La France avait déjà offert son appui au Cameroun dans cette opération, notamment en offrant ses services dans l’acquisition des photos-satellite devant permettre la démarcation de ses frontières. La délimitation de la frontière maritime donnant désormais lieu à un forte résistance nigériane, il est tout naturel que Paul Biya tente de mobiliser ses pairs pour ramener son voisin téméraire à la raison.
Le Nigeria, qui a acquis le statut d’observateur des réunions de la Francophonie, pourra également être représenté, à un niveau élevé de l’Etat. Un tête-à-tête Obasanjo-Biya ne sera certainement pas de trop à Ouagadougou, et permettrait, probablement, de mieux rapprocher les points de vue sur les mécanismes et délais de transfert d’autorité sur la presqu’île de Bakassi.
De toute évidence, l’usage montre que les délégations des différents pays se contentent rarement de disserter sur le thème du sommet. On en a un avant-goût avec le projet de résolution sur la Côte d’ivoire. Lors de leur huis clos, les chefs d’Etat pourraient alors avoir à adopter une résolution confirmant l’isolement diplomatique du pouvoir ivoirien, comme le souhaitent Blaise Compaoré, le président burkinabé, et Jacques Chirac, à qui plus personne n’ose désobéir en Afrique noire francophone. Ce qui prouve que ces sommets peuvent également être des instances de lobbying, une sorte de mini conseil de sécurité où les jeux d‘intérêts permettent aux amis de s’échanger de petits services.
Dans ce sens donc, Paul Biya s’emploiera à sensibiliser ses pairs sur sa bonne volonté à appliquer l’arrêt de la Cour internationale de justice, précisant bien qu’on ne peut pas en dire autant de tout le monde...
Autre sujet que Paul Biya s’empressera d’évoquer, en priorité, avec Jacques Chirac, la question des relations avec le Fmi. Le Cameroun, ayant été déclassé par l’institution de Brettons Wood en août dernier, c’est toute son activité sur le front de la coopération internationale qui est gelée. Qu’il s’agisse du Club de Paris ou des autres instances de traitement de la dette des pays pauvres, ils ne se réunissent sur le cas d’un pays, qu’à la condition que cet Etat soit sous programme avec le Fonds monétaire international. Ce qui, naturellement, n’est plus le cas du Cameroun depuis le mois d’août.
L’influence des grandes capitales occidentales sur les institutions financières multilatérales internationales n’est plus à démontrer. La neutralité pro-américaine de Paul Biya, lors de la querelle internationale sur l’opportunité de la guerre contre l’Irak n’a-t-elle pas valu au Cameroun plus d’indulgence de la part du Fmi ?
Jacques Chirac, l’ami bienveillant, pourrait, à cet effet, permettre de renouer les fils de la négociation avec le Fonds. Enjeu, mettre rapidement en place un programme de référence pour rattraper les dérapages connus par le programme économique, le raccourcir autant que possible, atteindre le point d’achèvement de l’Initiative Ppte et, pour ce qui concerne spécifiquement la France, déclencher les mécanismes d’accès au contrat de désendettement et le développement (C2d).
C’est une initiative parallèle mise en place pour le traitement de la dette bilatérale du Cameroun vis-à-vis de la France, et qui devrait soulager le Cameroun de plus de 650 milliards de Fcfa, en quinze ans, sur la charge échue de sa dette. Une somme à réinvestir, comme pour les gains de l’initiative multilatérale de réduction de la dette, dans les secteurs dits prioritaires.
L’urgence, pour Paul Biya, d’ouvrir ce dossier avec Jacques Chirac est avérée. Car, les retards accusés par le Cameroun pour le franchissement du point d’achèvement lui ont déjà fait perdre plus de 150 milliards de francs Cfa au titre du C2d. Ce manque à gagner découle du mécanisme même d’annulation de la dette. En principe, une fois le point d’achèvement atteint, le Cameroun rembourse sa dette, et la France lui rétrocède le même montant.
Or, le point d’achèvement n’étant pas atteint, le Cameroun continue de rembourser, mais en pure perte. Et depuis octobre 2003, environ 50 milliards ont déjà été remboursés. Si le point d’achèvement est repoussé à 2006, c’est plus de 300 milliards qui seront perdus par le Cameroun. Rien d’étonnant alors, comme l‘annonce l’ambassadeur Vallette, que cette question mobilise Paul Biya, d’ordinaire peu prompt à se rendre à ce type d’assises, surtout lorsqu’elles se tiennent en Afrique.
Et à l’heure des grandes ambitions annoncées, et où le président Biya annonce que les choses vont changer, il sera un peu plus cohérent avec son discours, en mettant un terme à son absentéisme international. Car, la tradition de la diplomatie de principes sous Paul Biya était justement de ne jamais se rendre partout où les grandes décisions engageant l’avenir de l’Afrique pouvaient être prises.
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