Entretien avec Etienne de Tayo, auteur d’un ouvrage intitulé "Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever" publié en juillet 2006 aux éditions Afrique Intègre.
Par Yves Djambong
Journaliste camerounais basé en France, Etienne de Tayo est aussi le président du Réseau des journalistes pour l’Intégration en Afrique “ Afrique Intègre ”, un réseau qui ambitionne de “ promouvoir le journalisme d’intégrité qui participe à la désintoxication et à la dépollution des masses africaines en vue de leur restituer leur dignité et leur fierté ”. Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever publié en juillet 2006 aux éditions Afrique Intègre. Il a accepté d’en partager le contenu avec les lecteurs de Le Messager.
Peut-on savoir qu’est-ce qui vous a poussé à la rédaction du livre intitulé Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever ?
D’abord je dois préciser que ce livre est un coup de gueule. Ce n’est pas à cause de l’immensité de la richesse des riches que je suis sorti de mes gongs pour produire un tel ouvrage. En principe, la richesse des riches, quel qu’en soit sa largeur ne devrait gêner personne, sauf les jaloux. Mais dès lors que la richesse du riche résulte de l’exploitation des pauvres ou encore que le riche profite de sa position pour se moquer des pauvres en leur faisant des promesses fantaisistes, il y a problème. C’est donc pour l’Afrique et sa dignité en pensant bien sûr à ma dignité propre que j’ai rédigé un tel ouvrage. Ai-je vraiment réglé un problème ou en ai-je créé ? C’est à l’histoire et à la critique de nous dire.
Qu’est-ce que vous reprochez concrètement au Népad ?
Je reproche au Népad le fait d’être l’un de ces projets budgétivores qui ont souvent rythmé le parcours de l’Afrique. D’ailleurs, le président Wade, l’un des concepteurs du Népad partage les mêmes craintes lorsqu’il reconnaît que le projet n’est pas conduit comme il se doit. Il s’étonne du fait qu’à ce jour, et cinq ans après son lancement, aucun kilomètre de route n’ait été construit alors que d’énormes sommes sont dépensées pour l’organisation des séminaires et autres colloques sur le développement de l’Afrique. En fait, le Népad a hérité dès sa naissance des travers bureaucratiques des principales institutions internationales. Ces institutions ont inventé un dernier secteur de l’économie qui s’occupe de l’industrie de la pauvreté par l’organisation des séminaires, conférences, colloques. Ainsi, dans cette nouvelle économie, peut-on avoir des processus aussi loufoques que ceci : organisation d’une conférence sur la corruption dans le monde ; organisation d’un colloque sur la corruption en Afrique ; organisation d’un séminaire de restitution des actes du colloque ; organisation d’un séminaire de renforcement des capacités des agents de lutte contre la corruption. On peut aligner comme des fora inutiles tout au long de l’année. Il suffit de fréquenter les grands hôtels des grandes capitales africaines pour mesurer la vitalité de cette nouvelle économie qui engraisse quelques hauts fonctionnaires internationaux et locaux pour un résultat bien sûr nul pour le développement de l’Afrique.
Je reproche au Népad son alignement aveugle à l’économie de marché tel que préconisé par le fameux consensus de Washington. Alors même que dans cette nouvelle organisation du monde, les dés sont pipés pour l’Afrique. Je pense à certaines règles de l’Omc, aux subventions que les pays du Nord continuent d’accorder à leurs agriculteurs réduisant ainsi à néant les prix des matières premières en provenance d’Afrique. Je pense à l’hypocrisie qui consiste à dénoncer la corruption des corrompus en maintenant les yeux bien fermés sur celle des corrupteurs. Je reproche au Népad et à ses promoteurs, l’amateurisme de la conception et de la mise en œuvre. La Chine est en train de s’emparer des rênes du pouvoir économique dans le monde. Malgré la vigilance des maîtres actuels du monde, personne n’avait vu la Chine venir justement parce qu’elle cachait son jeu. Lorsqu’il s’agit de l’Afrique, tout se déballe au marché.
Dans votre livre, vous parlez de la “ roublardise des dirigeants du G8 dans leurs relations avec les pays pauvres ”. A quoi faites-vous concrètement référence ?
La roublardise c’est le fait de promettre en sachant dès l’instant où la promesse est faite, qu’on ne la tiendra pas. C’est un art dans lequel excellent les hommes politiques. Pour débusquer la roublardise, il suffit juste de prendre date de la promesse et attendre la réalisation. Aujourd’hui, il est de notoriété publique et les médias même acquis à la cause du G8, reconnaissent que les promesses en direction de l’Afrique sont rarement tenues. Et lorsqu’elles sont tenues, elles sont largement en deçà des promesses. Et pour ne rien laisser filtrer sur sa roublardise, le G8, qui se complait dans un statut d’organisation informelle, fait le black-out total sur l’état des réalisations. Aucun site Internet apparenté au G8 n’en fait cas. Même les sites apparentés au Népad n’en savent rien. Pour s’en convaincre, il faut aller dans le site dénommé www.népad.tv et cliquer sur le lien “ projets pour l’Afrique et réalisations ”, la réponse est sans appel : “ cette rubrique en cours de réalisation, sera bientôt disponible ”. Tout simplement édifiant.
