Que pensez-vous du débat en cours sur la modification de la constitution ?
Je constate qu’il y a une discussion qui est en cours. Vous êtes dans une démocratie en évolution. C’est normal que l’on débatte sur de tels sujets. Je crois comprendre que l’origine du débat, c’est de pouvoir corriger certains aspects de votre Constitution qui semblent ne pas être très fonctionnels. Personnellement je connais très peu de Camerounais qui pensent qu’en cas de vacance de présidence de la République, la succession telle que prévue par la Constitution actuelle marcherait. On n’a pas confiance que les élections puissent s’organiser dans un délai de 40 jours, et on voit mal comment le pays serait dirigé pendant les 40 jours. Il y a donc des gens qui pensent qu’un vice-président serait le bienvenu, pour que l’on sache exactement qui sera au pouvoir, et pendant combien de temps. Et s’il faut que des élections soient organisées pendant cette période, il faudrait qu’elles soient acceptables par les Camerounais. C’est le point de départ que je vois dans le débat actuel. je crois que les Camerounais arriveront à prendre un décision qui améliore, si nécessaire, la Constitution.
Les élections arrivent, et concernent les législatives et municipales. Mais les débats sont orientés plutôt vers la présidentielle de 2011, avec la limitation du mandat présidentiel. Quel est votre avis sur cette question ?
Les élections, c’est très important pour la démocratie, et notre principale raison d’être à l’ambassade, c’est de soutenir l’évolution démocratique dans le pays. Les élections qui sont prévues pour juin juillet, même comme la date n’est pas exactement connue, sont très importantes, pour plusieurs raisons. Je pense d’abord que le choix des conseillers et des députés est important. Ce sont eux qui représentent de la façon la plus proche les populations, jusque dans les villages où ils vivent. C’est primordial de désigner les gens qui vont représenter au mieux ces populations dans les institutions.
Nous sommes inquiets, pas seulement les Américains, mais les bailleurs de fonds, au regard du déroulement du processus électoral. Il faut, et je l’ai dit à plusieurs reprises, que ces élections soient les meilleures dans l’histoire du Cameroun. Pour son image à l’extérieur, mais aussi pour rendre les Camerounais confiants eux-mêmes, avec cette idée que d’après votre Constitution, en 2011 il y aura alternance. Je pense qu’il y a un cercle vicieux, si vous voulez : les populations ne font pas confiance, alors ceux qui gèrent les élections voient l’apathie des populations, qui ne se sentent pas tout à fait dans l’obligation de remplir leur devoir. Par exemple, si on demande aux Camerounais s’ils sont allés à la sous-préfecture pour chercher la commission mixte qui leur permettrait de s’inscrire, on se rend compte qu’il y a des millions qui ne se sont pas encore inscrits. Il faut les encourager. Il faut aussi encourager les sous-préfets et les commissions mixtes qui sont composées des représentants des partis politiques à remplir leur devoir. Et si tous ces éléments sont réunis, il peut y avoir espoir. Maintenant vous avez un peu plus de quatre millions d’électeurs inscrits, ce qui est peu pour un pays de votre population. On devrait avoir autour de sept millions, voire huit millions. S’il n’y a que cinq millions d’inscrits au moment de la convocation du corps électoral, on aura tendance à penser que les élections manquent de réussite. Donc ce ne serait pas bien pour le Cameroun et pour son image à l’extérieur.
En ce qui concerne le mandat, c’est évidemment une question que les Camerounais doivent régler dans les discussions démocratiques entre eux. L’avis de mon pays à l’égard de ce genre de chose, qui n’est pas l’apanage du Cameroun, est le suivant : d’abord on respecte le droit des pays souverains de prendre leurs décisions. Mais, là où on a vu que l’impulsion d’un tel changement concerne le sort d’un seul homme au pouvoir, comme c’était le cas l’année dernière au Nigeria, quand il était question d’un changement constitutionnel pour permettre au président actuel de rester au pouvoir, nous avons dit qu’il vaut mieux respecter les limites, pour permettre à l’espace politique du pays de s’agrandir, et permettre aux autres qui veulent participer à la vie politique de tenter leur chance, de développer les générations futures. La question se pose à peine au Cameroun. Mais dans la mesure où elle se pose quand même, j’imagine que ce sera aussi notre position.
