Après plusieurs rencontres nourries par des discussions utiles, nous avons jugé important de lui donner la parole, afin qu’il partage ses points de vue sur la marche du pays avec nos lecteurs. “ Envoyez-moi le questionnaire, je vous répondrai ”, nous rassure-t-il, observant qu’aucun journal ne lui avait fait une telle demande auparavant. Dans Le Messager et nulle part ailleurs jusqu’à présent, le diplomate allemand se prononce notamment sur l’affaire Bakassi, la corruption, le point d’achèvement de l’initiative Ppte, la violation des droits de l’homme, la Coupe du monde de football 2006, etc.
Vous avez débarqué à Yaoundé le 10 juillet 2004, en provenance du Bénin. Quelle idée aviez-vous de notre pays et, surtout, pourquoi avoir choisi d’y travailler comme représentant du chancelier et du président allemand à l’étranger ?
Le président de la République et le gouvernement fédéral choisissent ensemble l’ambassadeur qui les représentera au Cameroun. C’est avec plaisir que je suis venu au Cameroun car il n’existe pratiquement pas de problèmes bilatéraux entre nos deux pays. Dans le cadre des Nations unies, nous travaillons étroitement sur les questions internationales telles que le maintien de la paix, la démocratie et le respect des droits de l'homme. C’est dans cette perspective que, par exemple, nous avons salué la décision que la Cour internationale de justice de La Haye a prise en faveur du Cameroun dans le conflit Bakassi avec le Nigeria. Nous regrettons cependant que les progrès dans le processus de démarcation soient si lents. Je tiens à rappeler que l’Allemagne préconise formellement le règlement des différends entre les Etats par le biais d’une juridiction internationale.
Que pensez-vous finalement du Cameroun que vous avez vécu jusqu’ici, comparée par exemple à ce qui se passe au Bénin ?
Il est difficile de comparer le Cameroun et le Bénin. Cependant une chose m’a frappé ici comme au Bénin : pour ceux qui ont l’esprit d’entreprise, il est plus intéressant, dans les deux pays, d’avoir accès au budget de l’Etat et aux bailleurs de fonds par le biais d’une carrière politique, plutôt que de s’exposer dans le secteur privé aux risques des marchés. C’est ce qui freine le développement, et même lui fait obstacle.
Je suis aussi impressionné par le phénomène des moto-taxis que l’on retrouve dans beaucoup de pays d’Afrique et d’Asie, et qui est une conséquence de la baisse des revenus des populations.
Comment peut-on, selon vous, renverser cette tendance de façon à améliorer le niveau de vie des populations ?
Il est indéniable que le chef de l’Etat et le gouvernement Inoni ont entrepris depuis décembre 2004 des efforts considérables pour rehausser la crédibilité des administrations. Nous observons que les efforts entrepris pour une meilleure gouvernance se poursuivent. A moyen terme, la situation de la population devrait s’améliorer. En tout cas, nous devons savoir apprécier ces efforts à leur juste valeur et avoir foi en la réalisation des réformes.
Dans le cadre du Nepad [Ndlr : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique], nous redonnons conscience de leur propre valeur aux Africains en même temps que des fautes commises dans le passé. L’exemple du Botswana illustre bien comment un Etat africain peut se développer en grande partie par ses propres moyens. Le Botswana est un pays qui sait mieux qu’aucun autre tirer raisonnablement profit des richesses de son sous-sol. Un fonds de l’avenir assure la continuité de cette prospérité aux générations futures. La scolarité et les médicaments y sont aujourd’hui gratuits pour tous.
Avec l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte, les Camerounais nourrissent aussi l’espoir de voir leur vie changer positivement. Qu’en pensez-vous ?
En ce qui concerne l’atteinte du point d’achèvement, l’approbation du gouvernement allemand représente en elle-même une preuve de confiance envers le Cameroun. Nous avons approuvé la remise de la dette extérieure, parce que nous croyons aux promesses du gouvernement, en particulier à celles du Premier ministre, qui nous assure de son ferme désir de poursuivre les réformes. Les fonds Ppte sont exclusivement destinés à la lutte contre la pauvreté. Nous souhaitons que les pauvres et les démunis en profitent vraiment.
Les engagements du gouvernement allemand à l’égard du Cameroun pour 2004/2005 étaient de 29 millions d’euros. Etes-vous satisfait de la façon dont ils ont été gérés ?
