Rechercher
Rechercher :
Sur bonaberi.com   Google Sur le web Newsletter
S'inscrire à la newsletter :
Bonaberi.com
Accueil > News > Points de Vue
Le changement ne viendra pas avec les médias
(10/03/2008)
Les récentes émeutes qui ont bouleversé le Cameroun, il y a deux semaines, ont mis en exergue quelques défaillances dans le traitement de l'information au Cameroun. Réflexion.
Par Yann Yange
Note de la rédaction : l’article qui suit n’a pas vocation à tirer à boulets rouges ou à distiller des critiques vides et non constructives sur la presse camerounaise. En effet, on ne le dira jamais assez, les médias de notre pays, notamment privés, fournissent, tout au long de l’année, un travail remarquable, courageux et de longue haleine dans un paysage médiatique soumis à des contraintes dont on ignore certainement l’ampleur du cynisme et l’abjection.

Néanmoins, indépendamment de ces difficultés, les récents évènements ont mis en évidence ce qui est apparu, selon nous, comme des défaillances, qu’elles soient d’ordre éditorial ou matériel, dans le traitement de l'information dans des crises d’une envergure de celle que l’on a subie ces derniers jours. Nous avons voulu par cette tribune ouvrir le débat. Nous l’espérons constructif.




Etre journaliste dans des pays où la démocratie n’existe que sur les rebords poussiéreux de quelques textes de loi, entérinés à la vite dans les couloirs d'une assemblée nationale non représentative, n'a jamais été chose facile. On le sait bien. La crise récente au Cameroun, avec son lot d’arrestations, de fermeture de chaînes et de censure tout azimut, l’a brillamment démontré. Néanmoins, par delà les atteintes graves aux libertés individuelles et les excès du Ministère de la communication, ces récents évènements ont aussi mis en exergue un certain nombre de carences et de faiblesses inhérentes aux médias camerounais. Car il faut bien le dire : pendant cette tragique semaine d’émeutes, le journalisme camerounais s’est quelque peu dévoyé dans une sorte de « monarchie médiatique » renvoyant ainsi aux calendes grecques les bons vieux concepts de pluralisme et d’indépendance de la presse.

Au premier rang, la CRTV. La télévision publique, dont on se demande si elle peut encore être considérée comme un média classique ou comme un outil de propagande, est sans aucun doute l’incarnation même de ce qu’on pourrait appeler, aujourd’hui, le déclin du journalisme camerounais. Personne ne doute plus, avec le traitement qui a été fait des évènements de la semaine dernière, de la partialité de cette chaîne de télévision dont les programmes n’intéressent plus que quelques nostalgiques de l’époque des illustres Eric Chinjé, Dieudonné Pigui ou Denise Epotè. L’exemple du journal télévisé en français, du Mardi 26 février, présenté par Ibrahim Chérif et Sally Messio a Bediong, était symptomatique du malaise que vit cette chaîne de télévision. Pendant que le tragique se déployait dans les artères des villes camerounaises, nos deux braves journalistes n’ont pas trouvé mieux que de commencer leur journal par les audiences accordées par le chef de l’Etat à deux diplomates, l’un ivoirien et l’autre saoudien.

Ensuite, de nous présenter un pseudo reportage d’un correspondant, difficilement joint au téléphone, qui s’évertuait à expliquer que la situation était au beau fixe à Douala, contredisant ainsi toutes les informations émanant directement des quartiers. Le pic de l’irresponsabilité a certainement été atteint avec la diffusion dans ce même journal du point de presse de l’Union Socialiste pour le Progrès (USP), formation inconnue du grand public, dont le Président, Daniel Mbock Mbegde, annonçait pompeusement qu’il était pour la modification de la constitution au Cameroun et que ce n’était pas ce qui intéressait les camerounais, au fond. A se demander comment un parti qui n’a aucune représentativité sur l’échiquier politique national a réussi à se trouver trois minutes en prime time au journal télévisé, en pleine tempête sociale, pour dire son positionnement en faveur de la démarche du chef de l’Etat. Si ce n’est là une manœuvre de diversion, on est quand même bien tenté de s’interroger.


Cameroon-Tribune, quant à lui, n’est pas logé à meilleure enseigne. Et il n’y a pas que pendant la récente crise sociale que ce journal s’est illustré à démontrer, brillamment, les limites de sa ligne éditoriale. Le récent appel des élites du Mfoundi, publié dans ses colonnes, est révélateur de cette tendance à la courtisanerie dont se prévalent ostensiblement les responsables de ce média, avec à leur tête l’illustre Marie Claire Nnana. On a d’ailleurs été surpris de voir, dans un de leurs récents éditoriaux (1), le journaliste Monda Bakoa fustiger l’attitude de la presse privée en dénonçant ce qu’il a appelé les « excès d’une presse qui flirte avec l’extrémisme, se détournant de l’éthique et de la noble cause du combat pour la justice, la liberté, la démocratie. »

A se demander si ce Monsieur lisait lui-même, de temps en temps, le journal dans lequel il publiait. On pourrait épiloguer indéfiniment sur le traitement de l’information fait par les médias publics tout au long de la semaine d’émeutes urbaines, de l’après discours de Paul Biya au débat initié le Vendredi soir à la télévision nationale par Charles Ndongo. Ce dernier a presque réussi à ne voir dans ses revendications des jeunes, qu’une dichotomie singulière : ceux qui sont pour la casse, et ceux qui sont contre. Comme si cette insurrection ne devait se regarder qu’à l’aune de quelques actes de vandalisme, aussi graves soient-ils.

