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Chantal Ayissi : Diva divinement chansonnée
(18/04/2006)
Héroïne de sa propre vie, Chantal Ayissi accède à juste titre, avec cinq albums, aux ravissements d’une carrière prévisible, parfaitement dénuée d’incommodités.
Par Serge Alain Godong
Chantal Ayissi
Chantal Ayissi
De Chantal Ayissi, on pourrait parfaitement faire l’héroïne d’une série familiale américaine diffusée par le réseau Abc et destinée aux ménagères de moins de 50 ans : la Fille, dont on sait qu’elle est une ex-mannequin, ex-héroïne du ballet national camerounais, ex-danseuse de grand cru, mesurant presque 1m75, pourrait en effet parfaitement se donner à recenser dans les statistiques officielles indiquant les personnes frappées par une période exceptionnellement longue de bonheur exquis. Son visage, aussi raffiné qu’ensorcelant, possède à cet égard une paire de joues lisses et prévisibles, d’une infinie tendresse qu’on pourrait seulement trouver comparables à ces figurines émerveillées dont on admire généralement les courbes somptueuses sur les personnages de Kirikou. Il y a longtemps qu’elle en a entendu des tonnes sur sa beauté, sur son élégance. Compliments devenus ennuyeux, chez une femme qui se regarde passer comme un phénomène propre aux modes d’évaluation de son temps. Sa vie pourrait bien avoir l’air d’une comète, d’un objet de la galaxie intersidérale qui creuse des cratères dans l’émotion des humains. Mouvement dans l’histoire de l’humanité qui conduit à toutes sortes de satisfactions apaisées, à cette idée lucide qu’il vaut mieux toujours tenter de se poser comme le héros de sa propre vie.

Femme de chair et d’os, femme de sensibilités. Qui se dit sensible à son propre destin autant qu’à celui des autres. La Providence a eu la magnanimité de lui accorder des passions toujours incandescentes, toujours renouvelées. La scène de la vie n’est souvent qu’un immense cirque de passage, qui exige des acteurs de tous les jours, cruauté et professionnalisme. A l’époque de sa séparation d’avec son époux d’alors, Roméo Dika, il y en a qui en sont restés à s’interroger sur le sens qu’elle voulait donner à sa carrière. A quoi elle répondait, avec une égale prestance, qu’il n’y a pas de carrière qui soit attachée à un homme, à un statut, à un acte, fût-il de mariage. “Je serai ce que j’aurai décidé d’être”, clamait-elle alors avec quelque air de suffisance. Nous sommes ainsi en 1998, lorsqu’il ne fait plus de doute que la barque de son alliance prend de l’eau. Les tornades qui traversent la vie d’un homme, en ce moment même, lui ouvrent le regard sur le grand vide de l’inconnu, histoire de se demander de quelles roses seront faits ces lendemains qui déchantent. Il y a toujours chez l’un, suffisamment de ressources psychiques pour préparer sa vengeance; et chez l’autre, l’idée que tout cela n’a été qu’une perte de temps, un de ces moments dont le souvenir ne peut être qu’une partie exécrable de ces cauchemars dont il n’est jamais aisé de garder les traces.


Nigth-club

Chantal Ayissi vit à ce jour en France, dans une périphérie cossue et rassasiée de la capitale française. Ses journées sont entourées de fraîches certitudes, adossées qu’elles sont entre les tâches de ménage – faire à manger, s’occuper de ses gosses et de son époux – et les quelques contraintes d’une carrière qu’elle mène avec une détermination jamais dénuée d’efficacité. Elle dit jouer beaucoup, dans cette ville comme à l’étranger, pour donner sens à un enthousiasme dont la trajectoire s’est élancée dans le temps, voilà maintenant une quinzaine d’années. Souvent le soir, elle va chanter dans l’un de ces night-clubs au tempérament africain du centre de Paris, où une grande partie du public qui vient la regarder est souvent constituée de “frères” venus, comme elle, du “pays”. Son talent de danseuse y constitue alors, à chaque fois, son plus grand atout, tant il est époustouflant de voir ses différents arcs de cercle, ses contorsions du corps, ces inflexions inimitables qu’elle donne à une architecture physique dès lors rendue aussi abstraite qu’un tableau d’art contemporain. On peut y lire la traduction convenable d’une héroïne qui prend le temps de réconcilier le corps et l’esprit, l’émotion et la raison, à l’orée d’une expression artistique quelques fois incomprise, en tout cas, toujours tiraillée par les aspirations de tous ceux qui espéreraient obtenir de sa personne plus d’engagement et plus d’abstraction aussi bien dans le contenu de ses œuvres que dans la qualité de son inspiration.

