Retour sur l'interview de Hugues Nkouatchet, jeune ingénieur informaticien résidant en Allemagne. Il revient sur son engagement pour le projet de l'Université des Montagnes et sur l'intérêt de la collecte de fonds pour cet établissement, lancée par Célestin Monga. L'interview a été réalisée et publiée par le site des anciens étudiants de l'Université de Douala : WWW.AEUD.FR
Bonjour Mr Nkouatchet et merci de nous accorder un peu de votre temps pour cet entretien. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, vous êtes camerounais ; ingénieur informaticien vivant en Allemagne. Pourriez-vous en dire davantage sur vous à nos lecteurs ?
J’ai 29 ans de vie et suis informaticien d’origine camerounaise, formé à l’université polytechnique de Karlsruhe, en Allemagne. Mon enfance se passe dans les milieux populaires de New- Bell à Douala-Cameroun où je fréquente d’abord l’école catholique (Saint Raymond) et ensuite le Lycée de New Bell, que j’intègre en 1990 pour en ressortir, nanti d’un bac C mention bien en 1997. Un an plus tard, je débarque en Allemagne, suis d’abord des cours de langue et intègre la fac d’informatique à la TU(Université technique) de Karlsruhe, à la rentrée d’Hiver 99. Je poursuis ma formation jusqu’à la fin 2004. Depuis la mi-2005, je suis engagé dans la compagnie sd&m AG à Munich, une succursale germanophone du groupe international de consultance Capgemini. Dans la conception comme dans le développement, je m’intéresse aux systèmes formels et répartis, à l’informatique décisionnelle appliquée aux assurances, à l’étude des marchés et aux finances.
Nous allons aborder le volet consacré à vos initiatives pour l’UDM(Université des montagnes). Vous avez fait il y a quelques temps un don à l’Université des Montagnes. Pourriez-vous, pour nos lecteurs, apporter plus amples éclaircis sur ce qu’est l’UDM ?
Pour dire correctement les choses, j’ai obtenu de mon employeur qu’il fasse un don de matériels didactiques à l’UDM. La conception de cette institution fait suite au regroupement de plusieurs universitaires et hommes d’affaires camerounais qui, après mûres réflexions sur le système universitaire de ce pays, s’étaient retrouvés en réunion préparatoire à Yaoundé et ensuite en assemblée constitutive à Bana entre Juillet et Août 1994. Ils partageaient alors tous le rêve d’une école décolonisée, enracinée dans les réalités et les besoins réels en matière de formation ; le rêve d’une école qui oeuvre pour le renouvellement et l’élévation de la culture endogène ; qui s’ouvre donc au monde dans une perspective africaine. Pour gérer cette initiative, l’AED (Association pour l’Education et le Développement) fut ainsi créée. Cette association est aujourd’hui appuyée par plusieurs camerounais de l’intérieur comme de la diaspora, en particulier celle d’Amérique du nord et d’Europe.
Pourquoi l’UDM ? Quelle particularité est-on en droit d’attendre d’elle ?
D’abord, nous connaissons tous, à côté de ce qu’il convient d’appeler l’inadaptation graduelle du système universitaire camerounais par rapport aux grands enjeux d’aujourd’hui, les maux qui minent la détection et l’encadrement de l’élite estudiantine au Cameroun. L’admission dans les écoles qui, jusqu’à il n’ y a pas longtemps, étaient les seules habilitées à former médécins et ingénieurs au Cameroun, n’est pas toujours guidée par les canons de l’excellence.
Même s’il est vrai que le discours officiel des précurseurs de l’AED, association fondatrice de l’UDM, se veut politiquement correct, et essaie d’expliquer sa naissance par la volonté de compléter l’offre à la formation des universités d’Etat, je pense personnellement que l’acte fondateur de l’UDM est un acte de dissidence, qui marque une rupture d’avec une certaine habitude, exprime le refus de voir s’ériger à tous les lieux, la culture de légitimation de la médiocrité et de laminage de nos génies. Je crois qu’il doit avoir été assez insupportable, pour des esprits encore portés vers le progrès, de s’accommoder encore longtemps d’un environnement où même les derniers lieux pouvant encore symboliser l’ambition d’excellence dans un pays, se voyaient envahir par le culte de la facilité, de la corruption etc.
