Rechercher
Rechercher :
Sur bonaberi.com   Google Sur le web Newsletter
S'inscrire à la newsletter :
Bonaberi.com
Accueil > News > News
Crise anglophone : Lettre ouverte à mes compatriotes francophones
(13/02/2019)
Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire pour vous parler de nos frères anglophones.
Par Olivier Nyobe
Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire pour vous parler de nos frères anglophones. Pour vous parler d’une crise qui, face à l’impéritie de quelques-uns et à l’indifférence de beaucoup d’autres, s’est muée en conflit armé sur fond de revendications politiques. J’ai voulu vous écrire pour vous parler de ce drame, du drame anglophone, dont le quotidien est désormais rythmé de la symphonie des balles qui sifflent.

Il m’est insupportable en ce jour, 58 ans après la réunification des Cameroun d’expressions anglaise et française, d’utiliser ces vocables d’« anglophone » et de « francophone ». Insupportable, en effet, d’avoir à invoquer des concepts hérités de l'histoire coloniale, fut-elle « riche » de son multilinguisme, pour parler des dangers auxquels notre pays est aujourd’hui confronté. Insupportable, enfin, d’avoir à tracer, une fois encore, cette ligne de démarcation qui n'aurait jamais dû exister entre nos deux communautés.

Mais les faits sont têtus et la violence de la crise qui sévit actuellement dans notre pays est là pour nous le rappeler. Assassinats ciblés, pillages organisés, villages entièrement brûlés, étudiants molestés, enseignants et avocats emprisonnés, humanitaires et acteurs de la société civile traqués, familles déplacées, hôpitaux et habitations saccagés, la liste des violations des droits humains dans les régions anglophones est désormais extrêmement longue. Et les principales victimes le sont, pour l’essentiel, parce qu’elles sont anglophones. Parce qu’elles ont revendiqué leur droit à l’altérité, fruit d’un héritage colonial séculaire. L'existence d'une dichotomie sociolinguistique au Cameroun semble indiscutable.


Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire pour vous dire que nous sommes tous coupables. Coupables de nos silences et de notre indifférence. Coupables de nos lâchetés. Mais surtout coupables de notre ignorance sur fond d’anathèmes jetés sur nos frères anglophones : « les anglophones ne souffrent pas plus que les autres », « l’ordre doit régner », « il n’y a pas de problème anglophone au Cameroun », « ces gens veulent déstabiliser notre pays », « force doit rester à la loi », « le Cameroun est un et indivisible », « La décentralisation va régler leur problème », « ils veulent le fédéralisme pour nous mener vers la sécession », « il faut dératiser ces régions. »

La même rengaine sur la loi, les mêmes slogans sur l’unité nationale et la même inculture politique. Le même déni des frustrations légitimes des anglophones de la part d’un gouvernement dont l’incurie est devenue quasi-maladive. Une rhétorique guerrière et irresponsable, reprise en boucle par certains médias d’une incompétence crasse, contribuant ainsi à cristalliser le conflit. Et pourtant... Dans un document adressé au Président Biya en mars 1985, l’avocat anglophone Gorji Dinka, inventeur du toponyme « Ambazonie », dénonçant la violation des accords de Foumban de 1961, alertait déjà sur les dangers de l’annexion du Cameroun anglophone par la majorité francophone en ces termes : « Qu'il soit donc entendu très clairement que personne de lucide n'acceptera jamais cette annexion.(...) Il existe des limites au-delà desquelles aucun être humain ne peut supporter d'insultes, même venant d'un frère. Si l'expression « Cameroun du Sud » nous a exposés aux ambitions annexionnistes, nous nous appellerons donc dorénavant l'Ambazonie. »


Quelques mois plus tard, en août 1985, les étudiants anglophones, exaspérés eux aussi des injustices administratives, publiaient une lettre ouverte au contenu d’une prémonition déconcertante aujourd’hui: « Si on ne trouve pas une solution durable à injustice sociale et à la privation économique de notre situation, si on ne met pas fin à cette assimilation qui nous est offerte en guise d'intégration, nous, vos enfants, vous assurons que nous serons obligés tôt ou tard de couvrir de sang les maisons, les rues, et même les jardins de ce pays. Nous n'accepterons pas d'être éternellement relégués au rang infamant de citoyens de seconde zone. Nous n'accepterons plus d'être privés de l'héritage culturel qui est le nôtre. (...) Nous ferons donc la guerre pour obtenir la justice, dont nous ne pouvons bénéficier sans cela. »


