On peut affirmer avec certitude: courant octobre 2002, Assets Porfolio Management
(Apm), a tenté de fourguer un avion au chef de l'Etat. Pour les
besoins de la cause, cette S.A au capital de 140 millions de francs est constituée
en l'étude Me Béatrice Rufine Assena le 1er août 2002.
L'acte de naissance de la société précise qu'elle se spécialise dans le trading
pétrolier (achat et vente du pétrole brut et des produits pétroliers dans la sous-région
d'Afrique centrale), le négoce international (import-export)… Parmi les fées réunies
ce 1er août 2003, autour du berceau du bébé naissant, on retrouve Kevin Walls,
le " chief exécutive " de Aircraft Portfolio Management (à ne pas confondre
avec Assets Portfolio Managment), une autre entreprise basée à Londres, et enregistrée
aux Iles Caïmans, Otélé Assomba, Elongue Johnson Lifange, Tomaszewski Philippe,
et… Inoni Ephraim, alors secrétaire général adjoint de la présidence de la République.
L'implication de Inoni Ephraim dans cette affaire serait un cas d'école de confiance
mal placée. Kevin Walls, comme beaucoup d'investisseurs étrangers, aurait estimé
que l'environnement des affaires n'est pas sécurisé au Cameroun, et que rien n'est
possible sans un parrainage venu d'en haut. Il aurait donc jeté son dévolu
sur le secrétaire adjoint à la présidence. Au vu des documents, cette société se
serait constituée en l'absence de Inoni Ephraim. A la lecture des documents, le
Sga /Pr de l'époque n'est pas actionnaire, et n'a pas pris part à l'assemblée générale constitutive de Apm. Mis au courant de l'initiative de son solliciteur, Inoni
Ephraim a demandé au notaire d'annuler l'acte. Ce qui, on peut l'attester
aujourd'hui sur la foi d'un témoignage digne de crédit, est fait illico presto.
Kevin Walls entreprend aussi d'intéresser d'autres personnes. Le 11 août 2002, soit moins de deux semaines après la création de Apm, sans même attendre l'enregistrement
par les services des impôts de son acte de constitution, il fait de avances
au cabinet civil de la présidence de la république. L'offre de services
est précédée d'un mot sur les états de service de Apm. Kevin Walls affirme être
le consultant de plusieurs gouvernements et institutions multinationales et compagnies
aériennes. Il insiste sur le caractère confidentiel de ses relations avec ses partenaires
qui se recrutent à travers le monde. Au nombre de ses prestigieux clients il mentionne
les gouvernements sud-africains et indonésiens qui, dit-il, viennent de bénéficier
de son assistance pour " le choix et le financement d'un avion convenable
". Le chef d'état-major particulier du chef de l'Etat reçoit un courrier en tout
point similaire.
Les destinataires de ces missives ne sont pas choisis au hasard. L'un et l'autre
interviennent dans la gestion et la sécurité des voyages officiels. Tous deux ont
l'oreille du chef de l'Etat. Kevin Walls qui leur écrit de l'étranger émet le souhait
de rencontrer personnellement ses correspondants… Ce vœu a-t-il été exaucé ? Difficile
de répondre. Toujours est-il que, quelques jours plus tard, Kevin Walls séjourne
à Yaoundé, avant de regagner Londres le 19 août à bord d'un avion Airbus 340 de
Air France.
De toute évidence, Kevin Walls a suffisamment mis à profit son séjour dans la capitale
pour
donner un coup d'accélérateur à ses affaires. Au début du mois d'octobre 2003
en effet, la communication est des plus fluides entre la camerounaise Assets Portfolio
Management et Kevins Walls, d'une part, et des responsables haut placés, d'autre
part. Le 10 octobre, Apm adresse à Mme Nyangang, conseiller à la présidence, un
dossier pour livraison d'un Boeing Business Jet (Bbj) au président Biya. Il se dit à même de livrer le Bbj " avant la fin de l'année".
Le Bbj proposé à Paul Biya appartient à la famille des 737. Conçu pour satisfaire
la demande en avions d'affaires de grande autonomie, il est quatre fois plus spacieux
que les autres "executive jet" de la même gamme. Le premier spécimen est
sorti des usines Boeing à Seattle en 1998. Celui proposé par Apm, au prix de 56.75
millions de dollars (31,21 milliards de Cfa), est donc âgé de moins de cinq ans.
Il peut voler de Yaoundé à Washington sans escale.
Pourquoi le silence est-il subitement retombé sur l'offre Apm ? Le marché de l'audit
de la Camair, finalement confié à Apm au prix, semble t-il, de moult entorses
à l'éthique commerciale, a-t-il apaisé l'appétit de cette société grossièrement
prédatrice? Les collaborateurs du chef de l'Etat se sont-ils aperçus que l'affaire
sentait le roussi? Le projet a-t-il été abandonné faute de recueillir la bénédiction
de Paul Biya?
Faute d'obtenir des réponses des protagonistes camerounais et londoniens de l'affaire,
nous nous sommes mis sur les traces de Aircraft portfolio Management, la maison mère de Assets Portfolio Management, à travers le monde. Première escale :
le numéro 1 502 564 5550, présenté sur les correspondances adressées à la présidence
comme l'adresse téléphonique de Apm aux Etats-Unis : " This is a State government
office ", répond une voix féminine qui marque sa surprise. La dame
au bout d fil n'a aucune idée de Aircraft Portfolio Management, et nous renvoie
à la Dun and Bradstreet, une banque de données qui rassemble les renseignements
sur des millions d'entreprises installées ou représentées aux Etats-Unis. Là aussi,
aucune trace de Apm.
Conclusion : Paul Biya a échappé de justesse à une escroquerie. Mais n'en a
tiré aucun enseignement. Le souffle paresseux de l'Albatros a aveuglé le chef de
l'Etat, balayé les leçons de l'affaire Apm, et étouffé les cris de geai du
Fonds monétaire international.
Source :
Le Jour
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