Désordre : Premier des ministres ou chef du gouvernement ?
L'autorité du Pm est remise en cause par les ministres.
Cameroun : qui gouverne ?
Qui d’autre au Cameroun peut détenir une infime parcelle de pouvoir en dehors de Paul Biya, le président de la République, chef supérieur des armées, premier magistrat, premier sportif et, par dessus tout, président du parti au pouvoir, le Rdpc ? De nombreux observateurs se sont souvent interrogés sur la nature particulière de ce système politique qui mérite sans doute d’être théorisé, tellement il est à mi chemin entre les dictatures d’Europe de l’est et les systèmes présidentialistes connus, et ajoute, pour le rien arranger, une encombrante présence de Chantal Biya, l’épouse du chef de l’Etat, souvent plus autoritaire encore.
Reste-t-il encore de la place pour les autres, tout heureux d’avoir quand même ces strapontins, en attendant ? Malgré tout et devant les silences ou les absences du Prince, il s’est développé, dans les faits, plusieurs autres pôles de pouvoir qui ont parfois des alliances objectives entre eux, mais qui s’opposent souvent, en attendant la bataille finale de la succession.
Voyage au coeur de la galaxie Biya...
C'était le 14 juillet 1994. Sur décision prise par le Premier ministre, Simon Achidi Achu, l'Etat cédait ses parts dans le capital social de la Sodecoton, à quelques dignitaires du régime originaires, pour la plupart, des provinces septentrionales du pays et regroupés au sein de la Société mobilière d'Investissement du Cameroun (Smic). En mars 1995, la cession de ces 21.982 actions (59% du capital) à la Smic allait être annulée parce que "réalisée de gré à gré à un prix inférieur à la valeur minimale d'une action qui est de dix mille francs Cfa". Dans un communiqué froid, le ministre de l'Economie et des Finances de cette époque-là venait de casser une décision prise par un Premier ministre encore en fonction. L'affaire fit l'objet de nombreux commentaires dans les chaumières et contribua à relativiser le pouvoir du Premier ministre sur les autres membres du gouvernement.
Il y a quelques semaines, on a vécu un affrontement public tout aussi curieux entre le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Minfopra), Benjamin Amama, et le Premier ministre, Ephraïm Inoni, par l'intermédiaire du directeur de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (Enam). Alors que le Premier ministre avait ordonné la publication des résultats des concours d'entrée à l'Enam, par des communiqués du directeur général de l'école, Benjamin Amama décida d'annuler lesdits communiqués en publiant quatre décisions. Cette cacophonie est partie du désir exprimé par le ministre de superviser l'organisation matérielle du concours, un travail qu'il estimait faire légalement partie de ses prérogatives et non des tâches du directeur de l'Enam. Malgré l'arbitrage formel du chef du gouvernement sur la question, Benjamin Amama a refusé d'abdiquer. Ce qui continue de semer le doute au sein de l'opinion publique sur les résultats desdits concours.
Des cas comme ceux-là sont malheureusement nombreux, qui amènent à s'interroger sur la réalité de l'autorité du Premier ministre sur les autres ministres. D'ailleurs, depuis la mise sur pied du gouvernement du 08 décembre 2004, la défiance de l'autorité du PM semble plus régulière qu'auparavant. On l'a vu à plusieurs reprises. Il y a quelques semaines, en l'espace de 24 heures, deux Camerounais ayant le même patronyme (Taakam) et portant des prénoms différents (Bénoît et Jean Marie) ont été nommés au poste de directeur général du Labogénie, par décret du président de la République. Vérifications faites, la proposition du ministre des Travaux publics, relayée avec avis favorable du Premier ministre, avait fait l'objet d'une manipulation au Secrétariat général de la Présidence de la République. Sans tenir compte des compétences professionnelles requises pour occuper le poste. C'est le même scénario qui a conduit à la nomination des quatre directeurs généraux du Minefi, l'année dernière, dans une configuration qui a défié, plus que souvent, le principe de l'équilibre régional…
Président technique
A la fin des années 80, avec l'arrivée de Joseph Owona au poste de Secrétaire général de la présidence de la République, le commun des citoyens avait noté que ce dernier était, après le chef de l'Etat, le vrai patron de l'exécutif. Il avait fini par passer pour le " président technique du Cameroun " ou pour le " vice-président " tout court. Ses interventions dans les affaires internes du gouvernement étaient légion. On se souvient par exemple du communiqué radio qu'il signa, à la veille de la rentrée scolaire 93-94, et par lequel il prit le contre-pied du ministre de l'Education nationale, Robert Mbella Mbappè, en décidant d'ajourner la date de la reprise des cours. Le Premier ministre chef du gouvernement de l'époque assista à la scène en simple spectateur. Curieusement, en 1998, avec " l'affaire des écoutes téléphoniques " liée au rouleau compresseur qui s'abattait sur Titus Edzoa, on découvrit un autre ordre hiérarchique entre un membre du gouvernement, en l'occurrence le ministre d'Etat chargé de l'Economie et des Finances, Edouard Akame Mfoumou, et le secrétaire général de la présidence, Amadou Ali. Au cours de leurs conversations, Amadou Ali donnait du " patron " à l'argentier national. Et lui rendait compte des mesures prises pour museler leur ancien collègue.
Au vu de tous ces exemples, qui font fi des batailles sourdes entre membres du gouvernement et autres hautes personnalités de l'Etat, on se pose la question de savoir sur quoi repose l'ordre hiérarchique entre ces responsables de l'exécutif. Le titre II de la loi du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972 (la mère des lois du pays), qui traite du pouvoir exécutif, est pourtant assez clair. Il cite uniquement et explicitement le président de la République et le Premier ministre, en tant que chef du gouvernement, comme étant les principaux animateurs de ce pouvoir. Aucune mention n'est faite des autres membres du gouvernement. Son article 12 stipule que " le Premier ministre est chef du gouvernement et dirige l'action de celui-ci ". Et que le " gouvernement est chargé de la mise en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le président de la République ". Voilà pour le principe.
Dans la réalité, telle qu'on l'observe dans les cas ci-dessus évoqués, le leadership du Premier ministre sur le gouvernement est souvent mis à rude épreuve. Les ministres issus de l'opposition, qui entretiennent une relation directe avec le président de la République, répugnent à recevoir leurs instructions de l'immeuble étoile. Les ministres qui ont entretenu une certaine proximité avec le chef de l'Etat (ancien Sg ou amis) en font parfois à leur tête. Le ministre chargé des Finances, gardien de la fortune publique, a tendance à s'offrir des ailes. Et le secrétaire général de la présidence de la République a souvent tendance à évoquer de supposées instructions du chef de l'Etat pour orienter les affaires. A chaque fois, on s'en rend compte, c'est le président de la République qui confère leur pouvoir aux uns et aux autres ? Au fait, n'est-il pas le principal responsable du manque d'autorité du Premier ministre ?
Source : Quotidien Mutations
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