Depuis trois ans, votre pays achète du riz à vos paysans et le donne au gouvernement camerounais, à charge pour lui de vendre pour financer des projets. Pourquoi ne donnez-vous pas directement cet argent pour ces projets ? Cette pratique n’est-elle pas une violation des règles de l’Omc ? Et quelle garantie avez-vous que ce riz est vendu et l’argent investi à bon escient ?
En fait c’est un projet dont je suis fier. Depuis quatre ans on a déjà touché huit des dix provinces avec des projets de ce mécanisme que vous venez de décrire. J’ai été plusieurs fois à l’Extrême-Nord où on a commencé avec ces projets. On a créé un fonds qui est mis à la disposition du Crédit du Sahel (une coopérative de micro finance Ndlr), permettant aux Gics et aux villageois d’avoir des micro-crédits. S’il y a une chose que j’ai vue au Cameroun, c’est le manque d’accès au micro-crédit, ce qui freine le développement. L’autre projet que nous menons là-bas, c’est le financement d’une Ong qui a une technologie très simple, permettant d’avoir des forages, des puits dans les concessions des Camerounais dans cette partie du pays, où l’eau est vraiment difficile à obtenir. Ce manque d’eau empêche les enfants d’aller à l’école, parce qu’ils passent la journée à descendre dans les bas-fonds, creuser la terre pour retrouver de l’eau, mettre des seaux sur la tête et regagner la maison. On a essayé de donner l’eau à ces gens-là, et ça marche. Et j’invite les journalistes à se rendre à Maroua pour voir la plus part de ces projets.
Evidemment, cette pratique n’est pas une violation de loi internationale sur le commerce. A ma connaissance, personne n’a jamais porté plainte contre nous, à l’Omc, pour ce programme qui existe dans une cinquantaine de pays membres. Quand on a voulu implanter ce programme au Cameroun, on a choisi les denrées qui dérangent le moins, ou qui ne dérangent pas du tout. C’est notre façon de soutenir les projets locaux. C’est vrai que le riz est produit au Cameroun, mais le riz consommé ici vient plutôt d’ailleurs. Ce riz n’a pas d’effets néfastes sur la production locale.
Pour ce qui est du prix, je crois que le gouvernement doit vendre ce riz au prix du marché. Ce n’est pas notre riz qui pourrait entraîner une baisse sur le marché.
Les Etats-Unis semblent absents au Cameroun dans le domaine sportif. Qu’est ce que vous faites ou comptez faire pour le développement de ce secteur ?
Notre façon d’investir dans le sport est différente. J’étais la semaine dernière avec le ministre des Sports, et on a eu l’occasion d’en parler. Nous faisons beaucoup de choses, peut-être pas très visibles. C’est surtout le développement de l’infrastructure humaine qui nous intéresse. Trouver les gens talentueux, et contribuer à leur épanouissement, non seulement physique, mais aussi intellectuelle. En avril, comme on a fait l’année dernière et l’année d’avant, on va accueillir au Cameroun des entraîneurs américains de football. Ils viendront chercher des jeunes Camerounais qui sont adeptes, pour suivre des études avec nos bourses dans des universités américaines. Ils sont déjà nombreux, pas seulement dans le football, mais aussi dans le basket-ball, et d’autres disciplines. Nous mettons côte à côte les études et le sport.
Ces entraîneurs vont faire des camps d’entraînements, pas seulement pour ceux qui peuvent faire leurs études aux Etats-Unis, mais aussi pour les jeunes et les enfants de la rue. Chaque année, il y a des centaines de Camerounais qui bénéficient de cette bourse. On parlera certainement à une autre occasion des possibilités d’aide américaine dans ce sens.
