Depuis un peu plus d’un mois déjà, le Cameroun est sous les secousses d’une actualité que l’on dirait spéciale. Tout a commencé avec la publication d’une liste dite des homosexuels de la République. Elle a fait des vagues puis une avalanche de procès en cours.
Il y a eu ensuite la publication d’une série de listes des fonctionnaires milliardaires, des fraudeurs en douane etc.
Il faut ajouter à tout cela la vague d’arrestations des anciens directeurs généraux des sociétés d’Etat.
Quelle analyse faites-vous de toutes ces péripéties que nous n’osons pas appeler événements ?
Vous n’osez pas voir en cela des événements, mais je crois c’est bien événementiel quand on voit la personnalité de ceux qui sont détenus et ceux sur qui la presse s’acharne à tort ou à raison. Il faut bien reconnaître que le Cameroun traverse une période trouble, faite parfois de dénonciations calomnieuses ou de règlements de compte. Ceci dit, il faut reconnaître que nos mœurs ont été dépravées ces derniers temps, et que l’impunité a conduit à la destruction de notre économie, par action, par complicité ou par simple laxisme de nos cadres dirigeants.
Alors, est-ce opportun ? Tout cela arrive-t-il à temps ou trop tard ?
Si nous prenons la pensée du président Américain Abraham Lincol qui dit “ on peut tromper le peuple une partie de temps, on peut tromper une partie de peuple tout le temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ”.
Fatalement il fallait qu’un jour le vase déborde et peut-être est-il en train de le faire. Il n’est jamais tard pour un pays pour se relever dès lors que les causes du mal sont connues et un remède efficace prescrit. Le Cameroun est une terre bénie de Dieu, et peut décoller à tout moment. Il faut simplement une bonne dose de volonté du pouvoir.
Jusqu’où pensez-vous que puisse aller le chef de l’Etat ?
La première mission du chef de l’Etat est de veiller sur le pays, les citoyens et leurs biens. Il doit à tout moment, en tant que chef, décider de ce qui est bon pour le pays, en fonction des contingences de l’heure et de la gravité de la situation. Nul n’est indispensable dans une nation. Je ne suis pas d’accord pour une chasse aux sorcières, ni pour un acharnement sur les individus, comme ce fut le cas avec Ondo Ndong hier, ou Abah Abah en ce moment, et les autres. La situation du Cameroun n’est pas un problème d’individus anormalement riches, mais plutôt d’une politique qu’il faut réorienter. Les Camerounais sont tous des voleurs, seul les butins les diffèrent. L’Etudiant qui triche pour obtenir ses diplômes ou des notes qu’il ne mérite pas, la vendeuse d’arachides qui enfonce le fond de la boîte de mesure pour tromper ses clients, le boucher qui vend 500 g de viande pour 1 kg, le transporteur qui surcharge, les coopératives qui arnaquent les cultivateurs. Bref, chaque Camerounais essaye de tirer son épingle de jeu et l’égocentrisme a pris le dessus sur le nationalisme de nos parents. Le chef de l’Etat doit tirer les conséquences de la situation et prendre les mesures qui s’imposent pour stopper l’hémorragie qui risque de condamner à mort notre pays. Choisir des hommes nouveaux pour une nouvelle politique.
©Albert Dzongang en réunion
Parlant de l’interpellation des anciens directeurs généraux des entreprises d’Etat, est-ce l’affaire de l’exécutif ou de la justice ? En France et en Italie, on a quand même vu que ce sont les magistrats qui ont lancé ce genre d’opération.
Je ne vois pas, en tant qu’ancien député la différence que vous faite dans cette situation entre la justice et l’exécutif. Pour que la justice se mette en branle, elle doit être saisie, soit par un individu, soit par le parquet. Or le parquet dépend de la chancellerie, c’est-à-dire du ministre de la Justice qui appartient à l’exécutif. C’est dont l’exécutif qui ordonne au procureur d’ouvrir une enquête pour tel ou tel sujet. Les associations peuvent également saisir la justice pour des cas de corruption ou de détournements dont elles détiennent les preuves. En Italie l’Etat a d’abord nommé un juge anti-mafia à qui il a donné le pouvoir d’enquêter sur les cas avérés. La justice ne s’est pas auto saisie de la situation. Le problème du Cameroun je le répète ne relève pas de la justice, il ne s’agit pas de sacrifier quelques malchanceux pour satisfaire la soif de justice du peuple, il s’agit de corriger un système de gouvernement qui n’a pas produit les résultats espérés et attendus par les concitoyens. C’est donc d’abord un problème politique et le chef de l’Etat détient seul les clefs.
Pour combattre la corruption, les détournements de fonds et l’enrichissement sans cause, le président de la République vient de créer une autre structure qu’on appelle Commission nationale de lutte contre la corruption. Quelle en est l’opportunité quand on sait qu’il existait déjà l’Agence nationale d’investigation financière, la Cour des comptes et même le contrôle de l’Etat. Tout cela pour quelle efficacité ?
Vous conviendrez avec moi qu’au vu de la situation actuelle, du niveau de la corruption généralisée dans notre pays, on ne peut pas dire que toutes ces institutions que vous citez ont apporté un quelconque changement dans la maladie qui ronge notre pays. Le chef de l’Etat garant des Institutions de la nation, doit chercher les voies et moyens pour résoudre le problème.
