Il n’y a pire action cynique lorsque l’on sait que la plupart des bénéficiaires sont déjà décédés et surtout que la loi ne sera pas rétroactive.
L’information est officielle depuis mercredi dernier. Elle coïncide avec la sortie du film intitulé ”Indigènes”, qui montre comment les anciens combattants des ex-colonies françaises, notamment ceux du Maghreb et de l’Afrique noire, ont versé leur sang pour libérer la France. Un film qui a ému et relancé le débat sur la colonisation, l’esclavage et le sort des combattants coloniaux.
Le président Jacques Chirac a affirmé qu’ ”il n’est pas inexact de dire qu’ayant eu le privilège de voir avant sa sortie le film ”indigènes”, j’ai été particulièrement touché, parce qu’il exprimait et la façon dont il l’exprimait. “ Cela m’a conduit à accélérer et à annoncer un certain nombre de mesures légitimes, qui étaient souhaitées par beaucoup et notamment dans la communauté militaire et qui étaient à juste titre revendiquées par les anciens militaires qui avaient combattu à nos côtés pour le drapeau français”, a précisé le chef de l’Etat français, lors d’une conférence de presse. Pourquoi s’être souvenu seulement maintenant de l’injustice dont ont été victimes plusieurs centaines de milliers d’anciens combattants du Maghreb, d’Afrique noire, de Madagascar et d’Indochine ?
Le président Jacques Chirac dit qu’il avait demandé à l’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ”de rompre avec quarante ans de tradition, pour faire un premier pas substantiel dans la revalorisation des pensions de l’ensemble des militaires qui avaient combattu et étaient membres de l’ancien empire français”.
Avant d’ajouter pour conclure qu’il s’agit, en sa qualité de président de la République d’”un acte de justice, de solidarité et de reconnaissance pour tous ceux qui ont servi la France, qui se sont battus pour elle (…) Il s’agit de réintégrer cette mémoire dans notre mémoire nationale”.
Une tradition d’injustice et d’ingratitude
Alors que près 300 000 Africains ont participé à la résistance et à la libération de la France pendant la seconde Guerre mondiale, à peine le tiers est jusqu’ici reconnu par le ministère français des Anciens combattants. La preuve ? Le gouvernement français annonce que quelques 84 000 anciens combattants coloniaux sont concernés par cette mesure de revalorisation des pensions.
A partir du 1er janvier 2007, les anciens combattant des anciennes colonies devront percevoir les mêmes pensions que leurs anciens frères d’armes de nationalité française. Ces anciens combattants étrangers sont originaires de 23 pays. Pour l’essentiel de l’Afrique et du Maghreb.
Selon le groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), l’écart entre les pensions des anciens militaires français et celles des anciens combattants coloniaux est très perceptible. Quand un ancien combattant Français invalide à 100 % touche 690 euros par mois, un Sénégalais reçoit 230 euros par mois, un Camerounais 104 euros, un Marocain ou un Tunisien 61 euros.
Dans le même sillage, une retraite d’ancien combattant s’élève à 430 euros par an pour un Français, contre le montant ridicule de 16 euros pour un Cambodgien. Une situation injuste et contraire à la convention européenne des droits de l’Homme.
Face à une pression, de plus en plus forte, de certains anciens tirailleurs sénégalais et d’autres anciens combattants originaires du Maghreb, la France allait opter pour la ”décristallisation” partielle des pensions. C’est-à-dire, qu’elle allait, non pas appliquer l’égalité de pensions avec, les soldats français, mais une sorte ”d’équilibre” ; avec un paiement calculé en fonction du niveau de vie de chaque pays dont est originaire l’ancien combattant colonial. Cette solution préconisée en 2002 était toujours contestée pour un son caractère discriminatoire.
On en était à ce niveau de discussion lorsque le 27 septembre dernier, au terme d’un conseil des ministres, le ministre français délégué aux anciens Combattants, Hamlaoui Mékachéra, a fait cette fameuse déclaration : ”Il n’y aura plus de différence dans ces deux prestations que sont les retraites du combattant et la pension d’invalidité entre les combattant de ces pays (des ex-colonies françaises) et les nationaux français.
Ils percevront exactement en euros ce que perçoivent les nationaux français”. Répondant à une question sur l’éventualité d’un rattrapage dans le versement des pensions gelées depuis 1959, le ministre français délégué aux Anciens Combattants a affirmé que ”ce n’est pas d’actualité pour l’instant”. un vrai paradoxe !
Ce qui est incompréhensible est que, justement, la décision de revaloriser les pensions des anciens combattants coloniaux ne soit pas rétroactive. On ne peut pas claironner ”un acte de justice” tant qu’il n’y a pas d’effet rétroactif. L’intérêt même d’une juste revalorisation desdites pensions aurait commandé de faire entrer en vigueur la mesure, non pas à la date annoncée du 1er janvier 2007, mais à une date naturellement antérieure à sa publication. En particulier, à partir de l’année où la discrimination a commencé dans la répartition des pensions.
En prenant comme repère 1945, date de la fin de la deuxième guerre mondiale, il y aurait 61 ans de pensions à rattraper ou à équilibrer. Si l’on se situe au niveau de la loi française de 1959 à travers laquelle le général de Gaule avait gelé les pensions d’invalidité et de retraite de ces anciens combattants (d’où leur réduction à des montants symboliques jusqu’à dix fois inférieures aux sommes perçues par les nationaux français), il faudra corriger 47 ans de manquement à la dette d’honneur et à la dette de sang.
Dans tous les cas, la France, connue comme le pays des libertés et des droits de l’Homme, devrait avoir honte d’avoir manqué à ces obligations pendant plus d’un demi-siècle !
Source: La Nouvelle Expression
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