Depuis plusieurs années, les acteurs économiques et sociaux camerounais ayant accès à l’énergie électrique (environ 70% des besoins en énergie électrique des ménages sont satisfaits par le bois ou le charbon. Et sur 30.000 villages, seulement 2000 sont électrifiés) ont une tendance générale à s’accommoder des performances médiocres de la Société nationale d’électricité (Sonel) ; en particulier avec des délestages imprévus, imprévisibles et généralement inexpliqués par les dirigeants de cette entreprise publique. Bientôt trois (03) ans après la privatisation imposée par le FMI et la Banque mondiale, Mark Miller ou plutôt "Dark Killer", ainsi que l’ont baptisé les camerounais, mandataire de la multinationale américaine AES Corp acquéreur de 56% des actions de la Sonel, officialise la crise de l’énergie électrique par un communiqué de presse (Prise de conscience : Gestion de la sécheresse
Pendant que l'on note avec amertume le mutisme général du ministère en charge de l’énergie, le Comité d’études prospectives industrielles (CEPI) du ministère du Développement industriel et commercial (Mindic) publie une étude pertinente intitulée “Rapport sur les difficultés d’approvisionnement des industries nationales en énergie électrique, enjeux, contraintes et perspectives” (décembre 2001). Quelques jours plus tard, le “régulateur” (Agence de régulation du secteur de l’électricité - ARSEL), prend la décision N0 001/DG/ARSEL du 25 janvier 2002 fixant les tarifs de vente hors taxe d’électricité applicables par la société AES-Sonel. Il faut garder à l’esprit que le Cameroun est actuellement largement au-delà de la troisième année de son programme économique et social, constamment contestable, avec les institutions de Bretton Woods (2000-2003). Sans négliger les conséquences sur les autres composantes de la société camerounaise, la déstabilisation continue du système productif nous semble être dans œ adonnes un enjeu de sécurité nationale de premier ordre.
Les contre-performances
Une sécurité nationale autrement perturbée, depuis la privatisation de la Société nationale d’électricité (Sonel), fin 2001 début 2002, par des performances manifestement médiocres. On constate en effet depuis lors un gap gigantesque entre la puissance installée et la production effective. La puissance installée de la Sonel depuis plusieurs années, telle que le ressort une étude du CEPI, est d’environ 800 MW.
Cette capacité de production d’énergie électrique se décompose en hydroélectricité 82,50% (barrages d’Edéa, de Song-Loulou et Lagdo) et en thermique classique 17,50%. Cette capacité de production correspond à une mise à disposition théorique d’électricité dé 7 milliards de kilowatt/heure (KWH) par an.
La production effective des années 90 se situe à 2,8 milliards de KWH par an, c’est-à-dire 40% de la puissance installée. Un gap de 60% par rapport à la capacité installée est la première indication forte des contre-performances de la Sonel. Au lieu que les capacités inutilisées soient justifiées par la faiblesse de la demande d’énergie électrique, elles sont plutôt la traduction des déficiences managériales de l’entreprise, notamment le refus de mettre l’investissement de renouvellement en priorité, l’absence de veille sur les normes de maintenance, les négligences et défaillances techniques organisées par les agents mêmes de la Sonel.
Une répression permanente de la demande et une tarification problématique Une bonne partie de la demande solvable en énergie électrique est restée durablement et demeure encore insatisfaite aujourd’hui.
Les estimations du taux de croissance (5% réajusté à 8% plus tard) de la demande n’intègrent pas les effets néfastes de la répression qui se traduit de plusieurs manières: énormes difficultés à obtenir un branchement même en acceptant de payer les frais supplémentaires de corruption imposés par les agents et les procédures opaques de l’entreprise; les coupures intempestives dans la fourniture de l’énergie ; la demande insatisfaite des entreprises et des industriels en particulier, qui se découragent et recherchent des solutions de rechange même plus coûteuses, ou abandonnent tout simplement.
La politique des prix
Les statistiques disponibles de consommation indiquent un niveau en dessous de la production effective, et traduisent en fait une situation éloignée de la réalité du marché de l’électricité. La politique des prix de la Sonel nous semble avoir contribué plus à l’appauvrissement des contribuables qu’à tout autre chose. La clientèle étant structurée en “clients basse tension’, “clients moyenne tension” et “clients spéciaux ou haute tension”, les options de service public devraient notamment permettre de garantir la fourniture d’énergie électrique aux clients vulnérables en matière de pouvoir d’achat.
Au lieu de cela, la Sonel a passé son temps à ruiner les contribuables camerounais en subventionnant, sans contre-partie économique et sociale, les “clients spéciaux” en particulier Alucam, c’est-à-dire Pechiney (France).
