Jean-Charles ne semble pas se rendre compte du remue-ménage qu’il y a autour de lui. Alors que ses voisins, encore assommés essaient de faire le bilan des pertes, ce jeune homme installe soigneusement son petit comptoir sous le porche dévasté d’une échoppe, et fait grésiller un peu d’huile dans une poêle, comme pour faire revenir l’appétit qu’ont perdu plusieurs de ses clients installés dans les alentours. "Ils sont venus là le matin [l’équipe de la communauté urbaine, Ndlr] vers 10h et se sont mis à tout casser avec leur pelleteuse.
Les gens étaient dépassés", explique-t-il en rangeant ses affaires. A côté, la gérante d’un salon de coiffure farfouille ses peignes et rouleaux dans la poussière. Un des trois casques quant à lui a été brisé lors du passage de la pelle mécanique.
Un peu plus haut, au carrefour, une agitation incontrôlable règne. Les véhicules avancent pare-chocs contre pare-chocs tandis que les éléments du Gmi N°1, matraques à bout de bras tiennent les curieux en respect. "Nous descendrons plus bas, indique l’un d’eux en désignant l’axe menant vers le Laboratoire Meka. Toutes les bâtisses qui ont été marquées seront détruites.
Les populations doivent plutôt tout ranger et s’en aller au lieu de vouloir faire le bras de fer", indique l’un des membres de l’équipe, le visage dégoulinant de sueur alors que les dents de la pelleteuse crissent sur le mur de Espace télécoms. A côté, l’un des célèbres cafés du carrefour Bastos, " Waka Waka ", vidée de ses meubles n’est plus qu’un tas de pierres et de tôles difformes.
Il est 12h et le soleil est au zénith, mais installée sur une caisse faite de bois blanc, une jeune dame, la main sur la joue, ne semble pas souffrir de la chaleur. Ses effets personnels : matelas, casseroles, téléviseur, valises pleines de vêtements sont amassés quelques mètres plus loin. Sa maison faite de planches a été éventrée quelques instants plus tôt.
"On nous parlait des bars pendant toute la procédure, nous n’avons pas entendu parler des habitations qui seraient détruites. Nous avions acheté ce terrain. Où irons-nous maintenant ?", s’interroge-t-elle, inquiète alors qu’à côté, un compteur d’eau brisé pendant l’opération déverse son précieux liquide. Les populations, occupées à récupérer ce qui peut encore l’être n’y font pas vraiment attention.
Georges Mahou, le chef du service d’hygiène de la communauté urbaine de Yaoundé (Cuy), présent sur les lieux, affirme que cette opération de destruction entre en droite ligne de la politique d’aménagement de la ville de Yaoundé initiée depuis quelques années par le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé.
Et Georges Mahou de préciser : "ce coin était déjà devenu n’importe quoi. Nous comptons y ramener un peu de calme. Nous n’avons pas besoin de créer un nouveau carrefour de la joie dans ce secteur à Yaoundé. En plus, la promiscuité qui s’est installée était déjà un bon nid pour l’insécurité". Ce que contestent les habitants déguerpis, démunis en majorité, qui estiment qu’ils sont tout simplement chassés de ce quartier pour " personnes huppées " de la ville. Un sentiment qu’a accentué la sortie du délégué du gouvernement, Gilbert Tsimi Evouna pour qui, ils sont responsables de l’insécurité grandissante dans la zone.
Il y a deux ans, les populations du quartier Bastos (Ekoudou) ont été délogées de leur terrain qu’à la Cuy on présentait comme inadaptés aux constructions. Le 06 août dernier déjà, le préfet du département du Mfoundi, Joseph Beti Assomo a signé une série d’arrêtés ordonnant la fermeture d'une vingtaine de bars et de rôtisseries qui avait par ailleurs été scellés temporairement pour une période de 60 jours minimum pour certains. Ils devaient, dans un premier temps, régulariser leur situation administrative et fiscale.
Source: Quotidien Mutations
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