Le Cameroun est un des points essentiels de notre partenariat en Afrique. J’ai l’impression que nous fournissons un travail très efficace dans les trois domaines de notre intervention – la santé, la protection des ressources et la décentralisation. Ce qui est tout de même plus important que notre aide, c’est la volonté des Camerounais et de leur gouvernement à prendre eux-mêmes en main une part active au développement de leur pays. Ce n’est pas le potentiel qui manque.
Vous le dites si bien, ce n’est pas le potentiel qui manque. Comment comprendre la pauvreté ambiante dans un pays comme le Cameroun qui est connu comme une mine de ressources naturelles ?
L’Economiste et socialiste péruvien Hernando de Soto a écrit que la bureaucratie souvent absurde dans beaucoup de pays en développement est un frein majeur à leur développement. Seule une petite couche de la société, étroitement unie et prospère, y échappe grâce aux pots-de-vin, aux relations et aux avocats et parvient ainsi à ses fins. Les pauvres, eux, sont obligés de contrevenir aux lois et de recourir aux expédients. Mais, de Soto ajoute plus loin que les pays en développement seraient en mesure de se sortir de cette pauvreté par leurs propres moyens. Pour cela, ils n’auraient plus besoin qu’on leur fasse cadeau de milliards ou qu’on annule leurs dettes, mais plutôt de privatisation, de constitutionnalité et d’économie de marché. Par ailleurs, je vous recommande vivement le livre “ Pour sauver l’Afrique ” de votre compatriote Abanda Adjem [Ndlr : Cet auteur, chercheur en logique et philosophie des Sciences, est professeur à l’université de Munich].
Nous sommes curieux de savoir si les investisseurs allemands s’intéressent au Cameroun. Pensent-ils que l’environnement est propice aux affaires ?
Répondre à cette question m’afflige particulièrement. C’est un fait qu’il n’y a pas eu d’investissements allemands privés d’une certaine importance depuis de nombreuses années, exception faite de Siac-Isenbeck à Douala. Mais si vous avez suivi en détail le cas de la Siac, vous saurez pourquoi les investisseurs allemands font preuve de réserve. D’ailleurs, la Siac est loin d’être un cas isolé, voyez également l’interview que l’ambassadeur des Pays-Bas a donnée au Messager le 5 juin dernier à propos de l’affaire Vlisco : cette affaire est des plus édifiantes et ne nécessite aucun commentaire supplémentaire [Ndlr : Le diplomate hollandais a soutenu que la boutique Woodin de la firme du pagne de luxe Vlisco a fermé ses portes à Douala en raison des pressions fiscales dues, entre autres, “ au refus d’accéder à l’appel à la corruption ”].
Si nous vous comprenons bien, les Allemands n’échappent pas aux tracasseries administratives et à la corruption d’Etat au Cameroun…
Malheureusement oui.
Que faire pour mettre fin à cet état de choses ?
Les recettes pour remédier à la situation sont bien connues : Il faut une administration publique transparente, un système judiciaire qui fonctionne selon les règles et une police qui est au service du public. Par ailleurs, l’expérience dans d’autres pays a montré qu’une loi sur la déclaration des biens – pour autant qu’elle soit respectée – donne absolument des résultats positifs dans le domaine de la lutte contre la corruption.
Nous profitons de la situation que vous déplorez pour évoquer les problèmes liés aux droits de l’homme. Que répondez-vous à ceux qui pensent que l’Allemagne est devenue moins sévère, voire complaisante, alors que presque rien n’a changé ?
La situation des droits de l'homme au Cameroun continue à préoccuper le gouvernement allemand. L’un des plus grands problèmes, c'est une police et un système judiciaire souvent corrompus. N’importe quel citoyen camerounais peut devenir la victime d'une force publique arbitraire, parfois même brutale. Vous vous souvenez des deux étudiants qui ont trouvé la mort pendant les manifestations à Buea. Les prisons, en état déplorable, sont surpeuplées de personnes qui attendent pendant des années d’être jugées. Parfois, elles ne savent même pas bien de quoi elles sont accusées. Il existe des autorités traditionnelles qui abusent de leur pouvoir et qui agissent en dehors du cadre législatif de l'Etat.
En revanche, au Cameroun on ne peut plus parler d'une persécution systématique des opposants politiques. Il faut considérer comme un signe d’encouragement que dans l'affaire John Kohtem, le responsable de la mort d'un politicien de l'opposition ait reçu une lourde peine. La loi sur la procédure pénale a le potentiel de révolutionner le système judiciaire au Cameroun. Bref, dans le domaine des droits de l'homme, il y a aussi des progrès.
