C’est le coup de sifflet attendu qui a sonné la récréation 2004 pour la classe… politique. Tous les potaches de cette classe se sont rués dans la cour et alentours, où ils s’ébrouent dans le plus grand désordre et le plus grand brouhaha, et donnent libre cours à tous leurs fantasmes enfantins. Ils rêvent tous, à défaut d’être élus président de la République du Cameroun, d’être admis à aller bavarder à la télé Mendo Ze, et d’ajouter (pour la première ou la énième fois) sur leur carte de visite et leur Cv, dès le 12 octobre : “ Ancien candidat à la présidence ”…
C’est beau ça, non ? C’est une distraction de haut vol, qui vous fait vivre sur les nuages, qui vous fait connaître pendant deux semaines dans toutes les chaumières disposant de “ courant ” et de télé, et qui vous fait oublier tous vos soucis, tous vos échecs, tous vos zéros, toutes vos turpitudes de cancres. Merci donc d’être si nombreux à vouloir bénéficier de la magnanimité du président “ sortant ” !
Le premier de la “ classe ” et de tout, le candidat (sur) naturel, lui, nous donnera à profusion, une fois de plus, sur les murs des bâtiments administratifs, sur les chaussées encore (ou déjà) bitumées, sur les banderoles et les panneaux, dans les journaux, sur les écrans et les ondes ciartiviques, le bonheur d’admirer ses “ victoires ”, ses nombreuses et fantastiques “ victoires ”.
Elles sont si nombreuses et si diverses (imaginez, en 22 ans !), qu’on court le risque d’en oublier, qu’on va certainement en oublier, tout aussi nombreuses. Surtout dans l’ambiance actuelle de récréation et de chahut. Ces victoires-ci par exemple, prises au hasard, que les grands médias bien-pensants ont le génie d’oublier, et que notre patriotisme éprouvé nous interdit de laisser occulter, en ces moments pathétiques de notre histoire :
(1) On se souvient (?) de 1972 et de la Can de football abritée par notre pays, sur les stades flambant neufs de Douala et de Yaoundé, auxquels s’est ajouté plus tard celui de Garoua. C’était 10 ans avant le mémorable “ 6 novembre ” qui nous a donné le Renouveau. C’était 32 ans avant le 11 octobre prochain, où nous prendrons, avec Paul Biya, le nouveau (et énième) départ pour “ de plus grandes ambitions ”.
Entre temps, les stades hérités d’Ahidjo sont devenus… ce qu’ils sont devenus, et il n’y en a pas eu de nouveaux. Même si, nous avons appris du président-candidat-président 2004, que “ les équipements publics se sont multipliés. ” (Pardonnez-le lui, il ne vit pas chez nous ! ). Conséquence : nous ne pouvons pas inviter une compétition internationale ici. Nous allons remporter des Coupes à l’étranger, avec des joueurs évoluant à l’étranger. Victoire, non ? Qui dit mieux ?
(2) “ Equipements publics multipliés ”, ce sont également ces rues et ces routes étroites, gruyères, à l’aspect de sol lunaire ou de territoires ayant accueilli les bombes américaines. Même les piétons ont du mal à y circuler. Ne parlons pas des ponts ! On a avancé. Victoire…
(3) L’autre victoire : la Camair à terre. Le Renouveau avait hérité de cette entreprise, fille de l’orgueil national, qui faisait la fierté des “ Camers ” dans le ciel d’Afrique et du monde. Notre bonne gestion des 22 dernières années l’a ramenée (et nous avec) à terre. C’est plus sûr, non ?
