A quelques encablures du commissariat du 1er arrondissement de Yaoundé, un malade mental fait sa toilette tous les matins en tenue d’Adam dans l’indifférence générale du voisinage. Du côté du cinéma théâtre Abbia, cette fois, c’est une dame qui brave les intempéries et subit, impuissante, les désirs sexuels des enfants de la rue. Un peu plus loin, au lieu dit carrefour Intendance, une autre malade mentale livre sa nudité aux regards surpris des passants. Toutes ces images de malades ramènent aux souvenirs de certaines populations, l’histoire du célèbre malade mental, Kemayou, qui, il y a quelques années, a violé une dame de la haute société au marché du Mfoundi à Yaoundé avant d’être castré bien contre son gré. C’est la preuve que, le long de leurs trajets, les populations sont exposées aux violences des déficients mentales. La situation ne semble pourtant pas gêner.
En l’absence des statistiques fiables au ministère de la Santé publique, il est difficile d’énumérer le nombre de malades mentaux qui errent dans les rues de la ville de Yaoundé. Aux dires du directeur de l’Hôpital Jamot, Christophe Ayissi, on dénombre une moyenne de 30 patients hospitalisés. Les autres se retrouvent très souvent dans la rue. Une situation d’autant plus préoccupante qu’en 1996, au moment où la capitale s’apprête à recevoir les chefs d’Etats africains pour le sommet de l’Oua, une opération spéciale fut menée pour libérer la ville de ses malades mentaux. Ceux-ci furent alors "parqués" à Bafia par camions entiers, et ne revinrent à Yaoundé que plusieurs semaines après la fin de ce rendez-vous panafricain.
La situation s’aggrave en raison des conditions de vie des malades et la capacité d’accueil réduite de l’Hôpital Jamot, le seul centre public de psychiatrie dont dispose la ville. "Je suis un ancien pensionnaire du village (division de l’hôpital Jamot réservée aux malades). Sans aucune ressource financière pour acheter les médicaments, payer la chambre et s’alimenter, j’ai préféré vivre dans la rue afin d’obtenir quelques pièces pour survivre", explique un malade.
Assistance
Pour le directeur de la prévention et de l’action communautaire au ministère de la Santé publique, Dr Emmanuel Dipoko Dibotto, la prise en charge des malades mentaux n’incombe pas qu’à l’Etat. Elle serait aussi du ressort des membres de leurs familles et de la communauté. Il poursuit : "Les nombreux préjugés qui entourent les maladies mentales, généralement considérées à tort comme irréversibles, sont pour beaucoup dans la stigmatisation des personnes ayant souffert de troubles mentaux à un moment de leur existence. Ce qui constitue très souvent une cause de rechute chez certains". En effet, aucun mécanisme d’encadrement n’est prévu au niveau communautaire. Certaines familles, épuisées et désespérées, ne se donnent plus la peine de s’occuper de leurs malades et finissent par baisser les bras. Toutes choses qui exigent la mise en œuvre d’un sérieux plan stratégique de promotion de la santé mentale au Cameroun.
A ce sujet, en 1993, le ministère de la Santé publique a mis en œuvre un dispositif de réhabilitation et d’assistance aux malades mentaux errants (Dramme) dans la ville de Yaoundé. Il était censé répondre en partie, au souci des pouvoirs publics de prendre en charge une population de Camerounais en situation de souffrance mentale. Seulement, comme l’affirme le Dr. Mbassa Menick dans une de ses publications, ce dispositif a toujours fonctionné dans la précipitation et sur l’émotion à la faveur des fêtes nationales du 20 mai et celle des visites officielles des chefs d’État étrangers. "Ce n’est qu’à ces occasions que les forces de l’ordre, sur instructions des ministères de l’Administration territoriale et de la Santé publique, viennent ramasser dans les rues de la ville de nombreux contingents de malades mentaux errants, pour venir les déposer au service de psychiatrie de l’hôpital Jamot de Yaoundé", mentionne le médecin.
Source: Quotidien Mutations
|