Ensuite, il y a à la base de sa philosophie, la volonté de voir l’université africaine devenir un lieu de production intellectuelle au service du développement, et non plus un lieu de simple contemplation du monde. Universite des Montagnes En effet, on aperçoit comme une stérilisation de nos potentialités créatives, face à un ordre qui nous semble revenir de très loin. Du coup, on est comme condamné à mimer les autres et à maintenir ce que nous avons d’original dans la trivialité.
Lorsqu’on a lu un ouvrage dense comme « une brève histoire de l’avenir » de Jacques Attali, on devrait s’inquiéter de la projection que l’on peut faire, sur sa base, quant au devenir de l’Afrique. Il nous fait remarquer en effet que l’Afrique noire n’a, à aucun moment, joué un rôle actif dans 2 des 3 ordres qui, selon lui dicte la marche du monde depuis la nuit des temps : l’ordre militaire et l’ordre marchand. Encore que le rôle qu’il lui reconnaît dans le premier ordre, celui du religieux, ne va pas dans le temps, au-delà de la déferlante judéo-grec, vers 1300 avant notre ère. Il nous explique aussi, comment les chinois, vers la fin du XV ème siècle de notre ère, et ce pour très longtemps, ont tourné le dos à l’ordre marchand occidental qu’ils ne pouvaient probablement plus suivre, parce qu’en complète inadéquation avec leur philosophie de l’être. Le résultat aujourd’hui, c’est une chine qui a retrouvé tous ses repères (qu’elle n’avait d’ailleurs jamais réellement perdus), qui revient s’inscrire plus forte que jamais, dans l’ordre marchand actuellement dominant, et qui, avec quelques autres puissances asiatiques, supplanteront l’actuel empire américain d’ici quelques décennies.
J’essaie avec cette parenthèse, de montrer pourquoi il est si primordial pour un peuple de se connaître, de développer ses atouts culturels, pour prétendre à quelque respect que ce soit. On a des fois comme l’impression que les violences de l’histoire nous ont arraché l’envie de nous connaître par nous-même. Quand renaîtrons-nous donc de notre introspection ? En allemand, on dit que la société doit procéder, en son sein et par ses propres moyens, à un « Auseinandersetzung » d’avec ses propres principes. Même nos canons esthétiques sont dictés par plusieurs siècles de soumission aux maîtres, de leur vénération (esclavage, colonisation). En s’associant autour de projets qui stimulent sans complexe la créativité et une esthétique originale à la base d’atouts endogènes, on contribuerait sans doute à briser des chaînes et à renverser le cours des choses.
Pour revenir à ce don en matériel de première nécessité, peut-on savoir, si ce n’est pas indiscret, quelles furent les sources de financement du dit don ?
Comme beaucoup d’entreprises, ma compagnie alloue un budget aux actions sociales. C’est dans ce cadre que l’UDM a bénéficié de ce don.
Célestin Monga a lancé un appel de levée de fonds pour l’UDM ; appel dont vous avez fait l’écho auprès de quelques unes de vos connaissances…
L’appel de Mr. Monga vise à mobiliser les fonds pour la construction d’un bâtiment important au Campus de l’ Université des Montagnes à Bangangté ; building qui portera le nom évocateur de “Pavillon des Connaissances”. Cette campagne de mobilisation de fonds, que je savais en cours depuis plus d’un an, était alors comme cantonnée dans la seule Amérique du Nord. Sur la demande de C. Monga, J’ai essayé de la relayer auprès de quelques amis et connaissances, géographiquement répartis en Europe pour la majorité...
Vous avez donc voulu donner une dimension européenne à cette campagne. Peut-on avoir plus d’informations sur l’avancée de la collecte ? Quels sont les moyens mis en place pour que ce soit une réussite ici en Europe ?
