Rechercher
Rechercher :
Sur bonaberi.com   Google Sur le web Newsletter
S'inscrire à la newsletter :
Bonaberi.com
Accueil > News > Points de Vue
CAN 2008 : où va l’argent des pauvres Camerounais ?
(02/02/2008)
Un membre de la rédaction revient sur la question des primes des lions indomptables qui, pour la première fois de l'histoire, pourraient dépasser le seuil fatidique des 70 millions de Francs CFA.
Par Yann Yange
Augustin Edjoa, le Ministre des sports
Augustin Edjoa, le Ministre des sports
La coupe d’Afrique des Nations qui se déroule en ce moment au Ghana a quelque chose de passionnant et d’exaltant. Explosive, offensive et spectaculaire, c’est un évènement qui, en soi, se veut le reflet de cette Afrique dynamique, jalouse de ses talents, et dont l’espérance d’un avenir meilleur reste jonchée dans nos imaginaires.

Cette compétition, dont le premier mérite est certainement d’exister jusqu’ici, mobilise en général tout le landerneau footballistique sans exception. Médias, joueurs, agents, chasseurs de tête et techniciens occidentaux en quête de perles exotiques. Et l’argent coule à flot : car les pays qui participent à cette messe du sport africain mettent à contribution un nombre considérable de ressources, notamment financières, pour stimuler leurs joueurs vedettes.

Pas besoin dès lors d’être un observateur averti de la scène socio-économique africaine pour poser un regard hagard sur cette déferlante financière, lorsqu’elle est de plus suscitée par des pays qui n’en ont théoriquement pas les moyens et dont les économies sont pour la plupart trébuchantes. L’épilogue des primes des joueurs Camerounais dans cette CAN 2008 est, à ce propos, particulièrement édifiant tant il semble avoir sonné le glas de cette forme de puritanisme qui prévalait encore au sein des sélections africaines.

L’histoire commence en Octobre 2007. Lorsque le capitaine Rigobert Song Bahanag et deux de ses coéquipiers, Samuel Eto’o fils et Gérémi Njitap Fotso, reçoivent à Paris une délégation conduite par le ministre des Sports, Augustin Edjoa, et composée de hauts fonctionnaires de la Présidence de la république, du Premier Ministère, du Ministère des Finances et de la Fécafoot. La rencontre porte autour de la préparation de la CAN 2008 au Ghana et de la revalorisation des primes des joueurs.

A la surprise générale, les trois principaux cadres des lions indomptables exigent de recevoir une enveloppe de 160 millions de francs CFA par tête pour leur participation à cette compétition. Requête pour laquelle ils ont bien entendu été déboutés. A juste titre, doit-on dire. Car si cette somme peut paraître anodine, il est intéressant de la mettre en perspective avec les primes des compétitions précédentes : les lions avaient touché 7,5 millions de francs CFA par personne à la CAN 2000 avant de voir leurs primes requalifiées à 15 millions pour les CAN suivantes jusqu’en 2006 (où ils ont été éliminés en quarts de finale).


Samuel Eto'o fils, le goléador Camerounais
Samuel Eto'o fils, le goléador Camerounais
Malgré tout, après d’âpres discussions, les lions, ayant revu leurs exigences à la baisse et ne réclamant plus que 85 millions de francs CFA en début janvier, réussissent finalement à négocier des primes à hauteur de 73 millions francs CFA. Ce montant étant judicieusement réparti sur la base de leur performance : soit 20 millions avant le début de la compétition, 10 millions pour la qualification en quarts de finale, 8 millions pour la qualification en demi-finales, 10 millions pour aller en finale et 25 millions pour remporter le trophée. Ils auraient donc quand même empoché 20 millions de francs CFA s’ils n’avaient même pas passé le premier tour.

Ce n’est pas tout : d’un autre côté, le traitement accordé à notre entraîneur Otto Pfister laisse lui aussi légèrement dubitatif. Le technicien allemand a ainsi signé un contrat qui court à priori jusqu’en 2010 pour un salaire net de 15 millions de francs CFA par mois. Pour le Camerounais moyen, ce salaire est déjà surréaliste dans l’absolu. Mais il l'est encore plus au regard de son palmarès puisque le sélectionneur national, depuis 30 ans qu’il opère en Afrique, ne peut se targuer que d’un modeste championnat du monde remporté en 1991 avec la sélection des… moins de 17 ans ghanéens. En plus de ce salaire mirobolant, Pfister peut aussi se satisfaire d’une dotation de 500 000 francs CFA au titre de ses communications téléphoniques. On ne peut s’empêcher dès lors de jeter un regard rétroactif compatissant à l'endroit du « pauvre » Jules Nyongha qui, quand il assurait l’intérim après le départ de Arie Haan, souffrait de ne pouvoir joindre les joueurs pendant les phases de qualification, « faute de crédit ».