Les autres chaînes de télévision privée, à l’instar de STV et Canal 2 ont elles aussi rencontré des difficultés majeures pour traiter la crise sociale qui a embrasé le pays. Mais pour des raisons tout à fait différentes de la chaîne nationale et qui n’avaient à priori rien à voir avec la partialité de l’information. En effet, il était impossible pour les reporters sur le terrain d’avoir de quelconques vraies images ou vidéos prises dans le feu de l’action comme on aurait pu s’y attendre. STV a réussi à « voler » des images ça et là pendant les émeutes, dont une vidéo d’une bande de militaires tabassant un jeune manifestant, mais, dans l’ensemble, les images pertinentes et de bonne qualité ont été rares. Les manifestants, parfois surexcités, ainsi que les forces de l’ordre, n’accueillaient point d’un bon œil les hommes de médias dans les points chauds. En l’absence d’images (relative diront certains) et de vidéos parlantes, les observateurs ont été obligés de se nourrir de rumeurs en tout genre et d’informations provenant de sources plus ou moins fiables émanant des lieux d’activisme.


La presse écrite privée, maintenant. Si celle-ci a fourni un travail remarquable en ce qui concerne la retranscription du fil des évènements, ville par ville, avec force détails, notamment avec les reportages de Denis Nkwebo pour Mutations, elle n’a pas semblé avoir le sens critique aussi affûté que les évènements l’auraient exigé avec les premiers morts. Les éditoriaux d’Alain Blaise Batongue avaient à cet effet gardé le même ton, un tantinet modéré, alors que l’amoncellement de cadavres exigeait, le Mardi 26 février déjà, un autre son de cloche. Le journalisme, ce n’est pas seulement raconter et relater, comme ont pu le faire brillamment les deux quotidiens phares, Mutations et Le Messager lorsqu’ils sont parus en ligne. Mais c’est aussi faire un travail intellectuel qui consiste à rentrer en dissidence chaque fois que la situation l’exige.

Des gens qui disparaissent, des jeunes qu’on assassine impunément, une répression de tout instant et aucune plume n'a pu s'en indigner avec l'énergie d'un Mongo Béti ou la rigueur d'un Jean Paul Sartre. Aucune protestation à la hauteur du drame humain qui se profilait n’est fondamentalement ressortie de nos papiers. En tombant sur les "Unes" de nos principaux titres, on aurait pu croire qu’on avait affaire à une crise anodine. Les mésaventures de Joe La Conscience retenu au SED, celles des nombreux autres journalistes avec la police, ou la "disparation" de Mboua Massock n'ont pas eu l'air d'impressionner plus que cela nos médias nationaux. On se contente de conter les faits mais on ne se positionne pas. On se contente les décrire mais on ne s’engage pas. Aucun éditorial endiablé comme on aurait pu s’y attendre pour dénoncer ces pratiques d’un autre âge.

Dès lors, de s'interroger sur cette "nouvelle presse" : n'est-elle plus ce vecteur de l'intelligentsia qui, pour paraphraser Maurice Kamto (2), « doit interpeller en permanence sur l'idée de justice et le devenir de la liberté » ? N'est-elle plus le terreau de ce pouvoir intellectuel qui, à tout moment, « doit être la conscience lucide de la société et la mauvaise conscience des gouvernants » ? Pius Njawe semble être resté l’un des seuls vestiges de ce journalisme dissident et subversif qu’on a connu pendant la période faste des années 90 avec des titres comme Challenge Hebdo, Galaxie, Dikalo, Le Messager et La Nouvelle Expression et qui commence à faire tant défaut à la presse camerounaise. C’est le seul à s’être fendu d’un article consistant dès le Lundi 25 février intitulé : « Arrêtez le massacre ». Pourquoi lui ? On ne saurait dire. Ses multiples passages dans les geôles infectes de New Bell lui auraient-t-ils donné une certaine liberté de ton dont n'ont pu se prévaloir ses confrères ? Les autres directeurs de publication ont-ils cédé aux sirènes de la complaisance et de la connivence dont le chef d’orchestre était le Ministre de la Communication ? On a envie de répondre par la positive.

Car il faut bien le dire : quand on lisait la presse camerounaise tout au long de cette semaine tragique, il se dégageait une sorte de neutralité un peu cynique et un fort sentiment de complaisance, le tout mêlé à une volonté très claire de ne pas subir les foudres de la censure ou des fermetures récemment instituées par le pouvoir en place et dont nombre de journalistes ont déjà eu à faire les frais.

