Le "Paris Noir"
Ce livre, remarquable par la qualité du texte et la beauté des illustrations, s'attache à montrer toute l'ambiguïté du regard français, entre attirance et rejet, entre Droits de l'homme et racisme, sur les Noirs et leur culture. Il débute vers 1878 quand, à la fois, Sosthene Mortenol, un guadeloupéen, est le premier Noir à être reçu à l'Ecole polytechnique et qu'on expose des Nubiens comme dans des zoos humains, au Jardin d'acclimatation. Après la Première Guerre mondiale, la "force noire" est célébrée pour sa participation à la première guerre mondiale, défile dans la gloire, mais la citoyenneté est donnée au compte-gouttes et les pensions de ces anciens combattants sont toujours inférieures à celles des Blancs. Autant d'injustices légales, alors qu'en même temps, la discrimination n'existe pas réellement dans la vie quotidienne de la métropole, au grand scandale des Américains fraîchement débarqués. Paris, capitale de la république coloniale, atteint son apogée avec la splendeur de l'Exposition coloniale de 1931 (8 millions de visiteurs pendant 6 mois autour du lac Daumesnil), au moment même où les premières revendications nationalistes se font entendre, avant d'éclater après 1945.
Affiche de 1887 presentant l'exposition des Ashantis au jardin d'acclimatation
Le Paris noir n'est pas un livre d'images, ni une histoire illustrée de la Capitale française : les photos qu'il soumet au regard des lecteurs, en particulier occidental, sont d'abord un matériau de questionnement, un matériau qui ne laisse pas indifférent. Ces photos étonnent, mettent en perspective et déconcertent souvent.
Car ce sont toutes les contradictions d'une capitale séductrice et accueillante, mais tout aussi garce et cruelle que nous découvrons. Le Paris des "zoos humains" et des villages nègres au Jardin d'Acclimatation ou au Champ-de-Mars, comme le Paris des défilés militaires où l'Empire acclame à Longchamp "la force noire" et ses fiers soldats d'Afrique ou encore le Paris des idoles du sport et du show business du boxeur américain Jack Johnson à Yannick Noah en passant par Joséphine Baker. Racisme ordinaire, fierté coloniale, fascination musicale, exaltation sportive, attraction sexuelle.... qu'il vienne de la Caraïbe, d'Amérique ou d'Afrique, le nègre comme la négresse est tour à tour sauvage cannibale ou Apollon, guenon lubrique ou Vénus, à travers l'imaginaire que déploie le monde des intellectuels et des artistes de la Capitale. Et c'est là bien sûr que les images et les photos jouent leur rôle. Les clichés surgissent avec force et sautent à la gorge.
Ce travail de documentation est précieux pour tous ceux qui s'intéressent au monde noir et à l'histoire du racisme en France. Gravures, photos, affiches, traces en tous genres.... une mine édifiante qui dresse une histoire de la France qui a été oubliée, ou dont les français ne souhaitent pas toujours se souvenir. Plus de 400 documents souvent inédits. Une somme documentaire pour ouvrir les yeux et écarquiller les consciences.
Josephine Baker, la star noire du Paris des années 20 et 30
Le Paris Noir c’est aussi l’effervescence intellectuelle de la diaspora noire africaine qui grandit après 1945. La FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire francophone) est créée en 1950 et à sa tête se trouve une étudiante en médecine, Solange Faladé qui arrive en deux ans à regrouper plus de 1300 étudiants dans cette association. L’effervescence intellectuelle se manifeste aussi par la création de la revue "Présence africaine" (et de la maison d’édition du même nom) qui bénéficie du soutien de personnalités comme Sartre ou André Gide.
En 1956, "Présence Africaine" et Alioune Diop, le fondateur de la revue, organise le premier congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne qui regroupe la fine fleur de la diaspora noire de l’époque : Cheikh Anta Diop, Senghor, Césaire, Frantz Fanon, Richard Wright...Le Paris Noir, c'est enfin "l'art nègre" et son influence sur le cubisme, la Revue nègre de Joséphine Baker, la première star noire de l’histoire, qui fascine encore, le jazz (Louis Armstrong, Miles Davis..), le gospel, les sportifs, du boxeur au footballeur, les écrivains (Richard Wright, James Baldwin, William Gardner Smith, Chester Himes, Richard Gibson...)
En s'appuyant sur une iconographie exceptionnelle, les auteurs ont privilégié un "regard blanc" pour traduire les stéréotypes qui perdurent à travers le siècle.
D'apres Sylvie Chalaye / Gabrielle Cadier Rey
Le Paris Noir, par Pascal Blanchard, Eric Deroo, Gilles Manceron Editions Hazan, 236 p. 48,95 euros
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