Ils étaient trente-huit Nigérians à être interpellés le 19 décembre 2005 et gardés à vue dans les locaux de la gendarmerie, déférés au Tribunal de grande instance du Wouri à Bonanjo-Douala. Selon l’ordonnance de renvoi du substitut du procureur de la République chargé de l’information judiciaire près le tribunal de grande instance du Wouri, Jean Betea, “ les 38 Nigérians ont été inculpés de coaction d’incendie et destruction, violences à fonctionnaires, port dangereux d’arme et pillage en bande.”
En effet, le 19 décembre 2005, des ressortissants nigérians armés de machettes, gourdins, barres de fer, morceaux de bois et liquide inflammable, ont investi le domicile de M. Nwehla Batoum au quartier Ndogbong à Douala, en l’absence des occupants, abattu les arbres fruitiers, mis le feu, détruit deux véhicules ainsi que du mobilier de la maison. A en croire le rapport du cabinet Emare commis pour l’expertise de pertes, les dommages sont énormes. Certaines sources les estiment à environ 100 millions de Fcfa. Et le propriétaire des lieux a saisi la justice pour réparation.
La première audience a eu lieu le 23 novembre 2006. Elle a été renvoyée pour le 28 décembre dernier. Celle-ci n’a pas siégé. Elle fut renvoyée d’office au 25 janvier 2007, histoire de reconfigurer le parquet selon le nouveau code de procédure pénale. Comme les précédentes, l’audience du 25 janvier dernier a été renvoyée au 22 mars pour comparution de tous les accusés, convocation de tous les témoins et formation collégiale du tribunal. Le plaignant a sollicité la collégialité compte tenu du caractère sensible et de la tournure que prend déjà cette affaire. Car, pendant la phase de l’information criminelle, aucun des 38 Nigérians inculpés, ne s’est présenté à la barre. Et pour cause. Le 2 octobre 2006, Jean Betea, le magistrat instructeur a remis 32 des 38 Nigérians en liberté afin qu’il comparaissent libres, sans qu’ils ne soient élargis. Face à l’absence aux audiences, le magistrat instructeur a émis les mandats de comparution. Ils n’ont pas prospéré. Aucun n’a répondu présent. Pour l’audience du 22 mars, il a émis les mandats d’amener.
Selon des témoignages concordants au tribunal de grande instance du Wouri à Bonanjo, même les cinq Nigérians gardés à vue ne viennent jamais aux audiences. A en croire certaines indiscrétions au Tgi du Wouri, l’un des cinq détenus se serait évadé. Il s’agirait de Duro Ejike William, mécanicien ; né le 10 mai 1971 à Limbe. Comme ce présumé évadé, les quatre autres détenus sont jeunes. Tous les ténors ayant été remis en liberté. D’autres indiscrétions affirment d’ailleurs que la plupart des inculpés auraient regagné leur Nigeria natal, dans la vague des départs volontaires (?) organisée récemment au port de pêche de Douala. Dans tous les cas, le tribunal ne semble rien détenir de ces Nigérians qui puissent les forcer à répondre de leur forfait. “ C’est un problème assez compliqué. Parce que, en remettant la trentaine des coaccusés nigérians en liberté, le procureur a retenu leur passeport, leur titre de séjour et leurs portables. Mais, curieusement, par lettre du 5 janvier 2006 arrivée au parquet le 11 janvier 2006 sous le n° 403, le consul général du Nigeria à Douala sollicitait la restitution des passeports, titres de séjour et portables des coaccusés. Et par cette lettre, le procureur a restitué tous ces éléments aux coaccusés ”, confesse un employé du Tgi du Wouri. La même source révèle que des pressions énormes seraient exercées sur Hervé Mpeck par qui tout est arrivé. Afin qu’il implique Mme Nwehla Batoum comme coactrice d’assassinat du Nigérian Samuel Okoro pour justifier la destruction et l’incendie des biens. Il se raconte aussi que c’est le consulat général du Nigeria qui prend en charge les deux avocats (Me Ashu Emmanuel et Me Ntuiambane) qui défendent les Nigérians.
L’Etat entre le laxisme et l’inertie
Depuis environ 15 mois, la famille Nwehla Batoum est désemparée, disloquée et sans abri. Leur maison a été saccagée par une bande de Nigérians en furie. Ils ont parcouru près de 8 km sur la voie publique, à pieds, armés, sans être inquiétés. Or selon le témoignage de Menyangono Nku de Martha, fonctionnaire de police au commissariat du 10e arrondissement de Douala, au moment des faits, les forces de l’ordre et de gendarmerie étaient au courant de la menace, 24 heures avant sa mise à exécution. Elles ont tout de même laissé faire.
Face à ce laxisme, on peut être amené à constater le manque de plus en plus criard de patriotisme et de solidarité des Camerounais. C’est ainsi qu’on peut tuer, violer, voler en plein jour et au cœur de nos cités, sous le nez et la barbe des passants, des voisins sans que quelqu’un ne vienne en aide à la victime.
L’on ne demande pas d’être xénophobe. Mais l’Etat du Cameroun ne protège pas les siens. Ce qui se passe dans l’affaire Nwehla Batoum n’aurait pas de sens ailleurs. Elle serait même impossible. Ailleurs, l’Etat se serait mis du côté de la famille. Que se serait-il passé si les mêmes faits s’étaient produits au Nigeria dans des rôles inversés ? De là à croire qu’un jour, les Nigérians brûleront impunément le drapeau camerounais sur la place publique au pays… Sinon, maintenant que le procureur a remis tous les Nigérians ou presque en liberté, qui va payer la note ? Sur ce plan, l’attitude du substitut du procureur laisse songeur. Si ce n’est de la légèreté, c’est presque de la complicité. Même si certaines indiscrétions laissent croire que l’ambassadeur du Nigeria au Cameroun serait favorable à un arrangement à l’amiable.
Dans tous les cas, l’on ne regrettera jamais assez l’inexistence d’un Ombusman, une sorte de médiateur de la république au Cameroun, comme ailleurs. Il saurait transmettre directement au chef de l’Etat les problèmes des Camerounais. Dans le cas d’espèce, le médiateur de la république aurait approché les autorités tant nigérianes que camerounaises pour un règlement définitif de ce problème.
Source : Le Messager
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