En tant qu’autorité en charge de la régulation de l’activité commerciale au Cameroun, pensez-vous que l’Ordonnance du 28 septembre 2006 ait produit les effets escomptés?
Il conviendrait plutôt de se référer à l’Ordonnance N° 2006/002 du 30 octobre 2006 qui a modifié celle N° 2006/001 du 28 septembre 2006. Le champ d’application de cette ordonnance couvre les produits ci-après: le poisson congelé; le riz; le maïs destiné à l’industrie avicole et les œufs à couver; le sel brut non raffiné ni iodé. Je m’en voudrais de ne pas saluer ici, à sa juste valeur, cette décision éminemment politique du président de la République et qui épouse l’un des volets, je voudrais dire le credo, de son action à la tête de l’Etat, à savoir: la recherche constante de l’amélioration des conditions de vie des Camerounais.
Pour revenir à votre question, ma réponse est sans ambiguïté: oui, l’Ordonnance du chef de l’Etat a bel et bien produit les effets escomptés, en l’occurrence la baisse du prix à la consommation des produits visés. J’en veux pour preuve le prix du poisson qui a été infléchi de 200 voire parfois 300 Fcfa/Kg en fonction des espèces et de la saison. C’est ainsi que, pour ne prendre que ces exemples là, le maquereau 25 plus doré, qui est l’espèce la plus prisée des ménages camerounais, est passé de 1000 Fcfa, sinon davantage, à 700/800 Fcfa au maximum, tandis que le prix du bar corvina se stabilisait autour de 800 Fcfa/Kg.
Le sac de sel de 18 kg, quant à lui, est descendu à 2.300 Fcfa maximum contre 2800/3000 Fcfa. Le riz a connu, toutes choses étant égales par ailleurs, une évolution similaire.
Quelles sont, selon vous, les difficultés auxquelles s’est heurtée l’application de cette ordonnance?
La première difficulté dans l’application de l’Ordonnance du président de la République relève de la lecture qu’on en fait. C’est ainsi que certains de nos concitoyens ont, sans doute de bonne foi, assimilé le poisson pêché localement au poisson congelé importé qui, lui, est visé par l’Ordonnance présidentielle. La même confusion a été entretenue entre le sel transformé localement, qui est concerné par l’ordonnance du chef de l’Etat, et le sel importé, qui coûte beaucoup plus cher.
Et que dire du riz?
Nombre de nos compatriotes n’arrivent pas en effet à faire le distinguo du riz en fonction de sa provenance (riz thaïlandais, riz chinois, riz indien, riz vietnamien, riz pakistanais) ou de sa variété (20% de brisure, 15%, 10% ou 5%). La seconde difficulté est d’ordre culturel, dans la mesure où nos compatriotes n’ont pas encore pris l’habitude des supermarchés, où le prix et la qualité sont garantis, et continuent de privilégier les marchés traditionnels, où deux fois sur trois, ils ont la chance de se faire arnaquer par des opportunistes convertis en commerçants du dimanche ou de circonstance.
Parfois même, ils croient faire des économies en choisissant d’aller tous les jours au marché pour acheter un verre de riz ou de sel, qui ne correspond à aucune unité de mesure conventionnelle, au lieu d’acheter une fois et au bon prix un sac de sel de 18 Kg, un sac de 50 Kg de riz ou, tout simplement, un Kg de sel ou de riz. Cela s’appelle faire des économies de bout de chandelle. Et pour parler de manière triviale, je dirais que "le moins cher se révèle toujours être plus cher". La troisième difficulté enfin, qui s’est au demeurant très vite estompée, est imputable à l’incrédulité, sinon la mauvaise foi, de certains commerçants, heureusement peu nombreux, qui ont mis en doute la capacité et la volonté de l’Etat à honorer ses engagements de compensation des stocks existants et ont donc continué allègrement à valoriser lesdits stocks à l’ancien prix.
Dans les marchés, l’on a observé que l’application de l’ordonnance du 28 septembre 2006 n’a pas posé autant de problèmes dans la filière poisson, que dans les filières avicole et riz, par exemple. Qu’est-ce qui est, selon vous, à l’origine de cette application à deux vitesses de l’Ordonnance du 28 septembre 2006?
