Ceux qui avaient annoncé qu’il ne tomberait pas une goutte de pluie sur la ville de Yaoundé avant la fin de la tournée d’installation des maires d’arrondissement de la capitale entreprise depuis le mardi 28 août dernier par le préfet du Mfoundi, ont dû se dire qu’il y avait quelque chose d’anormal qui se produirait ce dernier vendredi du mois d’août.
Pourtant, rien ne laissait présager que c’est du côté de l’Assemblée nationale, où les députés avaient été convoqués pour une plénière qui allait consacrer l’élection du bureau définitif de la Chambre, que viendrait l’événement. Et pour cause, tout le monde se disait qu’avec sa majorité plus que confortable, ce ne serait qu’une formalité pour le Rdpc.
On apprenait tout de suite en arrivant sur les lieux, sous la forte pluie qui s’est déversée sur la ville, que Jean Bernard Ndongo Essomba avait été reconduit à la présidence du groupe parlementaire Rdpc, une structure au sein de laquelle il sera secondé par Monjowa Lifaka Emilia et Paul Eric Djomgoué. C’est d’ailleurs le député Rdpc de la Lékié Est qui sera l’un des premiers à franchir les grilles du Palais de Verre.
Impossible de lui arracher la moindre déclaration au sujet du conclave qui a réuni les députés Rdpc au palais des Congrès. D’ailleurs, personne ne se souvient en avoir jamais eu de cet homme qui cultive le mutisme comme d’autres leur jardin. D’où l’intérêt qui lui sera porté lors de son entrée à l’hémicycle qu’il gagnera après ses collègues, tenant nonchalamment une chemise de couleur grise.
Il attirera encore plus l’attention sur lui lorsque le doyen d’âge, Abba Boukar, qui présidait la séance, posera la question rituelle : " Quels sont les candidats au poste de président de l’Assemblée nationale ? " Ndongo Essomba proposera la candidature de Cavayé Yéguié Djibril. Autre question du président de séance : " Y a-t-il un autre candidat ? " C’est alors que l’on verra un doigt se lever au premier rang des élus du Rdpc. Adama Modi Bakari, élu de la circonscription du Mayo Kani Sud, vêtu d’une gandoura bleue, est autorisée à prendre la parole.
Ses premiers mots vont laisser pantois ceux qui n’étaient pas au faite du déroulement de l’activité dans le Grand Nord au cours des trois dernières semaines, ou qui n’avaient vu dans les informations diffusées par votre journal qu’un canular : " Je refuse la candidature de Monsieur Cavayé ! " dira-t-il d’emblée, avant de voir la suite de sa déclaration se perdre dans un brouhaha immédiatement créé au sein de l’hémicycle. Il va ensuite déchirer le bulletin de vote sur lequel était écrit le nom de Cavayé Yéguié Djibril.
Panique
C’est alors que l’on assistera à une levée de boucliers dans les rangs du Rdpc orchestrées par Marie Rose Nguini Effa et Monjowa Lifaka Emilia. On les entendra, tour à tour, déclarer " que le candidat à la présidence de l’Assemblée nationale donne son nom ou le nom de son candidat " et " Je crois que la question que vous avez posée [s’adressant à Abba Boukar] c’est celle de savoir s’il y a un autre candidat. Et je pense que s’il y a un autre candidat, il doit donner son nom et nous continuons ".
A ce moment, l’on pouvait se demander si, dans les rangs du Rdpc, l’on doutait de la capacité de Adama Modi à pouvoir présenter sa candidature pour le perchoir. Aux termes de nombreux coups de téléphone et quelques va et vient à l’extérieur, et dans une déclaration, il assénera : " Je suis du Rdpc, mais ça ne doit pas continuer comme ça dans le Rdpc. C’est fini l’histoire de copinage. C’est fini l’histoire d’arrangements ", il finira par lâcher la phrase que certains redoutaient : " Si vous ne pouvez pas me permettre d’expliquer les raisons profondes de mon refus, je me présente comme candidat ".
Une déclaration qui a eu le don de créer un peu plus la panique dans la salle. Dès lors, les principaux acteurs de la scène joueront beaucoup du téléphone. On retrouve au centre de cette phase Grégoire Owona, ministre délégué en charge des relations avec les Assemblées et non moins secrétaire général adjoint du Rdpc, qui va quitter la salle en compagnie du doyen d’âge, sans qu’une suspension de séance a été annoncée.