Lorsque au sommet de Lyon en 1996, le G8 inspire la fameuse initiative pays pauvres très endettés, il est question de régler définitivement le problème de la dette de 42 pays en développement. Et les manchettes des journaux en disaient long à l’époque. Or selon l’Ong Cadtm, la dette de ces pays est passée de 218 à 205 milliards de dollars soit une baisse de 6 % seulement entre 1996 et 2003. Selon le dernier rapport de la Cnuced, la dette des pays d’Afrique subsaharienne s’élève à 275 milliards de dollars. Ce qui veut dire qu’au lieu de décroître comme l’a dit la promesse, cette dette s’est plutôt accrue.
Au sommet de Gleneagles tenu en 2005, le G8 a promis l’annulation de la dette de ces mêmes pays dans des proportions oscillant entre 50 et 100 milliards de dollars d’ici 2010. C’est presque un an après et alors que les dirigeants du G8 préparaient le sommet de Saint Petersbourg que la Banque mondiale annonce pour le 1er juillet, l’annulation de la dette de 17 pays dont 13 africains. On avance alors le chiffre de 37 milliards de dollars repartis sur 40 ans. Faut-il rappeler que la période de 40 ans n’avait nullement été évoquée lors de la promesse. Ces exemples de décalage entre les promesses et les réalisations peuvent être multipliés à l’infini, du moins pour ce qui est de l’Afrique dans ses relations avec le G8. Si ce n’est pas de la roublardise, qu’on me dise ce que c’est.
Le G8 vient pourtant d’annuler la dette d’une vingtaine de pays d’Afrique parmi lesquels le Cameroun qui vient d’accéder au point d’achèvement de l’initiative Ppte…
C’est 13 pays africains qui sont bénéficiaires potentiels de l’annulation de la dette. Ils sont des bénéficiaires potentiels parce que les conditionnalités ne sont jamais déclinées au moment de l’annonce de la promesse. Et voilà encore une autre escroquerie méprisable. 13 pays sont annoncés mais au bout du compte, c’est parfois 5 seulement qui peuvent bénéficier du mécanisme mais cette autre information, personne ne la divulgue jamais. S’agissant de l’initiative Ppte et ses “ point d’achèvement ”, tout Africain qui se respecte devrait se sentir blessé dans ce qu’il a de plus cher : sa dignité. Car comme le disait un expert de Cadtm, la dette est un précieux instrument de domination que le G8, à travers les institutions de Brettons Wood, manie avec dextérité. Nous ne voulons pas de cette annulation de dette-cadeau qui avilie. Nous proposons une table ronde sur la dette de l’Afrique, laquelle répondra aux questions suivantes : Qui a emprunté ? Un gouvernement légitime ou illégitime ? Dans quel contexte ? A quoi a servi l’argent emprunté ? Comment s’est passé la gestion et qui faisait quoi ?
Voilà des questions dont les réponses permettront de débusquer la dimension immorale de la dette et retourner certainement vers les créanciers l’opprobre qu’ils tentent de faire porter constamment au continent africain. Les pays africains ne doivent plus accepter de passer secrètement à la moulinette des “ club de Paris et de Londres ”. Tout devrait se faire désormais dans la transparence.
N’est-ce pas réducteur de limiter le Népad à un “ marché de dupes passé entre les chefs d’états africains promoteurs du Népad et les dirigeants du G8. Dans ce marché-là, il y a un groupe qui ment impunément et est en train de tromper l’autre ? ”
Vous savez que les chances de réussite d’un projet dépendent de la concordance d’idées entre les partenaires à la mise en œuvre de ce projet. Or, pour ce qui est du Népad, nous avons vu que dès le départ, les deux partenaires que sont les dirigeants du G8 et les chefs d’états africains promoteurs du Népad ne sont nullement sur la même longueur d’onde. D’abord sur l’objet : pour les dirigeants du G8, le Népad est un acte de soumission et une acceptation par les pays africains de la domination du modèle occidental, une adhésion sans réserve au consensus de Washington. Les dirigeants africains pour leur part, parlent d’un nouveau partenariat qui opérera un passage de la coopération-soumission au partenariat égalité. Ce qui évidemment n’effleure même pas l’esprit de leurs partenaires du G8.
Sur l’objectif même, au vu de la qualité de leur projet, les promoteurs du Népad veulent la prospérité pour le continent africain. De leur coté, les dirigeants du G8 n’ont aucun intérêt à guérir un malade qui leur permet de faire du clientélisme à l’échelle planétaire et à se donner de temps en temps bonne conscience. Ils souhaitent juste le maintenir en vie d’où la concentration des actions dans la lutte contre la pauvreté. Dès lors que toutes ces données sont faussées au départ, le Népad est comme plombé et il n’est donc pas réducteur de le limiter à un marché de dupes. Vous savez que dans le fonctionnement des relations internationales, la naïveté ne pardonne pas. Mieux vaut être ignorant que d’être naïf car la naïveté est la mauvaise utilisation de l’intelligence. Et lorsque par la suite on se rend compte de la bourde, on sombre dans la dépression.