Haman Mana
Haman Mana
On veut bien comprendre qu’être journaliste, c’est aussi un métier qui nourrit son homme au quotidien dans un environnement où la conjoncture économique n’est favorable qu’à une très petite minorité. Mais on reste quand même dubitatif sur la manière dont les éditorialistes et autres chroniqueurs « vedettes » ont traité dans la presse écrite les tueries, mais aussi le vandalisme qui sévissait : uniquement des articles teintés d’indulgence voilée par quelques critiques générales et timides, à l’image d’Alain Blaise Batongue du quotidien Mutations, ou d’Haman Mana, du quotidien Le Jour, dont on connaissait la plume plus incisive à une certaine époque. D’aucuns argueront que la responsabilité de la Presse était à l’apaisement et au retour à la paix dans toutes les villes du Cameroun. Nous ne saurions défendre une position contraire.

Mais, depuis quand s’indigner contre les assassinats perpétrés par les forces de l’ordre, condamner avec fermeté les casses, et lancer des appels au calme en bonne et due forme sont-ils antinomiques ? Les Camerounais sont-ils si stupides et incapables de distinguer le bien et le mal pour que le Ministre de la communication pense qu’il faille donner de grandes orientations aux patrons de médias pour que leurs journaux instaurent le calme dans le pays ? Une majorité silencieuse de Camerounais était cloîtrée chez elle et le Cameroun n’est pas le premier pays avec des émeutiers survoltés qui manifestent leur ras-le-bol. S’il fallait ameuter des militaires avec des chars de guerre et des kalachnikov chaque fois qu’il y a de petites insurrections populaires, inorganisées, et qu’il faille museler la presse pour contenir les manifestants, des pays comme la France auraient certainement décrété l’Etat d’urgence chez eux, fermé toutes les télévisions et rapatrié tous leurs soldats d’Afghanistan pour venir secourir les policiers lors des mini insurrections de jeunes de banlieue en 2005.

Le Président Biya n’est pas en poste depuis 2004 pour qu’il faille le caresser dans le sens du poil comme s’il en était encore à son premier mandat et attendre 2011 pour faire état de son bilan et des ses manquements. Il dirige un pays que lui a gaillardement légué Ahmadou Ahidjo comme un petit jouet a conserver précieusement depuis 1982 et le système de gouvernance qu’il a conçu, le libéralisme communautaire qu’il a prôné, sans toutefois en faire bon usage, ont montré leurs limites depuis des lustres. Pas besoin d’être un opposant acharné, fanatique et passionné pour en faire le constat et le dénoncer. Et encore plus vigoureusement en période de crise, surtout après un discours tout aussi belliqueux que l’attitude des multiples casseurs, vandales et des quelques bandits de grand chemin qui ont écumé les artères des quartiers chauds. Profitant ainsi du désordre pour noyer le lot des vraies revendications dans des actes de vols, d’agressions sur personnes et de violences en tout genre.

Donc, Messieurs les journalistes, allons ! On ne le dira jamais assez : il n’est pas encore contradictoire de fustiger un système qui opprime de nombreux jeunes Camerounais, avec une certaine hypocrisie, avouons-le, et dans le même temps, d’appeler à des attitudes responsables et à l’apaisement sur toute l’étendue du triangle national. Il aurait peut-être suffi que vous vous concertiez et mettiez en "grande Une" de vos journaux, des appels au calme nationaux, le même jour éventuellement, ou durant toute la semaine carrément. Et si on peut vous concéder le fait d’avoir voulu suivre, peut-être involontairement, le vieil adage de Voltaire postulant que « la vérité ne valait pas mieux que la paix », on a quand même envie de dire que la vérité constitue un fondamental incontournable de paix durable entre les hommes.

Chaque fois qu’il y a des exactions comme celles qu’on a vécues ces derniers jours, il faut les dénoncer avec force et énergie, d’où qu’elles viennent, qu’elles soient le fait de vandales non clairement identifiés ou de forces de l’ordre visiblement inexpérimentées. Car la presse, écrite notamment, doit rester le dernier rempart intellectuel contre les dérives d’une société qui peine encore à se construire. Et, on ne fait peut-être pas du journalisme sur un florilège d’émotions, ou même encore sur des bons sentiments, mais on ne transige pas non plus avec le vandalisme et les assassinats. Le bon journalisme, c'est parfois aussi un journalisme qui s'insurge, qui conteste et qui laisse des traces de plume indélébiles.


Notes :
(1) Cameroon Tribune, édition du 5 Mars 2008
(2) Maurice Kamto, L'Urgence de la Pensée, Editions Mandara


Partager l'article sur Facebook
 
Classement de l'article par mots clés Cet article a été classé parmi les mots-clé suivants :
points de vue  emeutes  medias  dictature  yann yange  
(cliquez sur un mot-clé pour voir la liste des articles associés)
Discussions Discussion: 10 bérinautes ont donné leur avis sur cet article
Donnez votre opinion sur l'article, ou lisez celle des autres
Sur copos Sur Copos
Les vidéo clips Les vidéos clips
Récents Récents


Accueil  |  Forum  |  Chat  |  Galeries photos © Bonaberi.com 2003 - 2024. Tous droits de reproduction réservés  |  Crédit Site