Je suis heureux que vous reconnaissiez vous-même que l’Ordonnance du président de la République a été appliquée. Justice est ainsi rendue à l’action déterminée du gouvernement et de ces fonctionnaires qui, parfois au risque de leur vie, sillonnent jour et nuit, dimanche après dimanche, nos marchés pour s’assurer de l’équité dans les transactions commerciales.
Vous relevez néanmoins que dans les filières avicole et riz, les choses se sont moins bien passées. Vous me permettrez de ne pas être tout à fait d’accord avec vous, dans la mesure où, s’agissant de la filière avicole par exemple, elle s’est abstenue de procéder, faute de moyens, à l’importation soit du maïs, soit des œufs à couver. L’Ordonnance du chef de l’Etat devenait par conséquent et, dirais-je, d’office, inopérante pour cette filière.
Pour ce qui est du riz, indépendamment de la trop grande élasticité du circuit de distribution, qui est une source de multiplication des centres de profit, ce que vous qualifiez de non application de l’ordonnance m’apparaît, à bien des égards, comme une illusion d’optique, sinon une vue de l’esprit, tant il est vrai que chacun veut consommer du riz haut de gamme, mais en l’achetant au prix du riz 25% de brisure. C’est comme si vous vouliez rouler en Rolls Royce, mais en émettant auprès du concessionnaire un chèque équivalent au prix d’une 2 CV.
Pour autant et je vous le concède, je n’exclus pas qu’il y ait eu des problèmes ci et là, du fait notamment, comme je l’ai relevé tout à l’heure, d’intervenants qui s’octroient, chacun à son niveau, sa petite ou sa grosse marge bénéficiaire. Mais, là aussi, c’est au consommateur de faire sa propre police, en achetant au bon endroit et au vrai prix. Un vieil adage ne dit-il pas que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude?
Pour rendre d’application immédiate l’Ordonnance du 28 septembre 2006, le gouvernement et les commerçants ont respectivement pris certains engagements : remboursements de frais de Tva sur les stocks des grossistes par l’Etat, et baisse immédiate des coûts des produits par les importateurs, grossistes et détaillants. Mais, même s’ils ne sont pas eux-mêmes exemptes de tout reproche, certains importateurs soutiennent que l’Etat ne leur a reversé jusqu’ici qu’une partie des compensations…
Il n’y a pas ici de meilleur témoignage que celui des opérateurs économiques eux-mêmes, qui ont reconnu que l’Etat avait respecté ses engagements. Je m’abstiendrai donc d’interpréter leurs propos, au risque de les trahir, toute traduction étant, par définition, une trahison.
Ne pensez-vous pas que la hausse des prix de certains produits sur le marché mondial, à l’instar des céréales, a rendu inopérante l’Ordonnance du 28 septembre 2006 sur le territoire camerounais?
La hausse du prix des céréales et des produits agricoles en général sur le marché mondial est une réelle préoccupation qui interpelle chacun de nous, à son niveau. Que personne ne s’y méprenne, il s’agit d’une crise qui s’inscrit dans la durée et qui nous impose des ajustements tant dans notre comportement individuel que d’un point de vue global.
Cette crise met à nu notre dépendance alimentaire par rapport à l’importation de certains produits (riz, blé, produits laitiers et, paradoxe, huile de palme ou maïs) ainsi que l’insuffisance de l’offre nationale des produits alimentaires de base (plantain, tubercules, produits de l’élevage).
Cette situation, qui obère le pouvoir d’achat des ménages, doit nous inciter à repenser notre façon de produire et à hisser notre ambition à hauteur du dessein politique du chef de l’Etat en la matière. Heureusement, serais-je tenté de dire, une fois encore, le chef de l’Etat a fait preuve d’un grand flair politique en anticipant, dès la fin de l’année 2006, avec la signature des ordonnances du 28 septembre et du 30 octobre 2006. L’impact de la crise mondiale des produits agricoles sur les ménages camerounais aurait été autrement plus grave.
Source: Quotidien Mutations
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