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L'écrivain qui avait préparé son testament
(20/10/2006)
L'ancien correspondant de Rfi a produit une œuvre littéraire intense d'où transparaît une étrange prémonition.
Par Alain B. Batongué, Quotidien Mutations
Sur toutes les radios nationales et plusieurs radios internationales, à la lecture des journaux ayant parlé de lui il y a quelques jours, tout le monde doit savoir maintenant de quoi et, surtout, comment est mort David Ndachi Tagne, foudroyé par une attaque cardiaque, alors qu'il sortait du studio qu'il avait aménagé dans son domicile, où il venait de faire sa dernière correspondance à radio France internationale. Mais sait-on que David, qui a écrit beaucoup d'ouvrages, avait pratiquement, dans l'un d'eux, décrit les circonstances de sa mort ?

En relisant Ethnofascistes : la vérité du sursis, récit qu'il fait en 1987 de son arrestation et de son incarcération, à la suite d'une table ronde sur l'engagement littéraire à laquelle il a pris part à l'université de Yaoundé sous le renouveau naissant, nous sommes tombés sur des phrases pour le moins renversantes. Il n'a pas trente ans, mais il est d'une étrange lucidité : " le sursis ! Je n'aime pas les termes juridiques. Parce que, comme la justice, ils peuvent vous précipiter dans le gouffre alors que vous vouliez encore vous accrocher à quelques bribes de l'existence. Vue au travers du prisme de la force occulte qui régit tout et de la force des hommes qui décident à chaque moment du sort de l'individu dans la collectivité, la vie m'apparaît finalement comme une simple succession de minutes de sursis. Si cette minute qui passe n'est pas encore la vôtre, sans doute ce sera pour prochainement. Encore une. Une minute de plus. Une minute d'espoir. Jusqu'à ce que la corde de l'espoir se brise "…

Cette connaissance de la vie et de son mystère pourrait-elle alors expliquer pourquoi David Ndachi Tagne ne ménageait aucun effort, ne prenait pratiquement aucune heure de repos sans assouvir ses passions pour la plume : celle de l'instantanéité à travers des articles de presse, et celle de la réflexion à travers la littérature. C'est encore lui qui disait, dans le même ouvrage : " Mais moi, où vais-je ? Moi qui ai mis et laissé beaucoup de choses dans le christianisme ; moi qui m'oublie au profit du travail ; moi l'esclave qui a sacrifié sa famille pour mieux assurer sa disponibilité… L'enfer est sur terre. On vend parfois son âme au diable sans le savoir. Sans doute l'essentiel est-il de ne jamais être passionné ? Mais nous sommes des hommes, nous avons un corps, un cœur, du sang dans nos veines, la vie alentour. On est parfois prisonnier dans la foule. Mais l'essentiel est d'avoir opté pour ce statut là, délibérément. "



Ethnofascistes : la vérité du sursis n'était pas sa première expérience littéraire, puisque David Ndachi Tagne avait déjà publié en 1985 une pièce de théâtre, M Handlock ou le boulanger politique, une année plus tard un roman, La reine captive et, la même année, un essai faisant suite à ces travaux de recherche pour sa thèse en littérature négro africaine, Roman et réalités camerounaises. Mais la suite de sa volumineuse production littéraire allait comme dessiner les contours et les influences personnelles de David Ndachi Tagne, volontiers marqué par les questions politiques, certainement en raison du sort que connu son père ainsi que des expériences qui le traumatisèrent, mais aussi et, surtout, des questions sociales, sans doute du fait de ses origines ; ne disait-il pas encore, toujours dans son ouvrage référence : " J'appartiens à la fange et je le sais. Une société comme la nôtre est une société à échelles. Les premiers qui grimpent tendent les mains à ceux des leurs qui sont au bas de la passerelle. Pauvre de moi qui ai seul donné l'illusion de percer dans une famille de trente ou quarante gueux. On ne compte sur personne, là devant, mais tous les autres regardent vers vous avec des yeux morbides, des yeux de suppliciés ".

