Il est difficile de penser, au moment où en ville, on verse la nourriture de la veille dans la poubelle, que des familles entières dans le Logone et Chari passent deux à quatre jours sans se mettre quelque chose sous la dent. La famine dont on parle tous les jours dans cette région, se limite jusqu’ici, pour la plupart d’entre nous, à des images fugaces de la télévision ou à des reportages in vitro à la radio ou dans des journaux. Pourtant, dans ce département situé aux confins du Cameroun, à la lisière avec les pays sahéliens, la faim et la malnutrition sont en passe de rivaliser avec niveau des ravages certaines pandémies telles que le paludisme, la tuberculose et le Vih/Sida. La pauvreté à laquelle viennent se greffer les mauvaises conditions pluviométriques, notamment l’insuffisance et la mauvaise répartition des pluies conduit depuis quelques années à une dégradation de la situation alimentaire et nutritionnelle dans ce département. Pendant trois jours, une équipe de journalistes des médias de la place, conduite par le département de la communication du Centre régional pour l’Afrique centrale du Programme alimentaire mondial a pu se rendre compte des réalités de la famine dans ce département où la vie des populations tient désormais à la générosité de la communauté nationale et internationale.
Si dans l’ensemble du département, la famine reste une réalité que se partagent les populations, dans les localités des arrondissements de Makari, de Goulfey, de Hilé-Alifa et de Darack, la situation alimentaire et nutritionnelle est des plus préoccupantes. Dans ces localités où les dernières pluies datent de plus d’un an, aucun épi de céréales n’a été récolté lors de la dernière saison agricole. C’est depuis belle lurette que les petits stocks de céréales ont été épuisés. Et les populations ont développé divers mécanismes de survie. A Choloba, localité de l’arrondissement de Goulfey, à une quarantaine de kilomètres de Kousseri, vivent 40 ménages. Abouna Abdelkadr, 63 ans a 22 personnes à nourrir, dont deux femmes, 13 enfants et 7 petits-fils, tous à sa charge. La ration journalière tient à la vente du bois de chauffe. L’unique repas du jour a lieu à 18h30. Pour faire face à la situation, Abouna a vendu tout son bétail. Les enfants ne vont à l’école que lorsqu’ils ont mangé. Le reste du temps, ils vont à la recherche du bois pour faire bouillir la marmite.
Non loin de là, à Moulouang, à 9 Km de Goulfey, plusieurs enfants vivent grâce au projet de cantine scolaire mis en place par le PAM, à l’école publique locale. Les 254 élèves prennent un repas à midi et puis les filles inscrites dans les trois dernières classes du cycle primaire bénéficient des rations sèches, notamment, chacune un sac de maïs ou de riz par trimestre.
Des fourmilières éventrées
Sur la route qui mène à Makari, autre arrondissement du Logone et Chari, d’autres systèmes de survie plus originaux ont vu le jour. Plusieurs femmes, chefs de famille ayant plusieurs personnes à charge, se livrent à longueur de journée à la fouille des fourmilières, à la recherche d’hypothétiques graines d’herbes sauvages. A Yik, village situé à une vingtaine de kilomètres de Makari, toutes les fourmilières du coin ont été littéralement éventrées. " C’est la terre de nos ancêtres, on va aller où ", nous répond sans conviction, Mahamat Moussa, chef de ce village.
D’autres habitants font recours à l’usure pour survivre. C’est ainsi qu’un sac de maïs emprunté à la période de soudure sera remboursé par trois voire quatre sacs. Ailleurs, des familles entières des villages sinistrés, émigrent vers les centres urbains. Mais l’instinct de survie de plusieurs jeunes et des personnes valides est perceptible aux abords du Lac Tchad. Beaucoup y viennent pour pratiquer l’agriculture de décrue, la pêche ou simplement pour travailler comme employés dans les champs de maïs et de niébé (haricot). Mahamat Meklandi, ex-commerçant, est parti d’Afadé, dans l’arrondissement de Makari pour s’installer saisonnièrement à Tchika, localité de l’arrondissement d’Hilé-Alifa, récemment rétrocédé par le Nigeria au Cameroun. Lui et sa femme ont abandonné leurs 10 enfants au village pour venir cultiver le maïs à Tchika, à 10 Km du Lac Tchad. Mais les abords du Lac Tchad où vit une mosaïque de nationalités et d’ethnies constituent des zones où les conditions de vie des populations riment avec l’enclavement, la promiscuité et l’insalubrité. C’est également des foyers de propagation des maladies à l’instar des " diarrhées rouges " et le Vih/Sida.
Pour l’heure, à Tchika comme à Naga, Darack, les populations ont les yeux rivés sur l’aide alimentaire du chef de l’Etat et du PAM. Pendant que les hommes s’affairent à se faire recenser pour recevoir ces aides, les femmes et les enfants, faméliques, attendent dans les sarés, assis sur des nattes. La malnutrition y a atteint des proportions inquiétantes.
|