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Qu'est ce qui a changé au Cameroun ?
(11/02/2008)
Un membre de la rédaction revient sur la période 1990 - 1992 et sur les évènements majeurs qui ont conditionné la vie politique camerounaise à cette période. Retour sur les années de braise...
Par Yann Yange
Nelson Mandéla, le leader sud africain libéré le 11 février 90
Nelson Mandéla, le leader sud africain libéré le 11 février 90
11 février 1990. A Douala et un peu partout dans le pays, la 24ème édition de la fête de la Jeunesse bat son plein. C’est un jour particulier pour nous, jeunes du Cameroun. Un jour spécial pour le monde. Car, au même moment, dans un pays de la corne de l’Afrique, l’un des prisonniers politiques les plus importants de la planète, Nelson Mandela, sort de ses geôles après 27 ans de réclusion. En ce début d’année 90, le Cameroun amorce des changements majeurs sous fond de tensions politiques importantes et de grognes populaires. La dizaine d’années à peine, tout récemment lycéen, j’assiste à ce spectacle avec toute la curiosité, mais surtout la crédulité d’un profane en train de faire son entrée en politique.


Huit jours seulement après mon « baptême politique », soit le 19 février 1990, l’une des plus importantes affaires des « années de braise » éclate au grand jour : Me Yondo Mandengue Black et Anicet Georges Théodore Ekane, deux pontes de la nouvelle contestation camerounaise, sont arrêtés. Les deux leaders sont officiellement accusés de subversion, tenue de réunion clandestine, de confection et de diffusion de tracts hostiles au régime, d’outrage à l’endroit du Président et d’incitation à la révolte. Ils seront condamnés quelques mois plus tard à quatre ans d’emprisonnement et à 200 000 Francs CFA de dommages et intérêts lors d’une parodie de procès à Yaoundé. Cet évènement marque le début d'une série de contestations populaires qui ne vont plus s'arrêter.

A la même période, la grogne s’accentue dans le pays. Plusieurs leaders politiques et de nombreux mouvements de la société civile commencent à se mobiliser pour réclamer le changement. Des voix s’élèvent de partout pour exiger l’avènement du multipartisme. Le ton monte d’un cran le 26 mai 1990 avec le lancement du Social Democratic Front (S.D.F). Les jeunes camerounais découvrent alors avec beaucoup d’enthousiasme leur nouveau tribun, Ni John Fru Ndi, un libraire jusque là inconnu, originaire du nord ouest du Cameroun, dont le principal crédeau politique se résumera plus à tard au seul slogan « Biya must go ». Six jeunes, selon les chiffres officiels, seront tués ce 26 mai lors de la marche organisée pour le lancement de cette formation politique. Les esprits vont alors se radicaliser après ces tragiques évènements.

Le 19 décembre 1990, cédant aux pressions de toutes parts, le Président Paul Biya fait promulguer la loi sur les partis politiques et les associations officialisant l’avènement du multipartisme au Cameroun. C’est un jour historique. L’opposition gagne de plus en plus l’assentiment populaire dans le pays et le pouvoir est affaibli. En fin décembre, le chef de l’Etat Camerounais, dans un style qu’on lui connaît, se fend d’un discours à la télé, se félicitant d’avoir apporté la démocratie au Cameroun. La situation est très tendue, et en tant que jeune lycéen, je ne mesure pas encore la portée de ce qui va se passer.


Célestin Monga, actuellement économiste à la banque mondiale
Célestin Monga, actuellement économiste à la banque mondiale
Les choses vont rapidement s’accélérer après le discours présidentiel. A cause d’un jeune homme de 30 ans, que je ne connaissais pas à l’époque et qui était débarqué de l’Université de la Sorbonne deux ou trois années auparavant après des études d’économie. Banquier à la B.I.C.I.C de Douala, Célestin Monga, puisque qu’il s’agit de lui, avait pris l’habitude d’écrire quelques tribunes virulentes dans la presse contre le régime en place ; ce qui lui avait d’ailleurs valu quelques passages à la prison de New bell. Mais en ce mois de Décembre 1990, particulièrement irrité par la sortie du Président Paul Biya se gargarisant d’avoir apporté la démocratie dans notre pays, le jeune banquier fait publier une lettre ouverte cinglante à l’attention du chef de l’Etat. Et il n’y va pas par quatre chemins :

