Pour la première fois y est livrée une base de donnée originale mesurant – pour tous les pays du monde – à la fois le stock des migrants par niveau de qualification en valeur absolue et en proportion de la population dans les pays d’origine (taux d’émigration).
Globalement, l’Afrique représente 7% de la migration qualifiée totale dans la zone OCDE en 2000. Trois pays de destination, menant des politiques d’immigration sélectives, captent la moitié des émigrés qualifiés africains, les États-Unis (32%), l’Australie (12%) et le Canada (6%). L’Europe des Quinze ne reçoit que 46% de l’émigration qualifiée du continent contre 75% de l’émigration totale. Le solde se répartit entre les huit autres Etats membres de l’OCDE
Grande diversité des situations
Pour l’Afrique, les qualifiées représentent 31% de l’émigration totale en 2000. Cette proportion culmine même à 62%, pour la région australe, contre par exemple 18% pour ceux originaires des pays de l’Europe du Sud.
Ces éléments vont à l’encontre d’un cliché, largement répandu dans certains pays d’accueil et d’origine, selon lequel la migration africaine à destination des pays industrialisés est formée presque exclusivement de personnes non qualifiées. Pour preuve, la proportion des qualifiés dans l’immigration d’origine africaine avoisine 65% en Australie, 70% aux Etats-Unis et 75% au Canada. Et si au sein de l’Union européenne cette proportion est relativement faible (19%), elle cache de fortes disparités, certains pays affichant des taux élevés, comme le Royaume-Uni (40% des immigrés africains qui y résident sont diplômés).
Au niveau des pays d’origine, la part des qualifiés dans l’émigration totale est très faible pour des pays africains comme le Mali (11%), la Guinée équatoriale (12%), les Comores (13%), le Maroc (13%), l’Algérie (14%), la Guinée-Bissau (14%). Mais d’autres nations sont beaucoup plus « pourvoyeuses » de cerveaux : le Nigéria (65%), l’Egypte (59%), le Libéria (58%), le Swaziland (56%) ou encore le Zimbabwe (55%).
Globalement, pour 22 pays africains, la part des diplômés du supérieur dans l’émigration totale est supérieure à 45%. Pour 13 d’entre eux, cette part dépasse même 50%.
LA fuite des cerveaux peut être mesurée en valeur absolue ou en proportion de la population active qualifiée du pays d’origine – on parle alors de « taux d’émigration des qualifiés ».
Il est évident que la pression exercée par l’émigration qualifiée au niveau d’un pays d’origine dépend du potentiel national. Dans ce contexte, la pression exercée par les quelque 150000 émigrés égyptiens, environ 4,5% de la population active qualifiée nationale, est moins forte sur l’économie du pays d’origine que celle résultant du départ de 2426 qualifiés seychellois, qui représentent environ 56% des qualifiés nationaux.
Même pression pour le Cap-Vert, la Gambie, Maurice, ou la Sierra Leone (53%). En fait, pas moins de dix huit pays sont gravement affectés par la fuite des cerveaux, avec un taux de migration qualifiée supérieur à 20%. D’autres nations se caractérisent par des taux d’exode des cerveaux relativement moins importants, comme le Togo, le Malawi, le Maroc et la Zambie.
Un phénomène qui s’accélère depuis dix ans
Le nombre total d’émigrés africains, âgés de 25 ans et plus résidant dans un des 30 pays de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est passé de 2,9 millions en 1990 à 4,5 millions à la fin de 2000, soit une augmentation de 55% en dix ans. Sur la même période, le nombre d’expatriés africains qualifiés a augmenté de 113%, pour s’établir à près de 1,4 million à la fin 2000. Par référence à la moyenne mondiale (69%), l’augmentation sur cette décennie a été plus forte pour les régions de l’Afrique australe (167%), l’Afrique de l’Ouest (163%) et l’Afrique centrale (132%).
Résultat de cette évolution rapide de l’émigration qualifiée, un grand nombre de pays africains ont connu une forte accélération de l’émigration de leurs qualifiés entre 1990 et 2000 – l’Angola (+ 28 points), le Mozambique (+ 18), la Sierra Leone (+ 18), São Tomé (+ 18), la Somalie (+ 15), la Guinée Bissau (+ 15), les Comores (+ 14), le Libéria (+ 13) et le Ghana (+ 9).
L’Afrique ne peut lutter seule
Sans l’ombre d’un doute, la fuite des cerveaux africains va s’amplifier au cours des années à venir. Les perspectives de vieillissement de la population active dans les pays développés, l’introduction croissante de mécanismes de sélection des immigrés dans plusieurs pays de destination (France, Irlande, Royaume-Uni, etc…), la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs d’activité tels que la santé vont amplifier la mobilité des travailleurs qualifiés Sud-Nord.
D’autant que les pays d’origine cumulent les handicaps et que les disparités en termes de revenu par rapport aux nations les plus riches ne cessent de croître. L’augmentation du nombre de personnes pauvres devrait atteindre 340 millions en Afrique à l’horizon 2015. Ces inquiétudes sont confirmées par les résultats d’une enquête, menée par le bureau régional de l’OMS pour l’Afrique publiés en 2004, qui montrent qu’une proportion significative des professionnels de la santé interviewés envisage d’émigrer vers les pays du Nord - 68% pour le Zimbabwe, 62% pour le Ghana et 58% pour l’Afrique du Sud.
Certes, tous les pays du monde sont touchés par la fuite des cerveaux, mais à des degrés divers. Si les pays riches peuvent compenser leurs pertes de capital humain en attirant des migrants qualifiés en provenance des pays en développement, les nations les plus pauvres ne parviennent que très rarement à rééquilibrer la balance ? Or, la formation de ces diplômés coûte cher aux Etats et leur départ creuse encore davantage le fossé qui les sépare d’autres régions du monde.
Si les effets négatifs de cet exode ne pourront réellement se mesurer qu’à long terme, il est urgent d’en analyser, d’ores et déjà, les principales causes. Cependant, il est irréaliste de croire que l’Afrique peut lutter seule contre ce phénomène et supporter, l’ensemble des conséquences engendrés par cette perte de capital humain. La communauté internationale peut – et doit – jouer un rôle important dans ce domaine.
A cet égard, l’union européenne mais aussi les autres pays riches, principaux bénéficiaires de cet exode massif des qualifiés africains, commencent à adopter des mesures de soutien au contient à travers l’aide publique au développement, avec un effort particulier en faveur de l’éducation.
Source: L'intelligent
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