Mais le défi pour les Camerounais, vraiment, dans une Afrique en pleine reforme, c’est d’accélérer le processus de responsabilisation en ce qui concerne les fonds reçus. Il y a des pays qui sont moins doués que le Cameroun en ressources et en potentialités humaines, mais qui arrivent quand même à faire des bonds en avant. Il n’y a pas de raisons pour que le Cameroun ne puisse pas réussir. Mais il faut vraiment travailler et avoir la volonté politique de réussir. On n’y est pas encore au Cameroun, mais un jour, je l’espère.
Un bateau américain, le USS Kauffman mouille actuellement au large de Limbe. Comment expliquer cette présence américaine dans le Golfe de Guinée ?
Je crois qu’avec la globalisation, l’Afrique est devenue de plus en plus importante, sur tous les aspects. Et la politique de mon pays depuis un certains temps le reflète. Les visites, les multiples programmes, que ce soit dans la santé publique, la vie administrative, communautaire, démontrent le souci de notre part de nous engager de plus en plus en Afrique. Il y a aussi un volet militaire. On veut travailler avec les militaires africains pour améliorer la capacité des Africains à gérer leur espace politique. Cela concerne aussi le maintien de la paix qui se fait en Afrique, et à notre avis, mieux par les Africains que par les gens qui viennent d’ailleurs. Il y a beaucoup de formation en ce moment à Limbe.
Depuis que je suis au Cameroun, l’une des principales sollicitations de votre pays concerne la formation par les Américains de vos éléments de l’armée et de la marine.
Hier (mercredi 21 mars 2007), au cours d’un exercice des marins américains dans les eaux territoriales camerounaises, on a constaté que les Français y étaient aussi. Peut-on penser que vous vous bousculer pour le positionnement dans la région ?
Pour ce qui est de nos amis Français, on a cherché une occasion pour manœuvrer en tripartite avec les Camerounais. J’ai l’impression de fois que les Camerounais se sentent devant un choix : doit-on aller avec les Américains ou avec les Français ? Est-ce qu’on va avec les Chinois, etc. Je pense que les objectifs que nous avons sont les mêmes dans plusieurs domaines. Nous ne voyons pas de compétition. Il y a plutôt une grande
complémentarité avec les autres pays.
La question que vous posez est importante, et il faut vraiment y réfléchir. Nous voulons des militaires camerounais qui contrôlent les frontières, et l’espace maritime du Cameroun. Si on peut contribuer à améliorer leur formation, c’est bien, et si on peut y parvenir avec nos amis, c’est encore mieux.
Le Golfe de Guinée est quand même riche en pétrole. N’êtes-vous pas engagés dans un jeu d’intérêts, au-delà des arguments que vous avancez ?
A votre nomination à Yaoundé d’ailleurs, compte tenu de votre profil, l’opinion a pensé que vous étiez là justement pour mettre en pratique cette opération de contrôle du golfe de Guinée. Qu’en dites vous ?
Je pense que les gens disent beaucoup de choses là-dessus. Nous ne nous sentons pas en compétition avec qui que ce soit. Le monde est globalisé. les Américains sont des investisseurs, des gens qui savent faire valoir les ressources. Si nous connaissons moins bien l’Afrique que d’autres pays qui ont une expérience coloniale, c’est normal. Les investisseurs pétroliers américains s’intéressent au Golfe de Guinée, mais ce n’est pas sur le plan politique que cela va se faire. Si une société se présente, souvent sans la connaissance de leur ambassade, et disent : nous sommes capables, et nous pensons que si vous nous accordez des facilités de faire des recherches, on va arriver à les mettre en valeur. Les Américains en Guinée équatoriale, c’est un exemple assez frappant. Il y a d’autres sociétés, originaires d’autres pays, qui ne sont pas arrivées à mettre en valeur les gisements pétroliers là-bas. Les Américains sont venus, ils sont en train de transformer un pays, un peuple. C’est quelque chose de commercial, d’économique, mais qui a aussi quelques aspects politiques. Notre politique ce n’est pas de déclasser les autres, notre politique c’est de compétir à égalité avec les autres, c’est tout.
Source: Le Messager
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