A la date du 02.01.2008, un rapport de Célestin Monga sur ses récentes activités au Cameroun et notamment à l’UDM nous a été adressé. Il en ressort que le montant actuel de la collecte s’élève à quelques $60,000 sur les $200,000 espérés. Toutes les personnes ayant pris part à cette action ponctuelle recevront d’après mes informations une lettre de remerciement signée du président de l’AED, en la personne du Professeur Lazare Kaptué. Par contre, la collecte devrait être bouclée dans les 3 ou 4 prochains mois à ma connaissance.
Pour que la campagne connaisse une réussite en Europe, elle doit évidemment être suffisamment diffusée et ensuite suscitée de l’intéressement. Nous avons misé sur nos réseaux d’amis ; en espérant qu’un grand nombre comprenne l’enjeu de l’UDM et ne rate pas la marche de l’histoire. La tâche est âpre, et là il n’y a pas d’illusions à se faire. Mais ne dit-on pas que l’espoir fait vivre ? C’est pourquoi je continue d’inviter tous les frères, soeurs et amis à s’impliquer et à rêver avec moi.
Je vais aborder ici une question qui peut fâcher. Très sincèrement, quand on vous a suivi, tout au long de cet échange, on ne lit à aucun moment votre passage à Bangangté. Que dites vous à ceux qui pensent que votre initiative est plus une réaction par atavisme et purement émotionnelle ? En d’autres termes, que votre motivation serait liée à votre appartenance ethnique à cette région où est construite l’UDM.
Vous savez, le Professeur Kom évoquait déjà dans son appel l’année dernière, notre propension à douter de manière presque maladive de notre aptitude à initier des projets susceptibles de changer le cours de l’histoire de nos pays. Il se dégage en filigrane de votre question, comme un doute sur notre aptitude à entreprendre même. Lorsque l’AED se forme en misant sur la société civile comme première ressource, elle espère bien trouver des citoyens qui constituent cette ressource quelque part. Alors, que le moteur de leur action s’appelle atavisme, émotion, patriotisme, panafricanisme ou que sais-je encore, quelle importance ? On serait d’ailleurs fondé de dire tant mieux ; puisqu’il faut une ferme volonté et une certaine passion pour surmonter les nombreuses difficultés liées à une initiative de cette envergure en contexte africain.
Ce type d’interpellation me rappelle encore cette particularité camerounaise, de se lamenter et de bruiter en long et en large sur les maux qui minent leur pays ; mais de se perdre, une fois qu’un cas d’action concrète se présente, en conjectures et en discutions soporifiques. S’il est légitime et fortement souhaitable qu’un débat de fond précède toute initiative de groupe, il est absolument contre-productif de quitter justement ce fond pour s’attarder sur les motivations subjectives d’Untel à s’engager pour telle ou telle autre cause. Ceci supposerait qu’il faille plus s’intéresser aux motivations d’une Oprah Winfrey à créer une vaste académie à Johannesburg, que de la dynamique et du capital social qui devraient en découler ; qu’on se morfonde dans les supputations de cet ordre face au gigantesque hôpital que le célèbre basketteur Dikembe Mutombo de la NBA a fondé à Kinshasa ; face au centre de Samuel Eto’o à Kribi, ou au complexe Marc Vivien Foe à Nkomo etc.
Dès lors que j’ai compris et partage la philosophie de l’AED et de l’UDM, dès lors que j’ai la garantie du sérieux que les différents protagonistes affichent face au projet, que mon sacrifice ne sera pas utilisé à des fins personnelles, il est tout à fait indiqué que je m’engage si j’en ai l’envie.