(4) On avait la Sonel et la Snec, pour l’électricité et pour l’eau tout le temps. Et subitement, il n’y a plus d’eau dans les sources et les barrages. Elle est rouge ou kaki dans les robinets. Désormais, vous payez l’eau et l’électricité plus cher, sans boire et sans y voir. L’obscurité, l’obscurantisme, même famille. Progrès…
(5) Victoire encore : le “ rayonnement international du Cameroun ”, qui a rendu le Cameroun invisible et inaudible, sourd, muet et aveugle sur la scène internationale, africaine en particulier. Avec un président dont la “ diplomatie de présence ” (familiale) se manifeste immanquablement aux seules invitations cérémonielles de Washington, de New-York, de Paris… et nulle part ailleurs. Heureusement, Ayang Luc est là, et n’a rien à faire : il est au chômage au Conseil économique et social et peut faire la figuration. Les voisins apprécient… Pendant ce temps, nos représentations diplomatiques délabrées sont devenues des nids à rats, et nos ambassadeurs oubliés, des Sdf. Chapeau !
(6) Victoire toujours, dans le cadre du “ rayonnement international ” en question : la Bourse régionale de l’Afrique centrale s’est réfugiée à Libreville, au Gabon. En dépit du bon sens des affaires. Biya était absent à l’accouchement…
(7) Victoires éclatantes aussi : les chefs traditionnels, auxiliaires de l’administration et gardiens du temple Rdpc, peuvent assassiner froidement et en toute impunité, qui ils veulent, et surtout les trublions de l’opposition. Rey Bouba, Balikumbat, etc., vous connaissez ? Houphouët-Boigny disait que l’on ne peut pas gouverner sans avoir du sang sur les mains. Le Renouveau l’a bien compris. Beaucoup de sang, c’est encore mieux.
(8) On n’oublie évidemment pas les trophées mondiaux de la corruption, enlevés deux années de suite, sous l’arbitrage de Transparency international. Et nous sommes toujours restés dans le peloton du sommet. Formidable, n’est-ce pas ?
Et voilà pour les victoires “ oubliées ” mais certaines, acquises. Il y en a malheureusement d’autres, qu’on a ratées de justesse, des objectifs qu’on souhaitait largement “ atteindre” pour servir à la propagande électorale et ajouter au tableau de chasse du Renouveau, de son Père et de sa Mère. Hélas ! Trois fois hélas !
Quelques-unes de ces victoires ratées :
Les récentes Coupes d’Afrique (que nous avons bues jusqu’à la lie) et les médailles olympiques (que nous aurions vues seulement à la télé si Mbango, la débrouillarde apatride, n’avait pas été là et n’avait pas dédié la sienne au Cameroun).
Bakassi, gagnée sur tapis vert, mais dont la récupération effective nous échappe au plus mauvais moment.
Le “ Point d’achèvement ”. Ah, ce point-là ! Il va nous achever, tant nous y avons misé pour couvrir notre mauvaise gouvernance, notre corruption endémique et notre incompétence notoire. Bretton Woods, notre principal perfuseur et maître, ne nous a pas fait de cadeau cette fois ; il nous a refusé sa complaisance et le coup de pub habituel. Au plus mauvais moment. Quelle traîtrise, quelle ingratitude, alors que ses émissaires sont si généreusement gâtés chez nous !
Il nous a aussi manqué une bonne petite guerre civile. L’opposition et la multitude de mécontents que nous avons fabriqués n’ont pas voulu ouvrir – et nous offrir – un conflit sanglant, comme cela se passe ailleurs en réponse aux provocations, intimidations, répressions, assassinats même, au refus systématique de dialogue et au mépris insolent dont ils sont l’objet de notre part. Ils se sont contentés de bavarder dans les journaux d’ici ; les radios d’ailleurs, et dans la rue quand la police leur laissait un peu d’espace.
S’ils avaient pris les armes, s’ils avaient au moins cassé une vitre quelque part, ça aurait justifié l’opprobre pour eux, et le maintien pour nous. Hélas ! Nous sommes obligés de “ taper la bouche ” seulement, de nous vanter d’avoir préservé “ la paix, l’unité et la stabilité ”, et d’annoncer, sans plus de précision, “ de plus grandes ambitions ”. Hélas !
Une consolation, tout de même : la cour de récréation présidentielle est bondée et bruyante. Signe extérieur de bonne santé pour notre “ démocratie (en déconfiture) avancée ”. On peut le vérifier.
Une victoire ça, non ?
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