Les griefs qu’ils y exposaient étaient de la même nature que ceux évoqués par les leaders du Consortium en 2016 : « Dites-nous pourquoi le bilinguisme au Cameroun exige que les anglophones connaissent la langue française, et non vice-versa. Expliquez-nous pourquoi, avec des qualifications comparables sinon meilleures que celles de nos homologues francophones, nous sommes obligés d'étudier pendant cinq ans à l'E.N.A.M. tandis qu’eux ne font que trois ans pour obtenir le même diplôme. Dites-nous pourquoi la plupart des grandes écoles du pays nous sont fermées. Expliquez-nous pourquoi la plupart des principaux dirigeants de région à Buea et à Bamenda sont francophones alors que nous n'occupons pas de tels postes dans les provinces francophones. »

Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire parce qu’on ne pourra plus ironiser sur les frustrations historiques de nos frères anglophones. Beaucoup trop d’entre nous, ignorants qu’on soit de notre passé commun, ont eu la paresse de penser qu’elles étaient frivoles et circonstancielles. Or la crise que nous traversons est en réalité le fruit d’une récurrence de discriminations multiformes dont ils sont victimes depuis la réunification du Cameroun le 1er octobre 1961 et ce, sans que le gouvernement n’ait jamais souhaité y apporter de réponse concrète. Ce dernier a, au contraire, par son mépris habituel et son incapacité à accepter le jeu de la contestation, contribué à l’enlisement de la situation : brimades répétées, humiliations incessantes et, comble du ridicule, arrestations des leaders du Consortium, Nkongho Balla, Fontem Neba et leurs camarades, en Janvier 2017, sur des chefs d’inculpation fantaisistes.

Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire pour vous dire que la sécession, agitée de manière obsessionnelle en épouvantail, sous le sceau de la sacro-sainte unité et indivisibilité du pays, est un leurre. Entre 1945 et 2011, le nombre de pays indépendants reconnus dans les instances internationales est passé de 45 à 193. C’est une réalité et c’est l’histoire du monde, faite de séparations des peuples et de sécessions. Car on ne peut parler d’unité sans justice ni d’indivisibilité sans le respect des diversités. Aucun pays n’est incessible sans ces préalables. Et la résurgence des mouvements sécessionnistes au Cameroun, avec la violence qui l’accompagne, n’est que la conséquence d’une brutalité sociale et d’une marginalisation institutionnalisée à l’endroit de la minorité anglophone. Le gouvernement camerounais en porte la responsabilité.

Chers compatriotes francophones, j’ai voulu vous écrire pour qu’on fasse entendre enfin notre voix et qu’on rejoigne massivement les rangs de ces acteurs associatifs, encore trop exclusivement anglophones, qui œuvrent chaque jour pour réparer les affres et panser les plaies de cette guerre. J’ai voulu vous écrire pour qu’on mobilise nos ressources financières, pour qu’on participe au grand travail de reconstruction nationale et pour qu’on se batte pour ces milliers de familles déplacées. J’ai voulu vous écrire pour ces prisonniers détenus de manière arbitraire par le régime de Yaoundé et qui ont vu leur vie changer à jamais. J’ai voulu vous écrire pour nos frères anglophones. Ils ont besoin de nous. Ils ont besoin de tout. Francophones, levons-nous !

Olivier Nyobe (Bonaberi.com)


Note de la Rédaction: Sur le sujet de la crise anglophone, vous pouvez participer au grand projet de soutien aux régions anglophones sinistrées:

Je participe


Partager l'article sur Facebook
 
Discussions Discussion: 0 bérinautes ont donné leur avis sur cet article
Donnez votre opinion sur l'article, ou lisez celle des autres
Sur copos Sur Copos
Les vidéo clips Les vidéos clips
Récents Récents


Accueil  |  Forum  |  Chat  |  Galeries photos © Bonaberi.com 2003 - 2024. Tous droits de reproduction réservés  |  Crédit Site