Une composante intégrale du dialogue politique entre le Cameroun et l'Union européenne, c'est toujours les droits de l'homme. C'est un principe accepté par les deux côtés et je trouve que ce dialogue fonctionne assez bien. Je suis convaincu que la voix unique de l'Europe dans la domaine des droits de l'homme sera plus efficace que des efforts individuels.
Qu’en est-il des questions électorales ?
La seule condition préalable pour une transparence dans ce domaine est une commission électorale véritablement indépendante.
Quelle image avez-vous des médias et des journalistes camerounais en général ?
Le paysage médiatique camerounais est étonnamment diversifié. Le nombre à peine calculable de journaux qui paraissent plus ou moins régulièrement ainsi que le grand nombre des émetteurs de radio montre clairement que les Camerounais prêtent grand intérêt à leurs médias. Malheureusement, la qualité du travail journalistique est également très différenciée. Cela peut sûrement tenir d’une part au fait que les journalistes, qui rédigent leurs articles sur commande, sont souvent mal rétribués, mais aussi, d’autre part, au manque de possibilités de perfectionnement et de formation continue. Pour aider le Cameroun sur ce plan, l’Allemagne propose depuis des années des stages de perfectionnement pour journalistes. Aussi bien les journalistes de la radio et de la télévision que ceux de la presse écrite, y compris votre journal, ont pu ou continuent de profiter chaque année de l’aide allemande.
Plusieurs Camerounais aimeraient aller étudier en Allemagne. Mais certains observateurs estiment qu’obtenir le visa est difficile. Etes-vous préoccupé par cette situation ? Qu’en est-il de ceux qui choisissent cette destination pour affaires ? Et de ceux qui y sollicitent l’asile politique ?
Actuellement l'Allemagne accueille environ 5.500 étudiants camerounais, ce qui est plus que jamais et reflète les relations étroites entre le Cameroun et l'Allemagne. Si le même pourcentage d'étudiants allemands venait au Cameroun, il y aura 26.000 étudiants allemands au Cameroun. Aucun pays subsaharien n’envoie autant d'étudiants en Allemagne – et probablement aucun autre pays européen n’accueille autant d'étudiants camerounais. Les étudiants camerounais sont bienvenus en Allemagne.
Pour les visas d'affaire, si le pourcentage des visas délivrés est peu élevé, c'est parce que la qualité des dossiers est souvent déplorable. Je pense aux dossiers incomplets, mais aussi au nombre élevé de faux documents découverts chaque jour par les agents consulaires dans les dossiers présentés. Quant aux demandes d'asile politique, pendant les dernières années, je ne me souviens pas d'un seul cas qui ait été justifié.
Votre compétence s’étend à la Rca et à la Guinée équatoriale. Quelle évaluation faites-vous de l’état de la démocratie dans ces deux pays voisins du Cameroun ?
Les problèmes dans le domaine des droits de l'homme diffèrent de façon signifiante d'un pays de la Cemac à l'autre. Par exemple, en République centrafricaine, les offenses des journalistes sont dépénalisées, tandis qu'en Guinée équatoriale, il n'existe même pas de journaux. En République Centrafricaine, il y a une garde présidentielle qui ne respecte pas les règles d'un Etat de droit. Et la Guinée équatoriale n'a pas été en mesure de donner une réponse au gouvernement allemand, qui demandait les raisons de l’arrestation de plusieurs prisonniers.
Dans le cas particulier de la Guinée équatoriale, peut-on dire que les effets de l’exploitation pétrolière sont visibles ?
En Guinée équatoriale, ce qui est visible, ce sont des infrastructures qui ont été construites à l’aide de l'argent du pétrole. Mais en ce qui concerne la majeure partie de la population, elle continue à vivre dans la misère. Pour elle, la découverte du pétrole n'a encore rien changé. Le gouvernement équato-guinéen est mis au défi de trouver des stratégies pour atteindre les Objectifs du Millénaire de réduction de la pauvreté. Ce ne sont pourtant pas les ressources financières qui manquent.
Nous allons terminer avec un mot sur la Coupe du monde de football qui a commencé vendredi dernier dans votre pays. Comment avez-vous accueilli la non qualification des Lions indomptables à cet important rendez-vous sportif ? Et quel est votre pronostic ?
La non qualification du Cameroun au mondial allemand m’a beaucoup attristé. Mon favori, c’est le Brésil. Mais mon collègue néerlandais et moi-même, nous souhaiterions une rencontre de bon voisinage entre l’Allemagne et les Pays-Bas.
Source: Le Messager
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