« De quelle démocratie parlez-vous avec tant d'emphase ? Avez-vous déjà mis les pieds à New-Bell, cher Président ? A quelle "liberté" avez-vous conduit ce pays où 98% de la population urbaine vit dans les bidonvilles sans moyens de se soigner, de se nourrir, correctement ni même de revendiquer leurs droits ? Que signifient vos discours et vos slogans pour les dizaines de milliers de personnes (essentiellement des enfants en bas âge) qui dorment dans les rigoles à Douala chaque soir ? Quel est cet "Etat de droit" où n'importe quel obscur policier peut se permettre d'enlever qui il veut, sans avoir de comptes à rendre à personne ? Etes-vous réellement fier de ce Cameroun où le pouvoir judiciaire est à la botte du pouvoir exécutif ? Etes-vous fier en tant que Premier magistrat du pays, de la justice camerounaise actuelle qui condamne en priorité ceux qui n'ont pas su corrompre le tribunal ?... A votre place je serais beaucoup moins triomphaliste. »

Il finit sa lettre par ces quelques mots : « Il est donc urgent, M. le Président que la politique cesse d'être un cirque permanent pour devenir réellement le champ d'expression des ambitions populaires. Pour cela, il faudrait arrêter les slogans creux et simplistes qui encombrent quotidiennement la une de Cameroon Tribune et laisser la parole aux gens qui ont des choses intéressantes à dire, et je peux vous assurer qu'il y en a beaucoup dans ce pays. Le temps des « pères de la nation » est largement révolu. Les Camerounais ne sont pas des enfants que vous avez jugés « mûrs pour la démocratie ». Ils sont un peuple dont la créativité a été bridée par trente années d'obscurantisme, et qui aspire enfin à gérer soi-même son destin. Plus que jamais une grande rencontre nationale réunissant toutes les sensibilités politiques s'impose. Votre parti, le RDPC, n'a pas le monopole des idées. Ne vous méprenez pas sur la patience manifestée par les Camerounais jusqu'à présent, ils sont capables du meilleur comme du pire. »

Après cette lettre que j’avais trouvée digne des jeunes pousses qu’on voit souvent rentrer insolemment en Afrique avec l’idée qu’ils pourront à eux seuls bouger toutes les lignes politiques, Célestin Monga est interpellé dans la matinée du 1er Janvier 1991 alors qu’il revient d’une soirée de réveillon passée chez un ami. Il est emprisonné quelques heures plus tard à la prison de New Bell. Le directeur du journal Le Messager, Pius Njawe, qui n’était pas au Cameroun au moment de la publication de la lettre, est interpellé dès qu’il revient du voyage qu’il avait entrepris à l’étranger.

Ben Decca, qui a manifesté contre le procès Monga-Njawé
Ben Decca, qui a manifesté contre le procès Monga-Njawé
Le 10 Janvier, le jour du procès, commence alors une mobilisation populaire sans précédent dans l’histoire du Cameroun. Artistes, intellectuels, politiques et de nombreuses représentations internationales s’émeuvent et se lèvent pour demander la libération du jeune banquier. Des comités de soutien sont rapidement formés. Lapiro de Mbanga et Ben Decca, des artistes réputés, distribuent des tracts dans tout Douala et vont aller jusqu’à improviser un concert devant le palais de justice peu avant le procès. Des marches spontanées sont organisées dans presque tout le pays. La réaction des hiérarques de Yaoundé ne se fait pas attendre et une répression militaire de tout instant va alors sévir un peu partout où des poches de contestation vont voir le jour. Le 17 Janvier 1991, dans ce qu'Ambroise Kom a appelé le « procès de la liberté d’expression », Monga et Njawé sont condamnés à six mois de prison avec sursis. La clémence du jugement m’intrique particulièrement, pour ce qui me semblait être à l’époque des faits graves. Je comprends rapidement que les deux protagonistes auraient certainement connu pire sort, n’eut été la mobilisation populaire.

