L’enseigne du bâtiment administratif renseigne suffisamment. Bienvenue à la gare routière de Yaoundé-Ouest, fonctionnelle depuis plusieurs décennies, au quartier Mokolo ! Un domaine grouillant de monde, où voyageurs, véhicules, motos et brouettes forment un capharnaüm relevé par des galeries marchandes. A cet endroit, Mireille attend son heure. Un rendez-vous fixé la veille par un ami, de retour d’une mission en Allemagne. Le couple ne vient pas emprunter un taxi de brousse, à destination de quelque village éloigné. Il arrive plutôt pour une journée de plaisir à Petit Paris, qui n’est guère situé à Pampelune : un détour derrière la direction du complexe, et l’on y est. C’est là, dans un alignement de bistrots et de restaurants, que se cache la renommée de cette gare routière, qu’affectionnent de nombreux touristes. Rappelant ainsi l’époque glorieuse de l’ex-abattoir municipal, dont les habitués arrivaient parfois de Douala et Bamenda, pour des samedis de fête bruyante.
Un coup d’œil dans le décor permet de saisir l’inspiration des hommes et femmes qui tiennent ce secteur. Chacun a imaginé un nom commercial susceptible de capter l’attention de la clientèle : ici, " La cachette de Claudy " ; là " La Colombe ", plus loin, " Chez Clara ". D’autres, plus imaginatifs, cherchent dans les registres truculents du parler local, et cela donne des appellations avenantes comme " Odin Otoa ". En tout, une cinquantaine d’établissements, regroupés en blocs artistiquement élevés en planches. Où l’on compte, en outre, des salons de coiffure et des boutiques de télécommunications.
Après l’ouverture de la gare routière, cette zone restée inoccupée a vite été prise d’assaut. " Nous avons été à l’avant-garde de la lutte contre la pauvreté, en laissant des débrouillards s’y installer ", fait observer un responsable de la gare routière de Mokolo, sous gérance. Et les premiers à occuper les lieux, tout comme ceux qui aménagent en ce moment, le reconnaissent : malgré la concurrence, les affaires vont bien.
Au départ, " Etoudi " était le nom de baptême de cette place, " compte tenu de la qualité des clients qui nous rendaient visite ", se souvient encore Ayissi Jules. Cette fréquentation de qualité n’a certes pas changé, mais le cadre de vie s’est considérablement amélioré, avec des jeux de lumières, " et l’introduction des commodités d’accueil conformes aux VIP ", indique-t-on à la direction de la gare routière. A l’unanimité, les propriétaires ont, par conséquent, adopté " Petit Paris ", qui traduit mieux leurs ambitions.
Les yeux protégés par des lunettes claires, Nicole Assomo y tient un bar, depuis novembre. Après six années de service dans un prêt-à-porter à Yaoundé, elle a décidé de se refaire une santé financière, au lendemain du décès de sa patronne. " Elle m’aimait beaucoup. Puisque la boutique a fermé, je suis obligée de me battre ici ", confie-t-elle. Le matin, Nicole ouvre les portes de son local, récemment doté de nouveaux rideaux. Son devoir de propreté à l’intérieur et à l’extérieur terminé, elle range ses casiers, en attendant le passage des livreurs de boissons. " Mais les clients peuvent déjà être servis, à partir des réserves de la veille ", précise une voisine de Nicole.
Accueil
Les prix appliqués pour ces boissons répondent à une entente entre les différents tenanciers : 50 FCFA de plus par rapport au barème en vigueur dans des établissements de type classique. " Parce que, nous n’avons pas de simples bars, ici. Il s’agit de points de repos et distractions offrant un service recommandable ", explique un autre commerçant, arrivé derrière la gare routière en 2001. Ainsi, une bière blonde de 65 centilitres vous sera vendue à 500 FCFA. Le domaine de la restauration obéit également à une organisation stricte. Tout se passe comme si l’on avait rassemblé, en un seul site, toutes les déesses du raffinement gastronomique. " Et cette particularité renforce notre rayonnement ", se vante Nicole. Les mets les plus prisés ? Du gibier et du poisson d’eau douce, souvent concoctés à l’étouffée. Les morceaux de vipère, accompagnés du plantain, viennent en tête des merveilles culinaires.
Les consommateurs émanent de toutes les classes sociales : " Des fonctionnaires de la haute administration, des officiers de l’armée, des magistrats…viennent découvrir chez nous le super choix que ne leur procure pas le cadre des grands restaurants et gargotes de la ville ", affirme une restauratrice. En plus, on apprend à apprécier la chaleur de l’accueil, en côtoyant ces femmes dont le sourire donne envie de revenir. Revenir surtout pendant le week-end, qui entraîne une augmentation du taux de fréquentation. " A ce moment-là, les choses sont intéressantes, enrichissantes même ", dit Germain Bouang, informaticien.
Pourquoi ? La réunion de tant de personnes issues de divers horizons fait de ce milieu un salon riche en débats et une mine d’or en terme d’informations. Les Lions Indomptables, la gestion des redevances forestières par certaines mairies, le phénomène des sectes et bien d’autres sujets d’actualité y sont abordés de manière anecdotique. Telle l’histoire de ce secrétaire particulier qui aurait été invité par son employeur, à minuit. " Et comme le pauvre particulier n’est pas homosexuel, il ne pouvait que décevoir son patron ", raconte un homme en pouffant de rire. Mais c’est aussi une assemblée où l’on rencontre des individus apparemment sans importance, ayant cependant l’avantage de disposer d’entrées auprès de personnalités d’envergure. Grâce à leurs carnets d’adresses, des audiences peuvent être arrangées. Par leur canal, certains dossiers ont pu connaître une issue satisfaisante.
La gratitude des bénéficiaires de ce tissu de relations se manifeste sur place, à travers des effusions de joie, et ces bouteilles de bière et de vin rouge dont on fait sauter les bouchons comme lors d’un réveillon. Des instants agréables que bien de piliers de ces établissements aimeraient immortaliser, grâce au photographe Elouna Jean-Paul, 30 ans environ qui traîne de comptoir en comptoir, s’arrête, s’intéresse aux attitudes à filmer, esquisse un sourire quand lui est donné l’accord d’en fixer une image forte. Comme celle de Mireille, déjà chancelante et étreignant, au moment de partir, son compagnon venu d’Allemagne.
Source : Cameroon Tribune
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