Depuis le 5 avril 2004, la traversée du pont sur le Wouri est interdite aux taxis et moto-taxis. La Société camerounaise de transports urbains, une entreprise privée en a le monopole de 6 heures du matin à 21 h. Les embouteillages n’en finissent point.
Lundi, 5 juillet 2004. Il est 20 heures. Un gros bouchon obstrue la circulation au lieu dit Rond point de Deido. Les coups de sifflets stridents des policiers en charge de la régulation de la circulation à cet endroit sont vains. On progresse, si c’est possible, à l’allure des limaçons. Les minutes et les heures s’égrènent très lentement. Les bus oranges qui assurent la traversée se raréfient et pourtant, il n’est pas encore 21 heures, heure à laquelle ils doivent regagner leur dépôt de Bassa. Les automobilistes qui réussissent à traverser le pont parlent d’un accident qui a bloqué la circulation. Pourtant, la circulation a été interdite aux taxis de 6 heures à 21 heures pour assurer la fluidité de la circulation et un service de remorquage a été mis en place pour dégager tout véhicule en détresse.
Mille et une tracasseries
L’arrêté de l’autorité administrative qui réglemente la traversée du pont sur le Wouri depuis le 5 avril 2004 est formel : de 6 heures du matin à 21 heures, seuls les autobus à la couleur orange assurant un service dit spécial et les particuliers ont l’usage libre du pont. Le même arrêté réglemente le passage des trains et des véhicules poids-lourds. Des dispositions prises, officiellement, pour rendre fluide la circulation sur ce vieil ouvrage d’une cinquantaine d’années auquel le gouvernement a décidé de donner une cure de jouvence. La première semaine de cette réglementation était à peine entamée qu’on enregistrait déjà les premières insuffisances qui provoquaient des grincements de dents.
L’absence des abris relevée par Le Messager dans son édition n° 1645 du 7 avril a été comblée à Bonassama. Trois abris y ont été finalement construits. Rien encore du côté de Deido où, il faut le reconnaître, les passagers peuvent s’abriter sous les vérandas des magasins voisins et des stations services. Le hic ici, c’est que l’aménagement des trottoirs et du rond-point à l’entrée du pont a été confié à une autre entreprise privée des travaux publics, qui continue de gagner des marchés malgré ses limites dans la réalisation de la plupart des chantiers à lui confiés.
Outre les désagréments que cause le monopole de Socatur, le chantier inachevé de Ketch au rond-point de Deido est un autre calvaire pour les usagers. Le 9 avril déjà vers 13 heures, un sexagénaire qui se frayait un passage pour aller acheter le billet, s’est retrouvé étalé de tout son long à côté d’une fosse béante, à un mètre à peine du guichet de la Socatur. Pendant que des badauds s’affairaient à le relever, les employés de Socatur observaient tout cela dans une indifférence totale. Le malheureux s’en relèvera avec le genou droit écorché, son pantalon déchiré, un pied de sa chaussure au fond du trou, le gros orteil endolori et plusieurs autres commotions. Le même jour, autour de 20 h 45, le service spécial Socatur était déjà arrêté dans le sens Deido-Bonabéri, les taximen qui ont voulu en profiter pour prendre la relève ont été stoppés à l’entrée du pont par des policiers zélés pour qui “21 heures, c’est 21 heures. Pas question pour les taximen de traverser le pont avant”, renchérit un policier.
Les week-ends et les heures de pointe donnent souvent lieu à des spectacles insolites à chacune des deux têtes de ligne. Des voyageurs lourdement chargés de sacs de vivres, de valises, de cochons, de chèvres, de chiens… bousculent sans ménagement les autres passagers qui se ruent vers les portières, presque frôlant les grosses roues dans le dessein d’obtenir une place assise. C’est à qui mieux mieux entre jeunes gens, femmes enceintes ou portant des bébés, infirmes et personnes du 3e âge. “Ici, le droit à la différence n’existe pas !”, lance un commis de la Socatur à une dame qui a osé critiquer cette “barbarie”.
Des risques d’accidents
se multiplient
Ainsi, si le pont sur le Wouri connaît toujours ses gros bouchons, ce n’est pas à cause des taxis et des conducteurs de motos toujours indésirables entre 6 heures et 21 heures. Mais parce que des grumiers lourdement chargés et des voitures citernes traînent leurs masses sur un ouvrage systématiquement interdit aux taximen. La traversée du pont devient une véritable épreuve de force. Seuls les vainqueurs d’une faible course de vitesse et d’une épreuve de force auront droit à un siège. Si ces mastodontes n’ont pas encore écrasé quelqu’un, c’est parce que “Dieu est vraiment compatissant pour ces pauvres hères ainsi sacrifiés pour les intérêts d’une seule personne”, observe une femme d’un certain âge sur l’aire d’embarquement de Bonassama.
Avec les bouchons qui ralentissent la circulation sur le pont, les bus deviennent parfois rares, bondés. Roulant à la vitesse d’une procession de chemin de croix, des passagers suffoquent de chaleur. Les cris sollicitant l’ouverture des portières, pour laisser passer l’air, restent sans échos. Conséquence, on arrive à destination trempés comme du poisson fraîchement pêché. Au bout d’une dizaine de minutes d’un voyage des plus inconfortables.
Ce qui se passe depuis trois mois, pour rallier les deux rives du Wouri à Douala démontre à souhait qu’on a voulu donner des marchés à des opérateurs économiques sans une étude préalable de toutes les conséquences que le train de mesures arrêtées par les autorités allaient avoir sur les usagers ainsi exposés à tous les aléas.
Cela donne tout simplement la chair de poule à ceux qui sont victimes de ce calvaire au quotidien. Surtout que cela doit durer au moins deux ans.
Par Jacques Doo Bell - Le messager
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