosion d’un projet d’envergure nationale. L’absence d’un grand département (pas nécessairement ministériel) en lien avec les ambassades qui assurerait la centralisation et le leadership des projets en direction du Cameroun, en mettant en adéquation l’offre extérieure aux besoins locaux, est aussi préjudiciable aux initiatives individuelles ou associatives. La mauvaise foi, le laxisme et la paresse que certains individus manifestent sur place finissent souvent de démotiver même les patriotes les plus aguerris.

Il faut donc que la loi sur la double nationalité prenne forme, que l’on recense en nombre et en compétences l’ensemble des Camerounais de la diaspora, qu’une organisation des Camerounais de l’étranger soit mise sur pied avec, au départ, deux grandes zones d’activités où convergeraient les projets et initiatives: l’Amérique du Nord dont le centre pourrait être à Washington D.C et l’Europe dont le centre serait Paris. Chaque année, sous la houlette du Ministère des relations extérieures et des ambassades Camerounaises à l’étranger, un grand forum de la diaspora Camerounaise pourrait être initié où quelques membres du gouvernement (industrie, commerce, agriculture, recherche scientifique, santé, etc.) présenteraient, comme on sait si bien le faire en rencontrant les investisseurs français, les diverses opportunités d’affaires et de projets viables au Cameroun.

Pour palier aux habituels conflits de leadership individuel, ce type de structures devra être dirigé par des Camerounais qui ont déjà fait leurs preuves dans la vie associative, à l’instar des organisateurs du Challenge Camerounais et de l’association des Ingénieurs et informaticiens Camerounais (VKII) en Allemagne, des initiateurs du forum DAVOC de la diaspora Camerounaise à travers leur collectif CASANET ou des responsables de l’AED Cameroun à l’origine du projet de l’Université des Montagnes. C’est seulement dans un cadre assaini comme celui là que la diaspora pourra être prompte à démontrer son efficacité.

Cela étant, parler du bilan de la diaspora sans aborder nos défaillances individuelles serait légèrement travestir la vérité. Et il faut le reconnaître : au-delà des responsabilités de l’Etat qui sont incontestables, l’ensemble de la diaspora n’a pas toujours fait l’effort patriotique nécessaire pour s’élever au-delà des nombreuses difficultés qu’on rencontre lorsqu’on veut aider son pays et s’organiser collectivement de manière autonome. Pour exemple, de tous les Webmasters qui pullulent à l’étranger et qui disposent de sites Web sur la toile, combien se sont concrètement proposés pour offrir à leurs représentations diplomatiques une vitrine sur Internet ? Ce n’est certes par le rôle du citoyen lambda que de concevoir le site Web de son ambassade, mais ça fait néanmoins partie des actions simples, volontaristes et patriotiques, que certains informaticiens de la diaspora pourraient entreprendre et généraliser pour les représentations qui n’en disposent pas.

Au sein des communautés étudiantes, l’insouciance et une forme de lassitude politique sont devenues symptomatiques de cette crise de patriotisme aigüe qui éloigne les jeunes des vrais enjeux nationaux. Les centres d’intérêt, même s’ils relèvent des « goûts et des couleurs » de tout un chacun, sont largement à remettre en question : les forums organisés pour réfléchir sur l’avenir du pays ne rencontrent presque jamais le dixième de l’audience d’un concert de K-tino ou d’une soirée dansante. La diaspora, si elle peut se féliciter d’être parvenue à démocratiser l’information sur le Cameroun sur le net (avec bien évidemment les dérives qu’on connaît), a quand même échoué à sensibiliser les plus jeunes d’entre eux sur l’impératif de s’investir sans relâche pour leur pays. Les réalités de la vie en occident aidant, on se retrouve aujourd’hui avec des Camerounais embourgeoisés qui montrent un dédain certain pour le Cameroun, ses institutions, et pour leurs compatriotes restés au pays. Ce n’est d’ailleurs qu’une banalité évidente que de le dire.

Sur les perspectives d’avenir après avoir tant épilogué

Au final, si on peut reprocher à Suzanne Kala Lobé un propos imprécis et quelque peu condescendant vis-à-vis de la diaspora, elle aura au moins eu le mérite de remettre au goût du jour la question fondamentale de la place des Camerounais de l’étranger dans le processus de mutations socio-économiques qui doivent avoir cours au Cameroun dans les prochaines années.

Mais en lieu et place des sempiternelles remises en question naïves et philosophiques sur ce que la diaspora pourrait faire si elle savait elle-même s’organiser collectivement (elle fait déjà ce qu’elle peut), on retiendra de ces interminables cyber-échanges qu’il faut augmenter la pression sur nos dirigeants pour qu’ils mettent enfin en place des textes et structures idoines permettant aux initiatives en tout genre de s’exprimer. Car rêver, à cause du coup de gueule d’une journaliste (fut-elle brillante), d’un affranchissement collectif et d’une transmutation spontanée de plusieurs milliers de personnes comme palliatifs aux carences d’un système ne serait que pure utopie.

(*) Kala-Lobéïsation : concept qui consiste à amalgamer la diaspora Camerounaise avec un peu de tout et de n’importe quoi : opposants qui n’ont rien compris au Cameroun et qui braillent de l’extérieur en attendant de pouvoir jeter des tomates et des œufs pourris à Paul Biya lors de ses déplacements officiels ; concitoyens nourris aux idéologies vétustes ou éculées, qui ne savent pas que le Cameroun change et pensent qu’ils vont faire la révolution Ché-Guévariste depuis Internet ; ou encore Camerounais en faillite propositionnelle qui passent leur temps à se plaindre et qui attendent que l’Etat les prenne par la main.


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