Depuis les années 60, Alucam le plus gros consommateur d’électricité avec environ 45%, paye le kwh à 5 francs CFA! Alors que Cimencam paye 24 FCFA et Cicam 20 FCFA. Un prix effrayant même pour un pays comme la France qui est un des producteurs d’électricité les plus compétitifs avec le kwh nucléaire à 20 FCFA et le kwh gaz à 22 FCFA.
Par rapport au consommateur de la tranche sociale (qui devrait normalement bénéficier du plus grand soutien de l’Etat), Alucam paie dix (10) fois moins cher (~0 FCFA!). En 1998/1999, Alucam a consommé 1.357.272.000 kwh, ce qui correspond à une subvention de 61.077.240.000 de francs CFA par rapport au consommateur pauvre. Pour quelle contre-partie ?
That is the big bang question. Néanmoins, le moins qu’on puisse dire au terme de cette réflexion est qu’une interrogation majeure subsiste: celle de savoir pourquoi la privatisation de la Sonel a entraîné une crise de l’énergie électrique au Cameroun. Et de notre point de vue, la réponse semble se trouver dans les responsabilités de cette crise, et la déficience de la politique énergétique nationale.
Les causes, les responsables
A propos de responsabilités, AES Corporation est une entreprise privée américaine ayant une couverture mondiale et spécialisée dans la production et la distribution de l’électricité. Au 31 décembre 2000, cet électricien avait une capacité de production de 42.133 MW et distribuait l’électricité auprès de 18 millions de clients avec des ventes annuelles de plus de 126.000 gigawatt heures.
La Sonel n’avait qu’une capacité de 800MW avec seulement 448.000 clients pour 2,90 W/h en 98/99; ce qui est somme toute infinitésimal. Cette société américaine qui est alors dirigée par Denis W. Bakke (président & CEO), cotée à New York Stock Exchange et auditées par Deloitte & Touche (un des Big Five), a réalisé en 2000 un chiffre d’affaires de 6691 millions de dollars en croissance de 103% par rapport à 1999, dégagé un bénéfice net de 641 millions de dollars en croissance de 181%.,
Son total bilan au 31 décembre 2000 est de 31.033 millions de dollars en croissance de 49% par rapport à 1999.
Avec 1 dollar à 730 FCFA, le chiffre d'affaire de AES-Corp est de 4884 milliards FCPA soit 84% du PIB camerounais en 1999/2000 (5827 milliards de FCEA) et plus de trois (3) fois le budget du Cameroun en 2001/2002 (1545 milliards) FCFA.
Pour le cas de la Sonel, ses indicateurs financiers n’ont même jamais été connus. Lorsqu’une entreprise privée de la trempe de AES Corp. Prend contrôle d’une compagnie comme la Sonel, fonctionnant sous Niat Njifenji en dehors de toute norme de performance et de contrôle, c’est un qui doit s’opérer.
La rigueur de l’arithmétique économique et financier réapparaît subitement. En général, tous les chiffres connus subissent des variations importantes. Les causes de la crise de fourniture de l’énergie électrique ne peuvent pas être imputées à l’investisseur privé étranger, même près de trois ans après la prise de contrôle de la Sonel. Les standards de gouvernance industrielle appliqués par AES Corp, n'ayant rien à voir avec la médiocrité managériale de la Sonel et de l’Etat camerounais (les finances publiques n‘étant pas auditées en l’absence d’une cour des comptes).
Et l’Etat camerounais?
Les Camerounais n’ont donc qu’à s’en prendre à eux-mêmes. La Sonel était déjà “privatisée” au profit des intérêts privés des dirigeants et des entrepreneurs du marché politique. Pourquoi les Camerounais n’interpellent-ils pas la responsabilité des anciens dirigeants de la Sonel (direction générale et conseil d’administration) qui devraient être comptables de leur mauvaise gouvernance ? lesquels dirigeants se pavanent pourtant on toute quiétude et insolente impunité. Comme le démontre cette déclaration d’un des mandataires de l’Etat camerounais dans l’opération de privatisation de la Sonel, l’incompétence éthique et technique des acteurs de l’Etat a eu des implications néfastes pour le pays.
Nous devons noter que la vente d’une entreprise industrielle dans un secteur stratégique comme l’électricité nécessite une expertise de qualité, une démarche globale de politique industrielle et financière de l’Etat et une philosophie positive de l’intérêt national. L’ampleur des insuffisances qui ont émaillé la privatisation de la Sonel comme des autres entreprises du secteur public et parapublic n’est que le reflet de la déficience des moyens techniques mis en œuvre par l’Etat.
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