Au vu de la manne financière déployée derrière les lions et leur staff, il n’est pas surprenant que cela soulève quelques interrogations : Qu’ont donc fait les lions depuis 6 ans pour mériter que leurs primes de matchs amicaux ou de la CAN 2008 subissent une telle percée inflationniste à la limite de l’indécence ? L’économie Camerounaise aurait-elle connu un regain de fraîcheur (qui nous aurait échappés) au point où le sport, ou plutôt 23 sportifs isolés, fussent-ils les lions indomptables, mériteraient de toucher plus de 3000 fois le salaire minimum interprofessionnel (23500 FCFA) au Cameroun ? Plus de 6000 fois le salaire moyen (11 000 FCFA) dans le secteur informel agricole ? D'ailleurs, les footballeurs ont-ils plus de mérite que ces jeunes qui sont allés décrocher la deuxième place de la coupe d’Afrique de basket-ball l'été dernier en Angola en payant les billets d’avion sur leurs deniers personnels ? Ont-ils plus de mérite que ces chercheurs, ces médecins ou ces enseignants qui se battent pour juguler les difficultés quotidiennes de nos compatriotes dans un environnement socio-politique décadant ?

Les réponses à ces questions sont bien évidemment négatives. Les lions indomptables et leur staff, même étant notre principale vitrine à l’extérieur, ne méritent pas ce déploiement excessif de moyens financiers quand on sait les infrastructures qu’il manque pour assurer la promotion du football au Cameroun. Quand on sait le mépris accordé aux autres disciplines où l’on dispose de nombreux talents. Quand on sait le dédain à l’égard des entraîneurs locaux comme Jules Nyongha ou Jean Paul Akono. Quand on sait les carences de notre championnat national de football. Quand on sait les souffrances que vivent la plupart des Camerounais au quotidien. Et on pourrait continuer ainsi indéfiniment.

En définitive, rien ne saurait justifier ces exigences salariales pour une équipe vieillissante et qui, de surcroît, n’a rien gagné depuis 2002. Et Gérémi Njitap, Rigobert Song et Samuel Eto’o, même si on peut les féliciter pour les nombreuses actions sociales et caritatives qu’ils portent individuellement au Cameroun, auraient dû faire preuve de mesure quant au montant sollicité pour leurs primes de participation. Par égard pour l’argent du contribuable et par courtoisie envers leurs compatriotes. D’autant plus qu’ils sont, pour la plupart, multimillionnaires dans leurs clubs respectifs. Ils ont d’autant moins d’excuses qu’ils ont accepté la proposition du Ministe des Sports de revoir, le 30 Janvier dernier, leurs primes de qualifications en quarts de finale à la hausse. De 10 millions de francs CFA à 15 millions pour un niveau de jeu relativement moyen au premier tour.

Roger Milla, à qui on laisse naturellement le soin de faire la leçon à ses poulains, disait en Janvier dernier en marge de cette compétition, au sujet de la question des primes :« En Europe, il y a des équipes nationales qui disputent des matchs mais les joueurs ne réclament pas les primes tout de suite. Les lions indomptables ne doivent pas adopter de mauvaises habitudes. Il faut d’abord mettre en exergue l’esprit patriotique avant de réclamer l’argent ». Au delà de l'attitude des joueurs donc, celle des cadres de la Fécafoot et du Ministère des Sports, qui pourraient faire preuve de plus d'imagination dans la promotion du football au Cameroun, est tout aussi à décrier. Tant on sait que le football ne sert la plupart du temps qu'à instrumentaliser des populations dont le moral est au plus bas depuis le début des années 90, faute de vision politique éclairée et pragmatique.

Mais nous n'allons malheureusement pas nous perdre en vaines conjectures sur la politique Camerounaise ni ressasser les poncifs les plus éculés sur l’état du football et la gestion qui en est faite : toutes ces questions ont déjà été largement abordées par la presse et les camerounais en général. Nous nous contenterons, simplement, de souhaiter aux lions indomptables de remporter cette Coupe d'Afrique des Nations le 10 février prochain à Accra. En espérant néanmoins, qu'à l'avenir, leur élan patriotique ne souffrira plus d'être sacrifié sur l’autel de leurs seules ambitions salariales.






Partager l'article sur Facebook
 
Classement de l'article par mots clés Cet article a été classé parmi les mots-clé suivants :
yann yange  
(cliquez sur un mot-clé pour voir la liste des articles associés)
Discussions Discussion: 22 bérinautes ont donné leur avis sur cet article
Donnez votre opinion sur l'article, ou lisez celle des autres
Sur copos Sur Copos
Les vidéo clips Les vidéos clips
Récents Récents


Accueil  |  Forum  |  Chat  |  Galeries photos © Bonaberi.com 2003 - 2024. Tous droits de reproduction réservés  |  Crédit Site