Dans la foulée du procès Monga-Njawé, un jeune informaticien ayant étudié aux Etats-Unis, du nom de Djeukam Tchameni, crée Cap Liberté (Comité d’action populaire pour la liberté et la démocratie). Et il lance, avec quelques autres leaders de l’opposition dite « radicale », l’une des opérations, à priori pacifiques, qui s'avèrera être l'une des plus productives politiquement de l’histoire de notre pays, mais aussi l'une des plus dangereuses pour la paix sociale : les « opérations villes mortes ». Ce mouvement va s’amplifier dans tout le pays avec une ampleur particulière dans le littoral et le nord ouest du Cameroun, considérés comme les bastions de la frange radicale de l’opposition qui réclame à tout va la conférence nationale souveraine. L’activité économique va être paralysée. A Douala, on casse, on brûle, les magasins sont fermés et les écoles vont tourner au ralenti. Des cartons rouges avec le slogan « Biya must go » sont vendus par des petits groupes qui forment des barrages un peu partout dans la ville. Le mot d’ordre est de ne plus rien payer : ni eau ni électricité ni quoi que ce soit d’autre. Quelques petits groupes de malfrats en profitent pour commettre des actes de vandalisme. La désobéissance civile est à son paroxysme.

Le 22 Mars 1991, Paul Biya, fidèle à lui-même, va à nouveau se fendre d’une déclaration qui ne va faire que mettre le feu aux poudres : « Je l’ai dit et redit : la conférence nationale est sans objet ». Les violences vont alors s’accentuer, les agressions physiques se multiplier, et la situation va considérablement s’aggraver. La répression policière et militaire, menée par le Ministre de l’administration territoriale de l'époque, Gilbert Andze Tsoungui, va de la même manière être des plus brutales. Plusieurs centaines de personnes vont être tuées dans les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre sur tout l’ensemble du triangle national. Les étudiants, dont une frange liée à l’opposition s’est formée en ce début d’année à l’Université de Ngoa Ekelle, vont eux aussi subir les frondes du pouvoir en place. Benjamin Senfo Tokam alias « Samory Toure », étudiant en doctorat de philosophie et leader d’un mouvement à l’Université de Yaoundé baptisé le « Parlement », sera interpellé par une quinzaine de gendarmes en Mai 1991. En effet, ses camarades et lui, dont les alias sont à la mesure de leurs ambitions politiques (Winnie Mandela, Abou Nidal, Général Schwartzkopf, Colin Powell, Margaret Thatcher) avaient été à l’origine d’un grève générale à l’Université de Yaoundé entamée le 02 Avril 1991. Ils vont eux aussi être victimes de la répression militaire sur le campus et plusieurs étudiants vont être tués. Ce qui vaudra alors au Ministre de l'information et de la culture de l'époque, Augustin Kontchou Kouomegni, sur les ondes de la télévision Camerounaise, la célèbre phrase « Je vous dis qu'il y a eu zéro mort », niant ainsi toute la réalité des morts sur le campus de Ngoa Ekellé.

Devant ce climat de guerre civile qui se profile, les arrestations arbitraires de manifestants, les opposants torturés (notamment Ni John Fru Ndi du S.D.F et Hameni Bieleu de l’U.F.D.C), l'état d’urgence déclaré dans le Nord Ouest, les velléités de confrontations ethniques entre Bétis et Bamilékés et l'instauration d’un Etat policier, le Président décide alors de faire une tournée de réconciliation nationale dans tout le pays. Particulièrement attendu à Douala, où, disait-on, Paul Biya ne pouvait plus mettre pied, le premier des Camerounais va alors faire une sortie remarquée, ce 7 Octobre 1991, avec une formule choc dont il a le secret : « Me voici à Douala. Me voici donc à Douala porteur d’un message de paix et de réconciliation. » Au lieu de calmer les ardeurs contestataires, les tensions vont plutôt s’exacerber et le Pouvoir va être obligé de céder à la pression populaire. Quelques semaines plus tard, Paul Biya accepte ainsi de la tenue, en lieu et place de la conférence nationale, d’une réunion tripartite. L’évènement a lieu du 30 Octobre au 13 Novembre 1991, à Yaoundé, et elle doit réunir la société civile, les associations et les diverses formations politiques. Malheureusement, la frange radicale de l’opposition boycotte cette rencontre et seuls Adamou Ndam Njoya, Bello Bouba Maïgari et Samuel Eboua sont présents pour représenter la contestation. Pour le compte de la société civile, on retrouve des personnes comme James Onobiono ou Henri Bandolo. Sans dialogue ni véritable concertation, la tripartite ne va porter aucun fruit.