Un intermède qui va durer un peu plus d’une heure, le temps pour le secrétaire général du comité central du Rdpc, René Sadi de rappliquer à l’Assemblée nationale en compagnie d’autres personnalités dont le secrétaire général des services du premier ministre et son adjoint, ainsi qu’une belle brochette d’élites du Grand Nord avec Mme Haman Adama, Ibrahim Talba Malla et certains autres qu’il nous sera impossible d’identifier. Les discussions vont s’engager entre les personnalités présentes, puis un huissier viendra, quelques temps après, appeler Adama Modi qui avait regagné l’hémicycle.
Activisme
Sur les bancs de l’opposition pendant ce temps, les élus semblent boire du petit lait, sans doute ravis de ce qui arrive au grand voisin d’en face. En témoigne, les nombreuses motions d’ordre des députés Sdf Joseph Mbah Ndam, Fonso et Fonju qui relèveront le caractère " scandaleux " de ce qui se passe, ou encore d’Hermine Patricia Tomaino Ndam Njoya de l’Udc, qui va souligner de manière forte : " la loi au Cameroun dit que le mandat du député est représentatif, il n’est pas impératif.
Nous sommes à l’Assemblée nationale et il n’est donc pas sérieux que l’on parle de cuisine interne, de comité central ici ". Cette sortie fait suite aux interventions des députés Rdpc Martin Oyono, Monjowa Lifaka, Marie Rose Nguini Effa ou encore Rose Abunaw Makia qui ont tous évoqué le respect de la discipline interne du parti. Lorsque le doyen d’âge regagne l’hémicycle plus d’une heure après, c’est pour relancer le processus électoral, en déclarant d’entrée de jeu irrecevable la candidature de Adama Modi Bakari.
Cette annonce ne suffira pas à décourager l’ancien secrétaire d’Etat à l’Administration territoriale qui va une fois de plus monter au créneau pour crier son ras le bol : " On dit que ma candidature a été disqualifiée. En matière de disqualification, j’en ai reçu trois à quatre pendant les élections du 22 juillet dernier. Donc, je me méfie de tout ce qui est disqualification.
Je ne demande absolument rien. Je voudrais vous dire que je maintiens ma candidature. Pourquoi refuse-t-on un débat, un vote dans une Assemblée qui se dit démocratique ? Vous avez la majorité les messieurs du Rdpc dont je fais partie ! De quoi avez-vous peur ? Je n’attends qu’une réponse. Ma candidature disqualifiée, donnez-moi les dispositions légales qui m’interdisent d’être candidat. C’est tout ce que je vous demande.
Laissez-moi voter seul contre tous. Je serai alors très heureux d’avoir su que je ne représente que moi-même. C’est ça encore la démocratie ? Pourquoi certaines personnes ont demandé que je démissionne ? Donc il y a problème. Et je tiens à me présenter quelles que soient les conséquences, parce que j’en ai marre ".
Avant de lancer, sur un air de défi au candidat désigné du Rdpc : " Je vous ai dit que je suis profondément démocratique. Qu’on nous laisse avec Monsieur Cavayé, qu’on s’explique, qu’on fasse la campagne. Si Monsieur Cavayé gagne avec 162 voix sur les 163 possibles, je m’inclinerai devant lui, je vais le saluer avec tout le grand respect que je lui dois. Est-ce que c’est un problème ? Pourquoi vous avez peur ? On va s’expliquer auprès des députés ".
Discipline
Une explication qui ne sera pas possible. Pratiquement dépassé par la tournure des événements, le doyen d’âge va relancer le processus d’élection du président de la Chambre. Il fera sauver la mise au passage par le député Emmanuel Mbiam, qui va préciser les dispositions du règlement intérieur en matière de clôture des débats. Adama Modi n’aura d’autre choix que de quitter la salle. Cette fois, pour ne pas revenir.
Cavayé Yéguié Djibril sera finalement élu avec 130 voix sur les 143 votants. C’est un homme visiblement éprouvé qui va gagner le perchoir et qui, dans une déclaration improvisée, va se lâcher : " Je suis arrivé à l’hémicycle en avril 1970. Je n’ai jamais vu une séance plénière aussi houleuse. C’est la première fois, laissez moi vous dire que c’est le temps qui a fait que cette séance soit houleuse. C’est notre pays qui avance dans la démocratie. C’est cette démocratie qui fait que chacun veut s’exprimer.
Nous devons nous exprimer certes, mais nous avons des moyens pour nous exprimer. Nous sommes tous ici des militants de partis politiques. Nous n’avons pas de candidats indépendants. Si nous agissons de la sorte, c’est la discipline qui va f… le camp, et si la discipline fout le camp, elle laisse place au désordre. Nous devons revenir à la raison pour que la discipline prévale dans cet hémicycle… "
Source: Quotidien Mutations
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