Pour ce qui est du rapprochement entre mes origines ethniques et mon engagement pour l’UDM, il convient de noter ceci : il est de mon point de vue compréhensible que des citoyens puissent être, en raison de leurs origines, émotionnellement plus proches de cette initiative en marche à Bangangté. Mais il convient également de souligner que l’acte citoyen de s’impliquer dans la marche et au contrôle de cette institution, ne saurait nullement être conditionné par les origines des personnes engagées au près de l’AED. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai parcouru avec beaucoup de circonspection, l’apologie de la passion ethnique, superbement disséquée par le Philosophe Eboussi Boulaga et exposée dans la 3è édition de la revue udm.comm. Elle peut en effet tendre involontairement une perche à quelques esprits qui tablent sur l’impossibilité de domestiquer nos cultures vers une élégante synthèse africaine. J’espère pour ma part que l’AED insuffle, par une approche organisationnelle nouvelle, le sentiment que l’on peut s’inspirer de son capital culturel dans son activité de tous les jours, tout en se gardant de s’emprisonner dans des illusions identitaires. Je crois que l’UDM nous livre une belle métaphore dans ce sens.
L’actualité au Cameroun est marquée en ce moment par les déclarations du Président de la République qui promet la modification de la constitution du pays au peuple, qui la revendiquerait en multipliant des motions dans ce sens. Quel commentaire vous inspire cette idée ?
Demander mon avis, sur l’intention du président camerounais, de réviser la constitution de son pays, c’est m’inviter de facto à faire d’abord le procès de notre culture, et ensuite du très long règne de Paul Biya. La révision de la constitution se fera et l’article 6.2 sera retouché – à moins que le prince ne se ravise, ce qui m’étonnerait. S’il le veut bien – Et je ne peux m’imaginer le contraire -, le roi sera toujours là après 2011. En soi, si cela inflige une belle gifle à l’intelligence de notre peuple qui se croit si malin, il n’ y a en réalité rien d’étonnant à tout ça. Tout observateur averti l’aura vu venir. Si je parle de procès de la culture, c’est parce que tout pays a le dirigent qu’il mérite. Ceci est un postulat très fort. Culturellement et en tant que peuple, nous ne réunissons pas encore les conditions minimales, pour nous débarrasser d’un potentat, sans risque de le remplacer par un autre. Ceci est une constatation très douloureuse. Vous n’avez qu’à regarder, pour vous en convaincre, la prostitution intellectuelle d’une certaine élite vidée de toute dignité et de toute personnalité ; la flagornerie abjecte à laquelle se livrent quelques uns, pour obtenir quelques miettes du gâteau, entretenant un dangereux nanisme politique des masses. Et aussi, cette incapacité à dire énergiquement et durablement non face à l’ensauvagement du pays – pour reprendre Achille Mbembe – trahit au mieux un fatalisme, et révèle au pire, que nous n’aspirons pas fondamentalement à une autre destinée.
Je pense pour le reste que Paul Biya se charge lui-même de dresser, par ses mots et actes, le bilan fort éloquent d’un règne dont le Cameroun ne se relèvera pas si facilement. Le président constate l’inertie que ses méthodes ont créée et alimentée ; il jure que ses ministres vont désormais suivre avec rigueur leur feuille de route (à quelle heure ?) ; il organise à tue-tête, comme sorti d’un sommeil comateux, quelques arrestations spectaculaires de personnes zélées, qui avaient bien compris qu’il n’ y avait plus de capitaine dans le bateau Cameroun, etc. L’épisode actuel autour de la révision constitutionnelle, n’est qu’une scène de plus, dans le théâtre insipide que nous livrent les seigneurs de la mangeoire.
Nous arrivons au terme de cet entretien et vous remercions d’avoir accepté de répondre à nos questions. Auriez-vous un mot de fin pour nos lecteurs ?
C’est moi qui vous remercie de cette opportunité à moi offerte, pour sensibiliser un plus grand public sur cette campagne. Celle-ci n’étant pas encore bouclée, toute personne désireuse d’en savoir un peu plus et d’apporter son appui, peut nous adresser un email à ce sujet. Nous mettrons alors à sa disposition les informations nécessaires, et lui indiquerons la procédure de participation à cette action. Notre contact email : udmfriends@yahoo.com
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