Paul Biya va proclamer en Octobre 1991 la tenue d’élections présidentielles anticipées. Il est finalement réélu Président de la république du Cameroun un an plus tard, en Octobre 1992, avec 39,97% des suffrages, contre 35,96% pour le premier des opposants, le libraire le plus célèbre du Cameroun, Ni John Fru Ndi. Malgré de nombreuses irrégularités dénoncées par le N.D.I (National Democratic Institute for International Affairs) qui était l’organisme chargé d’observer la bonne marche du scrutin, la cour suprême du Cameroun, sous la houlette d’Alexis Dipanda Mouelle, valide officiellement ses résultats le 23 Octobre 1992. Paul Biya forme un nouveau gouvernement le 27 novembre qui suit, avec les mêmes caciques. Antar Gassagaye de l’U.P.R, Augustin Frédéric Kodock de l'U.P.C, Issa Thiroma et Hamadou Moustapha de l’U.N.D.P retourneront rapidement leur veste pour quelques postes ministériels. La suite est connue de tous : l’absence du S.D.F aux présidentielles de 1997 et les divisions de l’opposition en 2004 confirment Paul Biya à son poste de Président de la république pour une durée indéterminée.

Aujourd’hui, 11 février 2008, 18 ans plus tard, pour moi, jeune camerounais, les choses ont bien changé : j’ai grandi, j’aurai bientôt la trentaine et je ne regarde plus la vie politique de mon pays que de loin. Malheureusement, sur place, la situation socio-économique n’a pas fondamentalement évolué et le paysage politique s’est franchement assombri. Les multiples visages que j’ai connus il y a 18 ans se sont globalement défraîchis. Les artistes qui avaient participé à ce concert des contestataires dans les années 90 ont pour la plupart quitté la scène. Les uns passés à la case « parti au pouvoir ». Les autres végétant à l’étranger dans des institutions de prestige avec l’espoir non dissimulé de meilleurs lendemains. Sur le terrain des idées, le débat démocratique est devenu insipide et le diktat de la pensée unique a refait son lit. De « la démocratie truquée » de Célestin Monga en Janvier 1990, on est inéluctablement passé à « la démocratie fourvoyée » en ce début d’année 2008.

Pourtant, entre temps, en Afrique du sud, où j’avais entamé mon odyssée politique, Nelson Mandela a remporté les élections de 1994, avant de quitter, comme il l’avait promis, le pouvoir à la fin de son mandat. Thabo Mbeki lui a succédé en briguant avec succès deux fois les suffrages de ses compatriotes. Il doit à priori se retirer à la fin de son mandat, au profit de Jacob Zuma, plébiscité par l’A.N.C le 27 décembre dernier. L’apartheid a depuis laissé place à une nouvelle donne socio-économique valorisant l’éclosion des Noirs à tous les niveaux de l’Etat. Dans ce grand pays de l’extrême sud de l’Afrique, qui m’a fait découvrir les prémisses de la démocratie, des changements profonds ont été amorcés et l’alternance politique a suivi son chemin. Plusieurs pays dans le monde ont vécu pareilles mutations depuis 1990 sur des aspects divers. La Chine, l’Inde, le Brésil, la Malaisie ou la Russie ont connu des retournements politiques majeurs.

Quand je me retourne pour regarder le Cameroun vingt ans après, je ne revois finalement que le seul visage de Paul Biya. Que j’ai connu tout au long de ma vie. Embourgeoisé par les ors du pouvoir et fatigué par le poids des années. Avec ses éternelles promesses et ses discours sirupeux. Ses rêves de renouveau continuellement ressassés. Et quoi qu’on en dise, qu’on en soit partisan ou non, le Président Camerounais a joué un rôle majeur dans l’émergence de cette caricature de renouveau qui ne se dessine plus qu’à l’aune d’une insécurité sociale de tout instant. Mais, pire encore, il incarne certainement le mieux cet immobilisme que connaît notre pays depuis près d’un demi siècle. Par son indifférence coupable, et le silence complice des nombreux courtisans qui forment la charnière centrale de sa gouvernance, le régime de Paul Biya constitue sans aucun doute le miroir le plus narcissique de cette société camerounaise en plein naufrage.

En ce 11 février 2008, que dire de plus, sinon souhaiter une bonne fête de la Jeunesse à nos cadets qui endurent chaque jour toute la morosité d’un quotidien sclérosé par les pesanteurs de la misère.



Note de la rédaction : Article publié à l'occasion de la fête de la jeunesse du 11 février 2008














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