Reproches à ses yeux excessifs, du moins au regard de ce qu’elle s’est donné la peine de produire dans son dernier album, le sixième du genre, après deux années d’absence de toute production, qui lui avaient semblé être une sorte de “passage à vide”. Sept chansons donc, passionnément construites sur le ton de la “variété”, au carrefour de ce que l’artiste a pu assimiler à ce jour comme mélanges, comme contradictions et comme fulgurances. On prend la route du makossa aussi bien que celle du bikutsi, du bend-skin et même de quelques approches plus traditionnelles. Pur produit d’une époque où les chansons que l’on chante semblent souvent englouties dans le brouillard du quotidien et où le monde dans lequel on vit paraît alors vide, léger et, parfois même, menaçant. Il y a bien, à l’intérieur, quelques phrases courtes et rafraîchies, du genre, “la femme, c’est comme une voiture: il faut l’entretenir”; même si l’essentiel va davantage chercher dans une obsession du rythme, un sens de la cadence qu’elle débite avec l’étonnante exactitude de ceux qui ont fait un tour dans l’univers du classique. Il n’est toutefois pas réaliste d’en attendre une révolution textuelle de grande ampleur, entre autres raisons, parce que la voix qui la transporte, fluette et entêtante, se donne à écouter sur des histoires simples, des arrangements de tous les jours, des “passions” qu’elle-même juge sommaires, transversales et médiocrement dotées d’abstraction.

Chantal Ayissi n’est pourtant pas une femme, comme quelques uns pourraient le croire, absente de toute opinion politique, de toute subjectivité. Il y a ainsi longtemps qu’elle pense, par exemple, être de ces rares artistes qui fabriquent encore de la musique camerounaise propre, authentique et décomplexée, qui ne se prive pas de s’ouvrir vers l’extérieur, pour être en mesure de garder son immense dynamisme et toute sa fécondité intérieure. “Beaucoup trichent en pensant qu’il s’agit de copier littéralement des sonorités étrangères. Ce qui est une pure facilité, affirme-t-elle. Je pense que nous avons notre culture et qu’il s’agit de la garder mais de savoir comment la renforcer pour ne pas être ensevelis pas les autres. Ce qui serait bien dommage au regard de tout ce que nous avons comme patrimoine, comme richesses”. L’artiste en veut ainsi à deux personnes – les producteurs et les consommateurs – responsables, dit-elle, chacun à sa façon, de cette honteuse dérive vers le commercial, vers la dilution de ce qu’il y a de plus irascible en eux: leur identité culturelle. Les premiers parce qu’ils “imposent des sonorités aux artistes” ; les seconds parce qu’ils se laissent aller à n’importe quoi, souvent, sans la moindre exigence de qualité. Et lorsqu’on lui demande pour quelle raison elle-même a donné du cœur à la joie du coupé-décalé dans son dernier album, sa réponse est sans nuance : “je l’ai fait parce que, à la base, les gens tendent à l’oublier, cette musique est d’abord du makossa; donc, de chez nous. Le faire signifie donc le ramener aux sources, à ses origines. Pourquoi voulez-vous donc que j’en ai honte de quelque façon?”.

