Que peut changer dans l’univers de la justice au Cameroun, l’institution de tribunaux administratifs dans chacune des futures régions ?
Il faut d’abord louer cette initiative du gouvernement. Il faut bien se rappeler que jusqu’ici, la juridiction administrative était concentrée à la Cour suprême. Et lorsque l’on sait qu’elle a vocation à gérer tous les conflits qui opposent les justiciables à l’administration sur toute l’étendue du territoire, vous comprenez que si on peut avoir des tribunaux administratifs ne serait ce qu’à l’échelle des provinces, c’est déjà une avancée.
Cela va bouleverser l’ordonnancement judiciaire en vigueur, parce que jusqu’alors on avait les juridictions de l’ordre judiciaire des tribunaux d’instance à la Cour suprême et on avait la juridiction administrative dont le premier degré était la chambre administrative statuant en première instance. S’il y a de nouvelles juridictions d’instance, cela suppose que les justiciables qui ont quelque grief à porter contre les agissements de l’administration, il aura cette possibilité de se plaindre dans sa zone de résidence. Personnellement, je ne peux que l’apprécier et ce n’est pas M. tout le monde, qui aura une position contraire.
Mais qu’est-ce qui empêchait le justiciable ordinaire de se faire rendre justice dans l’ancien système ?
La distance entre le juge et le justiciable était évidente alors. Pour pouvoir comprendre le problème qui s’est posé jusqu’ici à la justice administrative, il faut rappeler que la saisine des juridictions administratives était conditionnée par un préalable différent de la saisine des tribunaux de l’ordre judiciaire. Devant le juge administratif on se plaint toujours sur la base d’un acte administratif, c’est-à-dire un acte de l’administration faisant grief. Après, la première démarche consiste pour le justiciable à saisir l’autorité hiérarchique à celle qui a pris la décision ou l’autorité qui a décidé elle-même, c’est le recours gracieux préalable, premier maillon de la justice administrative. L’autorité administrative dispose d’un délai de 60 jours pour répondre à cette requête et la loi donne au justiciable un autre délai de trois mois pour saisir la juridiction administrative, s’il n’a pas eu gain de cause.
Dans ce schéma là le justiciable était-il pour autant entravé ?
Les gens ne se sont jamais conformés sans grande difficulté. Dites-vous bien que la Chambre administrative est logée à la Cour suprême. Jusqu’ici, sous réserve de l’application de certains textes de loi comme le nouveau Code de procédure pénale, la Cour suprême juge seulement du droit et non des faits. Elle se borne à vérifier l’application stricte du droit par rapport aux faits qui ont été portés à la connaissance de la juridiction. Collant la question à ce mode de fonctionnement de la Cour suprême qui est essentiellement formaliste, le justiciable qui ne s’entoure pas de conseils bute sur cette difficulté.
N’est-ce pas la même règle qui s’applique dans l’ordre judiciaire ?
C’est exactement la même règle. Avec cette différence que les juridictions de l’ordre judiciaire sont éparpillées sur le territoire et plus proches du justiciable. Avec des conséquences simples : quand vous cherchez à réclamer vos droits, si vous êtes hors délai, la Chambre administrative n’examine plus le fond de votre demande et beaucoup de droits ont ainsi été perdus. La nouvelle loi aura donc au moins l’avantage de rapprocher les acteurs des justiciables et éviteront les manquements connus.
Pensez-vous que l’on ait besoin de mesures spéciales pour préparer le personnel judiciaire à animer cette nouvelle juridiction ?
Il s’agit d’une question purement subjective. Je voudrais simplement dire que la formation du juriste praticien : magistrat, avocat, etc, est essentiellement privatiste c’est-à-dire sorti des moules du droit privé. Pour le bonheur de cette branche du droit qu’est le droit administratif il serait préférable que l’on renforce la formation des juges assignés à cette tâche ou alors que l’on cherche parmi les professeurs d’université ceux qui peuvent l’assumer. Parce que l’on a vu dans deux décisions contradictoires rendues par la même chambre dans une composition quasi-identique, sur la même configuration juridique. Comme si les juges voulaient se rattraper. Ce genre de tâtonnement peut être éviter si les personnes chargées de juger maîtrisaient avec exactitude leur sujet.
Source: Quotidien Mutations
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