Au cours de son parcours littéraire, David aura touché à tout, comme il le fit du reste dans le journalisme : romans, théâtre, biographies, essais, récits et même coordination d'ouvrages scientifiques, en réalités reprises opportunistes de tables rondes organisées alors sur des questions sociales brûlantes, sous la supervision de l'institut Panos en France, dont il était le représentant local.
Christian Wanguè, chroniqueur littéraire tout au long des années 90 à la Crtv, se souvient bien de " cet écrivain prolixe et éclectique qui, sur une quinzaine d'années, a publié quantité d'ouvrages remarqués. Butinant sur plusieurs genres à travers lesquels se traduisait une sensibilité sociale marquée. C'est un hommage sincère, qui suffirait à répondre aux critiques de ceux qui n'ont pas trouvé de flamme particulière à son écriture, et qui lui faisaient le reproche d'aborder des questions complexes sous des formes simplistes. Mais son mérite reste grand, dans la mesure où il aurait plus se complaire dans le confort paresseux de nombreux docteurs ou journalistes, dont on attend toujours de lire la première ligne. "

Jugement serein, plus ou moins corroboré par Marcellin Vounda Etoa, enseignant de littérature à l'université de Yaoundé I et promoteur de l'unique journal littéraire, Patrimoine, qui, s'il reconnaît n'avoir pas lu l'ensemble de l'œuvre de David Ndachi Tagne, a quand même été frappé par sa richesse et sa diversité ; En particulier, il a trouvé remarquable la recherche faite par David Ndachi Tagne qui aboutit à son essai, Roman et réalités camerounaises, parce que, dit-il, " il s'est intéressé aux auteurs anglophones et son travail est un socle solide pour l'ensemble de la société camerounaise. "
Il remarquera quand même que " Ndachi le dramaturge n'a pas eu beaucoup de succès, notamment à travers M Handlock et le boulanger politique, qui aurait certainement mérité plus d'attention. Le romancier qu'il fut a eu plus d'échos avec La reine captive, même si, plus tard, avec Les amours fantômes, on a remarqué que la maturité de l'ouvrage n'était pas à la mesure de la maturité de l'homme qu'il était devenu au moment de sa publication, en 2004. Cela dit, insiste Marcellin Vounda, " même si on a trouvé à travers la littérature de David Ndachi Tagne des clichés et des préjugés en rapport avec les questions ethniques au Cameroun, on ne peut pas contester que sa production inspire le respect, et son implication dans la promotion d'autres aventures littéraires, à travers le Crac, force l'admiration ".



Ndachi Tagne, inlassable aventurier de la plume, se sera également intéressé à la biographie, à travers un récit palpitant de la vie de Anne Marie Nzié, avec ses splendides lumières et ses ombres honteuses, récit pour la narration duquel il aura parcouru villes et villages, et rencontré toutes sortes de personnages…
Des sources dans sa famille indiquent avec insistance que David Ndachi Tagne, quelques jours avant sa brusque disparition, avait demandé à reconstituer sa volumineuse bibliographie, comme pour mieux apprécier le travail accompli avant le rappel de l'Eternel. Et partager avec la postérité cette riche et unique expérience. Lui qui, remerciant dans Les amours fantômes quelques amis du sud de la France, reconnaissait qu'il ui avaient " appris comment le monde est un livre immense. S'il nous était seulement donné d'y déchiffrer quelques mots, avant le crépuscule ". En 48 ans d'existence, il a fait bien plus que quelques mots. Il faudra s'en souvenir, bien après son enterrement…

Bibliographie non exhaustive

- Handlock et le boulanger politique (théâtre), 1985
- La reine captive roman), 1986
- Roman et réalités camerounaises (essai), 1986
- Ethnofascistes : la vérité du sursis (récit), 1987
- Anne Marie Nzié : secrets d'or (biographie), 1990
- Textes juridiques sur la communication sociale au Cameroun (complitation), 1997
- Reporting on the Environment (guide pratique), 1997
- Sang mêlé, sans péché (recueil de poèmes), 1998
- Quel apport des médias à la paix et à la démocratie au Cameroun ? (coordination), 1998
- Quelles entraves au leadership féminin au Cameroun ? (coordination), 1999
- Que font et que peuvent les associations des droits de l'homme au Cameroun ? (coordination), 1999
- La torture… dans un Etat de droit? (coordination), 1999
- Les amours fantômes (roman), 2004

Source: Quotidien Mutations


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