Le Hip hop camerounais connaît depuis près de trois ans un tournant décisif dans son évolution. Les jeunes artistes de la mouvance hip hop sont passés de l'ambiance festive à un discours révolutionnaire et de contestation. Rejoignant par cette option le sel et l'essence même du rap. Ce mouvement de contestation accompagné de beat qui a vu le jour dans les années 70 dans le Bronx aux Etats-Unis d'Amérique. Cela se traduit au Cameroun non seulement dans les vêtements et coiffures, mais surtout dans les textes forts parfois violents qui traduisent à profusion le quotidien des Camerounais. Les rappeurs du bled ont choisi un angle précis: parler de ce qui ne va pas dans ce pays. Rien que de ça. Car ils sont amoureux d'un pays qui ne les aime pas. Amis d'une patrie qui avilit.
Difficile de sortir de leurs compositions sans entendre une allusion au K-mer ou au Mboa qu'ils souhaitent fort prospère. Ra-syn a tenu à faire savoir que son album avait été "mis en bouteille à Yaoundé". Krotal a baptisé le sien "vert rouge jaune". Wilfried recommande à un frère parti de "ne pas oublier le pays, notre pays, même si les gangsters en costard tiennent le pays en otage".Une fourchette de rappeurs, notamment Sultan Oshimin, Valséro, Krotal, Toopy 4ever, Ak sang Grave, Holokost, Koppo émerge avec comme objectif de dénoncer les maux de la société, la gabegie et le détournement qui paralysent le pays et la politique du gouvernement. Car, comme le précise Valséro, "ils ont des comptes à nous rendre. Qu'ils aient demandé ou non à être au pouvoir, ils doivent l'assumer". Pourtant, certains y croient: "Je crois en Paix Travail Patrie, même si chaque jour je vois des vertes, des rouges et des jaunes", affirme Krotal. Il poursuit dans "ici c'est chez moi" qu'on "se dit qu'on est chez moi même si c'est Higher. On se dit que ça ira malgré le War".
Tous des jeunes Camerounais, ces rappeurs veulent répondre à la question essentielle qui est: comment croire à un pays qui ne croit pas à sa jeunesse? Touchés, les rappeurs, les premiers, crachent le venin. Dans le titre "Mon cher pays", Toopy 4 ever s'interroge: "Que faire ici? Voir le temps passer sans changer son niveau de vie? Toutes les portes sont fermées". Ak Sang Grave, dans l'album "Du fond de l'Afrique", enfonce le clou en martelant que: "C'est une tragédie de vouloir vivre dans son paradis, sans radis". Koppo est catégorique : "il faut quitter ce territoire où il n'y a plus de place pour le rêve. On va faire comment? Le kamer a les dents". Avenir assombri, espoirs meurtris, le tableau que complète Krotal est triste: "les mystères, en boucle, tourne autour de nous (…). Combien de cartons rouges assassinent encore et encore nos motivations?".
La souffrance transparaît aussi dans les textes de Ra-syn. Elle débouche inévitablement sur la révolte, comme l'illustre cet extrait de "Des larmes": "On nous appelle des yo, moi je dirais qu'on nous a sacrifiés, livrés en holocauste (…) Sous le soleil, on peine. On cherche le bout du tunnel. S'il le faut, avec les lampes, on cherchera l'issue dans ce bordel". Valséro croit avoir trouvé l'origine des souffrances des jeunes.
Petites peintures
Son doigt accusateur est pointé sur ceux qui dirigent le pays depuis 1960: "Ce pays tue les jeunes. Les vieux ne lâchent pas prise. Cinquante ans de pouvoir (…) et ils ne lâchent pas prise. La jeunesse crève à petit feu. Tandis que les vieux, dans leurs châteaux, se saoulent à l'eau de feu". Toujours aussi amer, Valséro, au verbe cru et vrai, du pur style underground, s'interroge sur "Popol qui veut diriger le pays alors qu'il est toujours en voyage à Paris". Il constate pourtant que "Chantal est là avec ses Synergies de merde dans le pays des Lions indomptables, futur champion du monde et pas l'ombre d'un stade". Pour lui, s'il va en prison après la sortie de son album, il aura eu le temps de dire que "les grandes ambitions sont en fait des grandes embuscades". Ces petites peintures de la vie camerounaise sont tellement précises que la rage de ces jeunes rappeurs se communique. Cependant le mouvement est freiné par plusieurs écueils.