Si la commission ainsi créée comprend des hommes capables de trouver une solution pour éclairer l’horizon de notre pays pour nos enfants, j’applaudis. C’est d’ailleurs ce que je réclame depuis longtemps, et qui est le motif principal de ma démission du parti au pouvoir depuis bientôt 10 ans, combattre l’impunité. Il faudrait seulement que le chef de l’Etat fasse preuve d’une bonne lucidité pour le choix des hommes, et leur donne un véritable pouvoir d’investigations, et prenne en compte leurs observations et recommandations.
A entendre les Camerounais parler après les arrestation des anciens responsables de gestion des sociétés d’Etat, tout le monde estime qu’il ne sert à rien d’envoyer les gens en prison. Il faut plutôt les amener à rapatrier l’argent qui se trouve à l’étranger. Cet argent existe-t-il vraiment dans les banques étrangères ? Si oui, serait-il facile de le faire rapatrier ?
Tout se passe comme si nos malheurs ne venaient que de quelques dirigeants des Sociétés d’Etat inquiétés ou arrêtés. Moi je pense que ceux qui n’ont pris que l’argent, ce qui est bien sûr répréhensif, ont fait moins mal que ceux qui ont spolié les biens de l’Etat. Tous les immeubles du Cameroun à l’étranger, véritable héritage pour nos enfants ont été vendus. Toutes les maisons administratives et les terrains domaniaux ont été vendus par un même individu, qui est libre et envoie même les motions au chef de l’Etat pour qu’il arrête les voleurs.
Quand on voit à Douala le nombre de hauts fonctionnaires de Justice, de Santé, de l’Enseignement pour ne citer que ceux-là, qui ne peuvent se loger, alors que tout Bonanjo a été vendu, ainsi que les espaces verts de Bonamoussadi, on se demande ce que font les Belinga, Siyam Siwe en prison quand les auteurs de ce gâchis sont libres. En matière d’argent gardé à l’étranger par des personnes convaincues de délit d’enrichissement illicite, le Nigeria, le Tchad sont des exemples. Si une infime partie du butin de Sani Abacha a été récupérée, l’immense partie de cette fortune dort encore dans les banques Suisse et les paradis fiscaux. Quoi qu’on dise, les pays qui hébergent ces sommes traînent toujours les pas à coopérer franchement.
Egalement, une grande partie de ces fortunes mal acquises sont domiciliées dans les banques étrangères, voire locales sous des prête-noms. Souvent ces hommes de paille ignorent leur mentor dès que ce dernier n’a plus le pouvoir. Cet argent devient irrécupérable. A mon avis, il faut compter beaucoup plus sur les biens situés dans le pays que ceux à l’étranger. Là encore, il faut se souvenir du paradoxe Titus Edzoa. La cour d’Appel l’a reconnu coupable de détournement des deniers publics et a cependant refusé la confiscation de ses biens prononcée en Première Instance.
Je milite plus pour la fin de la recréation et la remise des institutions en état de bonne marche, que pour les arrestations spectaculaires à tête chercheuse. On peut aussi, et le président Bongo l’a fait une fois au Gabon, inviter discrètement ceux qui ont de l’argent pris sur les comptes de l’Etat à reverser telle somme pour le redressement économique, le chef de l’Etat comme au Gabon prêchant par l’exemple. A trop effrayer ces prétendus voleurs et à tirer sur eux comme on le fait en ce moment, même s’ils avaient de l’argent à l’étranger, ils prendraient des dispositions pour changer les planques, et ce ne sont ni les vautours, ni les paradis fiscaux qui manquent.
Dans le cadre de la démocratisation du champ politique et surtout en ce qui concerne la transparence des élections, le chef de l’Etat a mis le Commonwealth à contribution pour la mise en place d’une Commission appelée à remplacer l’Onel. On relève néanmoins que les membres de la partie camerounaise qui ont travaillé avec les experts du Commonwealth étaient des fonctionnaires connus pour leur attachement au Rdpc. On n’y a pas aperçu les membres des autres partis politiques. Quel crédit accorder à ces conciliabules auxquelles ne sont pas associés les partis de l’opposition ?
Tant qu’un organisme véritablement indépendant ne prendra en charge les opérations de vote au Cameroun, rien ne changera. Il n’y a pas de modèle unique de démocratie même chez les blancs donneurs de leçon. Chaque fois que le Commonwealth est venu observer les élections chez nous, leur rapport n’a jamais fermement critiqué les opérations. Les Camerounais peuvent mettre sur pied sans l’appui de ceux qui ont pillé notre pays par le passé, un organisme consensuel pour gérer notre jeune démocratie.
Je ne fais plus confiance à ces prédateurs qui viennent pour nous “ aider ”, en réalité pour créer les conditions d’accession ou le maintien au pouvoir des dirigeants africains acquis à leurs causes. Je suis une victime de vol de vote au Cameroun et je sais de quoi je parle. Beaucoup de partis d’opposition sont plus amis du pouvoir que les militants officiels du Rdpc. Il faut donc parler plus des hommes intègres que de formation politique. D’ailleurs, les blancs ne viendront jamais chez nous favoriser l’accession à la Magistrature suprême d’un nationaliste, pouvant porter ombrage à leurs intérêts, c’est-à-dire au pillage de notre pays.
Source: Le Messager
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