L'Afrique doit initier ses enfants à sa propre histoire et selon sa propre version. Qu'elle leur en serve à satiété et peuple leur subconscient de ses propres héros et héroïnes ! Sinon, que nul ne vienne crier au scandale lorsque ces derniers, une fois adultes, lui tournent le dos et lorgnent sur des nations qui ne sont pas les leurs et jamais ne le seront totalement. Il y a quelques semaines de cela j'ai fait une rencontre curieuse avec l'histoire au hasard d'une visite rendue à un ami dans le dix-septième arrondissement à Paris.
Quittant ce dernier, je me suis engouffré dans la station de métro Guy Moquet. Arrivé sur le quai, vu qu'on était à une heure assez avancée de la soirée, le train n'était annoncé que pour quinze minutes plus tard. J'entrepris des allers retours le long de la voie, laissant mon esprit flâner et insistant par moment sur quelques curieuses affiches publicitaires.
Quelques minutes plus tard, mon attention fut attirée par une vitrine exposant des documents et photos en hommage à un certain Guy Moquet, celui-là même qui donna son nom à la station de métro où je me trouvais. J'appris en parcourant les documents que Guy Moquet ne fut ni un philosophe de renom, ni un illustre homme politique ou encore un brillant savant, mais tout simplement un jeune homme de seize ans qui est entré dans l'histoire de son pays par un acte d'héroïsme : s'engager dans la résistance française pour combattre les forces nazies lors de la Deuxième Guerre Mondiale. Arrêté, il fut condamné à mort par les Allemands et exécuté.
Les documents exposés dans la vitrine sont les dernières lettres manuscrites que le jeune Guy Moquet échangea avec sa famille au cours des dernières heures de son existence. Tombant sur la dernière de ces lettres, écrite sans doute quelques heures avant sa mort, je fus fasciné par le courage, la dignité et la bravoure de l'adolescent qu'il était encore. Il racontait à ses parents, les conditions dans lesquelles ses compagnons d'infortune et lui étaient maintenus sans s'étendre sur des détails qui puissent accabler sa famille. S'agissant de la mort plus qu'imminente qui l'attendait, il n'en fit aucunement étalage, insistant plutôt sur la nécessité de son engagement et la certitude du succès dont ce dernier allait être couronné, que ses camarades et lui survivent ou pas.
Au terme de ma lecture et face au témoignage émouvant de cet adolescent de seize ans bravant la mort par acte d'héroïsme, je me suis laisser aller à l'émotion et le train arriva juste à temps pour m'emporter vers un flot de pensées au sujet de ce que je venais de vivre.
Sur le trajet, encore plongé dans mes réflexions, une question me vint à l'esprit : qu'aurait ressenti un enfant de dix ans à la lecture de tels témoignages ? Nul doute que Guy Moquet aurait paru tel un grand héros à ses yeux et qu'il en vienne même à s'identifier à lui, rêvant de devenir plus tard lorsqu'il sera grand un autre Guy Moquet à sa manière.
Ceci me révéla l'exacte ampleur de la réussite de l'Occident : gaver ses enfants d'histoire et peupler leur esprit de ses héros à ce point d'en faire, sans devoir nécessairement les rendre militaires, de véritables patriotes prêts à agir dans l'unique intérêt de leurs nations et à ne voir et analyser les événements mondiaux que dans ce but.
Je fus soudain submergé par l'amertume lorsqu'une série de questions m'inonda l'esprit : combien d'universités portent en Afrique le nom de Cheikh Anta Diop ? combien y a t-il de places dédiées à la mémoire de Patrice Lumumba, de Ruben Um Nyobe, de Steve Biko et bien d'autres de ces vaillants fils d'Afrique qui ont payé de leur vie la liberté africaine encore en cause aujourd'hui ? Y a t-il à travers l'Afrique des boulevards célébrant l'héroïsme de la reine Kandalou de Nubie (1), de Samori Touré ou de la reine N'Zinga vaillants résistants à l'envahissement colonial du continent ? Y a t-il une seule avenue Frantz Fanon ? Qu'on me le dise ! J'ai hâte de le savoir.
Ce que je sais par contre, c'est qu'il existe des places De Gaulle, des rues Faidherbe, un boulevard Valery Giscard d'Estaing et même un pont Félix Eboué alors que ce dernier ne fut pour moi qu'un nègre assimilé acquis à la cause coloniale de la France pendant que d'autres nègres de son époque, à l'image de Marcus Garvey, payaient eux de leur vie et souffrance, la liberté totale et sans condition dont ils rêvaient pour l'Afrique et pour laquelle ils se sont battus toute leur vie durant.
A travers ce témoignage, nous avons voulu insister une fois encore sur le nécessaire rôle formateur de l'histoire dans le processus d'édification d'une conscience nationale et patriote. L'Afrique doit initier ses enfants à sa propre histoire et selon sa propre version. Qu'elle leur en serve à satiété et peuple leur subconscient de ses propres héros et héroïnes ! Sinon, que nul ne vienne crier au scandale lorsque ces derniers, une fois adultes, lui tournent le dos et lorgnent sur des nations qui ne sont pas les leurs et jamais ne le seront totalement.
Note : Cet article était la note introductrice d'un article sur Théophile Obenga, égyptologue Congolais, proposé par le magazine Afrobiz et réalisé par Amobe Mevegue.
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