Lorsque vous vous asseyez devant votre téléviseur le soir, et que vous regardez le journal de la Crtv, sensé rendre compte de la vie de la nation, le premier constat qui s’offre à vous, c’est que le pays tout entier semble ne vivre que de l’activité institutionnelle : les ministres prononcent des discours d’ouverture de séminaires et colloques, les Directeurs généraux inaugurent de nouvelles choses, on annonce nombre de travaux qui sont faits ou qui seront faits pour le bien- être de la communauté nationale…
Vous vous croyez, en somme, dans un pays où quelque chose est fait, où ça bouge… Vous serez tout aussi surpris par l’étrange modernité des gadgets dont une minorité s’entoure pour son petit confort personnel, en rupture totale avec l’archaïsme de ce qu’il peut y avoir alentour. Alfred Sauvy, le géographe Français de qui nous tenons l’inégalée expression " Tiers-monde ", nous dira-t-on, indiquait déjà ces décalages-là dans la description des pays de cette catégorie-là, dont nous nous revendiquons avec une malsaine fierté…
Comment expliquer qu’en 2006, dans notre pays, on en soit à manquer des outils aussi basiques que des transfuseurs de sang ? (voir Mutations n° 1689 du 05 Juillet). Le transfuseur est un tout petit instrument, élémentaire accessoire, mais qui est rare, en tous cas difficile à trouver dans les plus grandes formations hospitalières de notre capitale, et dans les principales pharmacies de la ville. Quelle que soit l’explication que les structures responsables de cette pénurie donnent, il y a là, la révélation d’un problème grave : les failles béantes qui existent dans le système de santé de notre pays. Nous n’accuserons pas facilement les responsables en charge de la santé au Cameroun, d’avoir mis l’essentiel de leurs efforts sur le sida…
Le sida est une question grave, qu’il fallait attaquer avec volontarisme et méthode. On ne peut le cacher, des résultats positifs existent, dans ce domaine, ne serait-ce que cette disponibilité des traitements. Mais à quoi cela sert de se préserver du Sida si le lendemain on doit crever des suites d’un manque de matériel médical élémentaire ? Telle est la question existentielle que nous sommes nombreux à nous poser, lorsqu’on voit ce qui se passe autour de nous. Il y a quelques semaines encore, on a parlé d’une autre pénurie du même genre, celle de l’insuline, le médicament sans lequel certains diabétiques ne peuvent vivre...
Nous sommes dépourvus de l’expertise qu’il faut pour évaluer les manques de notre système de santé. Mais ces failles font partie d’un ensemble de devoirs essentiels de l’Etat dont nous dépendons, à qui nous payons force impôts, et dont il ne s’acquitte point. On n’ira point jusqu’à réclamer la Sécu, façon pays riches, mais on est en droit, on a le devoir d’exiger de ceux qui nous gouvernent, un certain minimum. L’éducation fait partie de ces devoirs dont l’Etat (ou ceux qui le gèrent momentanément) cachent les grandes failles derrière l’emphase, les grandes résolutions, le fard à tout crin et la pompe. On peut par exemple tenir à grands frais un séminaire sur le redoublement dans le cycle primaire, alors qu’il existe des écoles à cycle complet sans le moindre maître.
Dans l’éducation comme dans la santé et même la sécurité, ceux qui organisent les choses se disent qu’en se taillant un espace à eux, exempt de toutes les turpitudes des autres, ils tirent leur épingle du jeu… Les études à l’étranger, les évacuations sanitaires et autres privilèges que l’on peut s’accorder sur le bout du nombril ne sont pas des solutions. Nous n’irons pas invoquer ici, de grands mots, comme le nationalisme ou le patriotisme. Nous pensons tout simplement que le simple instinct de survie recommande à ceux qui ont une décision à prendre, que l’intérêt général, c’est sans aucun doute la seule garantie qui vaille pour la survie des intérêts particuliers. Autrement dit, il est mieux de veiller à ce qu’il y ait des transfuseurs dans les hôpitaux et pharmacies, parce que cet instrument basique peut vous sauver la vie, en attendant l’avion médical qui viendra vous chercher pour votre clinique genevoise.
Source : Quotidien Mutations
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