N’est-ce pas une bonne idée des “ chefs d’états africains promoteurs du Népad qui parlent du passage de la coopération-soumission au partenariat égalité ?
C’est effectivement une bonne idée. Mais le problème c’est que cela reste un vœu pieux. Et il faut tout de suite comprendre que ce passage ne s’offrira jamais sur un plateau d’argent, il s’arrache. Il est important de revenir sur le cas de la Chine qui est en train d’opérer ce passage en acquérant des positions de négociation fortes. Lorsqu’on parle de textile par exemple, les occidentaux sont obligés de plier l’échine devant l’empire du milieu. Or les Africains pensent au père noël des relations internationales qui viendra leur offrir le fameux partenariat égalité.
Donc le problème n’est pas au niveau idéel mais dans le concret. Les concepts ne sont en fait que des contenants dans lesquels on peut tout mettre. Ainsi, les concepts comme esclavage, colonisation, coopération, partenariat et même égalité peuvent désigner une même réalité. L’objectif de celui qui les met ces concepts en avant et une prétendue évolution dans la conduite des choses n’étant qu’une façon bien subtile de duper son vis-à-vis.
Quelle alternative proposeriez-vous par exemple au Népad que vous critiquez de façon aussi radicale ?
Comprenez déjà que je ne prends aucun plaisir à critiquer le Népad. Je n’ai pas l’habitude de me livrer à ce jeu d’autoflagellation là. J’attire juste l’attention sur les insuffisances de ce projet et surtout sur ce ver qui s’est subrepticement glissé dans le fruit.
Dans l’ouvrage justement, j’ouvre les pistes pour une alternative africaine au décollage économique du continent. En d’autres termes, on parlerait de la renaissance africaine. Ces pistes, sans être exhaustives sont :
- La transformation de l’homme à travers la promotion de l’éthique ;
- La coopération des peuples
- La rentabilisation des transferts des migrants ;
- La promotion de la micro-crédit et micro-assurance ;
- La reforme agraire…
C’est uniquement lorsque au bout de ces transformations, l’Afrique aura acquis des positions de négociation fortes que l’on saurait avec exactitude si l’on peut parler de partenariat ou pas. Le faire en comptant sur la pitié des autres est tout simplement ridicule.
Pouvez-vous nous présenter le Réseau des journalistes pour l’Intégration en Afrique “ Afrique Intègre ” dont vous le promoteur ?
A travers cet échange, j’ai perçu l’influence du moule occidental dans lequel beaucoup d’Africains ont été forgés. Au sortir de ce moule, on croit à un certain nombre de préjugés comme celui qui voudrait que l’histoire de l’Afrique et des Africains commence avec l’esclavage et la colonisation, comme celle qui voudrait que l’Africain n’ait jamais rien inventé et bien d’autres. Ces préjugés habitent les journalistes à plus forte raison le commun des mortels. Ces préjugés qui, au travers des médias dominants, se déclinent généralement en grossiers clichés ont fini par figer l’Africain dans une image hideuse qu’il ne supporte plus mais qu’il ne sait toujours pas comment faire pour s’en débarrasser. C’est justement dans ce contexte que doit intervenir le journalisme d’intégrité ou intègre qui participe à la désintoxication et à la dépollution des masses africaines en vue de leur restituer leur dignité et leur fierté. C’est pourquoi nous parlerons aussi de journalisme de libération comme d’aucuns ont parlé de la théologie de libération.
Faire du journalisme en Afrique, pour l’Afrique ou sur l’Afrique à notre sens, ce n’est point être des relais serviles de la désinformation des médias puissants, ou encore d’adopter des postures éternellement défensives, mais créer une voie africaine qui passe par la prise de conscience et une information sereine. Sur la place de Paris où nous nous trouvons, nous avons découvert une mine d’or en terme de production intellectuelle sur l’Afrique. Mais nous avons aussi constaté que ce savoir resté enfermé dans le cercle de l’intelligentsia très fermée. Il ne sera efficace et ne parviendra à la libération de l’Afrique et des Africain que s’il est mis à la disposition des masses populaires aussi bien dans la diaspora que sur le continent.
Nous nous sommes donc posé la question de savoir comment le journalisme pouvait apporter sa contribution à ce vaste programme de transformation de l’homme par la diffusion du savoir. Nous avons pensé que le journaliste africain peut jouer un rôle très important dans la libération du peuple africain. D’où l’idée de lancer le réseau. Peut donc y adhérer, tout journaliste qui partage l’idéal que je viens de développer.
Fiche détaillée de l’ouvrage :
- Titre : Pour la dignité de l’Afrique, laissez-nous crever
- Auteur : Etienne de Tayo
- Pagination : 287 pages
- Date de parution : 07/2006
- Collection : Afrique Intègre
- Contact : tayoe2004@yahoo.fr