Roméo Dika

En tout cas, Chantal n’a ni honte, ni froid aux yeux. Son style, elle le trouve “moderniste”, avec une vraie personnalité, une vigueur affirmée. “Etant jeune, raconte-t-elle, je rêvais de Koko Ateba et pensais bien qu’un de ces jours je pourrais finir par chanter de mon propre fait”. Elle a longtemps dansé dans les rangs du Ballet national, bien que plus tard orientée vers le chant par un certain Francis Kingué. L’intuition est apparemment fructueuse puisque, déjà en 1990, elle gagne le prix Découverte Rfi qui lui ouvre les portes de l’enregistrement de “Africa”, son deuxième, mais premier véritable album. Ce n’est que plus tard que “Diva”, sous la férule de son époux d’alors, Roméo Dika, vient définitivement donner le ton d’une carrière engagée dans le train des plus grands de sa génération. On reconnaît dès lors à celle qui s’impose progressivement dans les voies du bikutsi, le mérite d’une distinction aussi bien construite sur des arrangements exigeants, que sur une qualité d’inspiration toujours très soucieuse de ne pas verser dans les travers du sexe. D’une morale parfaitement intransigeante sur la question, elle estime que “chanter sur des référents pornographiques est particulièrement humiliant pour les gens qui le font, une sorte de violation des droits de l’Homme qui ne devrait mériter que censure, interdiction”. C’est en tout cas à cause de tout cela que, affirme-t-elle, “le Cameroun n’est plus considéré artistiquement dans aucun des pays d’Afrique et d’ailleurs ; tout est tellement ridicule qu’il vaut mieux ne jamais être associé à ce courant. D’autant que, dans mon cas, j’ai des enfants, des parents qui écoutent les chansons, regardent la télé : comment vouloir donc qu’ils se sentent si tout ce que je fais se rapporte au sexe?”

Il y aura, de toutes les façons, d’autant moins de raisons d’y tomber que Chantal ne s’estime pas en mission particulière dans la relation qu’elle se donne à la musique. Elle chante d’abord parce que toute cette vie d’étoiles et de paillettes lui plait infiniment, ce qui contribue à lui conserver cette sorte d’insouciance avec laquelle elle aborde ses problématiques du lendemain. Elle tient peut-être d’ailleurs tout cela de la famille entière, de ses parents comme de ses frères, qui, tous, ont connu ou connaissent des fortunes souvent prospères sous les sunlights de la célébrité. Sa mère a porté neuf enfants où les cinq encore vivants, aiguisent appétits et jalousies avec des carrières souvent stupéfiantes. Succès qui, étonnamment, ont davantage divisé chez eux plus qu’ils n’ont rassemblé. Et cela, quelques fois au cœur même de la place publique, où les opinions des autres en venaient à servir de planche savonneuse aux multiples mais toujours vaines tentatives de réconciliation. Chaque famille, on le sait, a toujours sa face hideuse et ses secrets honteux, mais comment faire donc pour ne pas être au courant de ceux des Ayissi ? Surtout lorsque le groupe de personnes en question se mêle souvent à quelques noms devenus comme éléments constitutifs d’un rite : Roméo Dika, Zang le Zappeur, Leduc…

Sans doute que la vie qu’elle mène aujourd’hui à Surennes, auprès de son époux du moment, Slim Pezin, lui permet de cultiver davantage de pondération sur ces quelques aspects de sa vie qui ne sont pas, il faut bien le dire, spécialement enviables. Résoudre les problèmes de la partie désirante de l’Etre humain peut en effet la dispenser de réclamer une reconnaissance extrêmement forte. Mais comment le jurer, dès lors que Fukuyama estimait que l’un ne va jamais sans l’autre ; et même que le premier est souvent, tout simplement annonciateur de l’autre. A mesure que les jours qui passent, dans cette antre de femme apaisée, lui achève de faire d’elle la femme accomplie mais déterminée qu’elle ne cessera sans doute jamais d’être.

Source : Mutations


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