"Actuellement, on ne peut pas encore parler de courant de pensée ou d'idéologie comme en Europe, aux Etats-Unis, où c'est une revendication et un moyen de revendication, parce que le mouvement n'est pas organisé. Il y'a une étape de conscientisation qui a été sautée. Ceux qui ont identifié le mal, heureusement lettrés, sont malheureusement peu nombreux pour constituer un contre poids", explique Alexandre Bougha, du label Ouatch prod.
L'autre difficulté c'est de toucher la cible, mais surtout les décideurs. Pour Krotal, c'est certain qu'ils sont écoutés: "car comment expliquer que le gouvernement met tout en place pour réduire l'art dans ce pays à la médiocrité et à la mendicité. Ils sont conscients que le pouvoir est de notre côté, car le peuple nous écoute et quand le mouvement se sera installé, le raz de marée sera incontrôlable malgré leur volonté insidieuse de nous démonter". Les rappeurs camerounais sont encore loin d'atteindre le niveau de Public Enemy, Grand Master Flash, Nigger With Attitude, Snoop Doggy dog, Dr Dree, 2Pac, qui ont utilisés les médias et créé des labels et des marques de vêtements pour se faire connaître et s'imposer, mais la construction de la fondation a commencé, les textes sont en place et bien rimés. Une école est en train de naître…
A propos du Rap…
Le Hip-hop vient du langage afro-américain, hip signifie "dans le coup" et hop "bondir". Il renvoie à un état d'esprit, un style de vie énergique pour aller toujours plus haut. Souvent réduit à la seule signification du mot Rap (en anglais, to rap : bavarder), c'est pourtant un style de musique fondé sur la récitation chantée de textes souvent révoltés et radicaux, scandés sur un rythme répétitif. Cette culture urbaine d'origine afro-américaine est née dans le quartier du Bronx à New York, dans les années 1970. C'est une période de crise économique et les quartiers, déjà dans une situation très précaire, voient les spéculateurs immobiliers préférer raser les vieux immeubles des agglomérations comme Brooklyn, Harlem ou le Bronx, plutôt que de les restaurer.
C'est ainsi que dans chaque ghetto, la population va vouloir lutter contre cette injustice. C'est dans ce contexte que le rap va naître. Ses racines remontent à la fin des années 1960, avec l'apparition des "Last Poets", un groupe de plusieurs Noirs qui revendiquent des idées révolutionnaires en scandant leurs rimes sur des beats. C'est de Jamaïque que va arriver le père fondateur de la culture hip-hop. Il s'agit de Clive Campbell, plus connu sous le nom de Dj Kool Herc. Ce jeune Jamaïcain est l'un des premiers à préparer régulièrement des "Block Party": des fêtes informelles organisées dans des quartiers.
Le mouvement hip-hop arrive en France dès le début des années 1980. La réalité pluri-éthnique des ensembles suburbains, les effets d'une tradition de chanson à texte, façonneront un particularisme qui fera de la France la deuxième nation du rap, en termes de marché et de créativité. Parmi les figures fondatrices : le jongleur de mots Mc Solaar, les Marseillais d'Iam, des groupes à controverse tels que Ministère Amer ou Suprême Ntm. Cette diffusion du hip-hop ne s'arrête pas aux frontières des pays occidentaux mais touche aussi, depuis le début des années 1990, pratiquement tout le monde.
Ainsi, on peut prendre comme exemple un pays d'Afrique Noire, le Cameroun. Le hip-hop arrive ici à la fin des années 1980, à l'époque où la télévision fait son apparition dans le pays. L'absence de moyens est le principal problème pour les acteurs de la culture hip-hop, et la seule solution pour eux de sortir de l'anonymat et de tenter leur chance dans des pays développés, et francophones comme la France. Tel fut le cas de rappeurs comme Polo, Pit Baccardi ou encore Ménélik.
Source : Quotidien Mutations
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