Jeune Afrique avait publié une liste de noms étant dans le collimateur du FBI
Le Jour a appris vendredi dernier, de source bien introduite, que les services
consulaires américains au Cameroun ont reçu instruction de ne pas délivrer de
visa d’entrée à certains dignitaires du régime. La décision émane du
département d’Etat. La date de son entrée en application ne nous a pas été
communiquée mais, selon notre source, plusieurs dignitaires camerounais sont
tombés sous le coup de cette mesure ces derniers jours. «La liste des
personnes concernées pourrait s’élargir dans les jours à venir»,
assure-t-elle, tout en refusant de livrer des détails sur l’identité et sur le
nombre des Camerounais mises au ban. Tout au plus on apprend, à demi mots, que
d’anciens ministres, et autres personnalités, seraient dans le collimateur.
L’interdiction d’accès au territoire américain ainsi décidée à l’encontre de
certains pontes de l’ère Biya a été prise en accord avec l’ordonnance 7750,
signée par le président George W. Bush en janvier 2004, et ne s’applique pas
aux personnes en mission pour les Nations-Unies. Au terme de cette ordonnance,
«les personnalités publiques corrompues et les anciennes personnalités
publiques dont le comportement a été hautement préjudiciable aux intérêts
nationaux des Etats-Unis », ne sont pas admises sur le sol américain. Une
telle sanction relève du pouvoir exclusif du département d’Etat, à Washington,
et non des instances diplomatiques locales, à Yaoundé.
Sans doute, l’avis de l’ambassade américaine a été sollicité. Contacté par Le
Jour, aucun officiel américain à Yaoundé n’a souhaité commenter le cas
camerounais. Un responsable s’est simplement contenté de dire que la mesure
prise à l’encontre de ces personnalités traduit le soutien de Washington à la
campagne anti-corruption lancée par Yaoundé. Tout porte cependant à croire que
le point de vue de quelques diplomates américains, actuellement ou anciennement
en poste au Cameroun, aurait prévalu. Ils auraient contribué à la collecte des
preuves et indices ayant motivé la décision du département d’Etat.
Ce n’est pas la première fois que l’ordonnance 7750 s’applique à un pays
africain. Au Kenya, au moins deux dignitaires du régime ont eu à en pâtir. Et,
précise-t-on de source diplomatique, les Etats-Unis souhaitent l’étendre
davantage à toutes les situations de corruption à travers le monde. Le Cameroun,
lui, semble en «bénéficier » pour la première fois. Même si, par le
passé, le consulat américain à Yaoundé a eu à refuser le visa à un ministre en
fonction, sans toutefois invoquer l’ordonnance 7750. Peu avant l’atteinte du
point d’achèvement de l’initiative Ppte, en avril 2007, Polycarpe Abah Abah,
alors ministre de l’Economie et des Finances, s’était en effet vu refuser ce
sésame, alors qu’il devait défendre la cause du Cameroun auprès du Fmi et de la
Banque mondiale.
D’après notre source, l’ordonnance s’applique aussi à la progéniture et aux
épouses des personnalités et cadres visés. « La liste va s’étendre également
aux membres de la famille des personnalités ciblées, en particulier les épouses
et les enfants. Les Etats-Unis sont déterminé à pourchasser non seulement les
personnes soupçonnées ou convaincues de corruption, mais aussi les potentiels
bénéficiaires de la corruption », précise-t-elle.
-«Même les enfants en quête de visa d’étudiants ?»
-« Oui ».
- « N’est-ce pas priver les enfants du droit à l’éducation ? »
-« Les études coûtent cher aux Etats-Unis. On ne peut accepter qu’un
individu spolie la jeunesse de tout un pays pour offrir à ses seuls enfants
l’opportunité d’une bonne formation universitaire»
Seulement, l’ordonnance 7750 peut poser des problèmes. Quid, par exemple, des
personnes condamnées par contumace, et vivant actuellement aux Etats-Unis, hors
d’atteinte de la justice camerounaise? Entre le Cameroun et les Etats-Unis en
effet, il n’existe pas de traité pour une assistance judiciaire. Les deux pays
ont cependant ratifié la convention des Nations-Unies en matière de lutte contre
la corruption. C’est dans ce cadre que les deux Etats coopèrent en matière
judiciaire. Les Américains estiment que le visa n’est pas un droit, qu’il ne
confère pas l’immunité, et que leur pays n’est pas une terre d’asile pour les
criminels. «Les procédures sont peut-être longues, mais ces personnes condamnées
par contumace pour détournements de fonds publics dans leur pays peuvent être
extradées des Etats-Unis», répond notre informateur. Simplement, la procédure
est longue, et souvent entravée par les manœuvres des avocats. Roger Tchouffa,
inculpé, puis condamné dans l’affaire de détournements au Crédit foncier, peut
en témoigner.
|