Ces derniers jours, l’actualité africaine était sénégalaise. L’attention de tout le monde a été focalisée sur l’affaire Hissène Habré. La justice sénégalaise s’est finalement déclarée incompétente ; pour ne pas trancher l’épineuse question de l’extradition ou de la non-extradition de l’ancien président tchadien. Ahmadou Ahidjo, qui a lui aussi passé ses années d’exil à Dakar, ne connaîtra pas les émotions liées au supplice que vient d’endurer Hissène Habré. Car, il avait quitté ce monde le 30 novembre 1989 dans l’après-midi. Des suites d’une crise cardiaque, à Dakar où il a été inhumé. Dans le silence et l’indifférence des autorités camerounaises. Mais, dans la dignité. Avec l’affection de sa famille et de quelques rares amis dont Emile Derlin Zinzou, ancien président du Dahomey (actuel Bénin). Dans l’oraison funèbre prononcée par ce dernier, certaines phrases ont valeur de testament :
”Ahidjo mon ami, mon frère, voici notre dernier rendez-vous, du moins en ce monde, puisque nous sommes croyants. (…) Heureux ceux qui meurent en laissant des traces, un sillon. Les sillons que tu as creusés attesteront longtemps encore aux yeux des générations qui se succèdent, ce que tu fus que nul n’oserait contester : le bâtisseur, le père du Cameroun moderne. A la vérité, tu n’eus qu’une seule et grande passion : le Cameroun.
Comme nous, tu as pu te tromper, commettre des erreurs et peut-être même des fautes. (…) Ce dont nous sommes assurés, c’est que dans la balance, le bien, les succès, les réussites l’emportent très largement (…) sur les erreurs (…) Nul ne pourra t’interdire d’Histoire et empêcher que celle-ci sereine et impartiale, dise que tu fus de ta patrie et de l’Afrique un grand et digne fils (…) Et le destin n’est point oublieux qui t’a ramené mourir en Afrique et ici (à Dakar). Pour l’authentique Africain que tu étais, c’est une grande consolation (…)”, avait déclaré Emile Derlin Zinzou le jour des obsèques. Ce large extrait de l’oraison funèbre est dense et plein d’enseignements.
Terre de la Téranga.
L’hospitalité sénégalaise, qui trouve toute sa signification dans la notion de la “téranga”, fait du pays de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf une véritable terre d’asile. Aussi bien pour des Africains ordinaires que pour d’anciens chefs d’Etat en difficulté dans leurs pays respectifs. Ce n’est pas par hasard que deux anciens présidents de la République en exil (Ahmadou Ahidjo et notamment Hissène Habré) ont choisi d’y vivre après leur départ du pouvoir.
Le problème aujourd’hui est le même que l’on pose depuis plusieurs années. Celui de savoir si les restes du premier président de la République du Cameroun retourneront au bercail. L’ancien président sénégalais et actuel secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) était, du 13 au 15 octobre, en visite officielle au Cameroun. Abdou Diouf, on s’en souvient, a été reçu en audience par Paul Biya. Même si, officiellement, les deux personnalités ont discuté des questions se rapportant à la coopération multiforme entre le Cameroun et la Francophonie, d’aucuns pensent que le sujet de la dépouille dite encombrante d’Ahidjo a pu être abordé. Abdou Diouf ayant d’ailleurs été la première personne à informer Paul Biya du décès de son illustre prédécesseur en 1989. Abdou Diouf était à la tête de l’Etat sénégalais (1981-2000) pendant les années d’exil (1983-1989) d’Ahmadou Ahidjo. C’est donc un interlocuteur privilégié. Un homme que l’on dit capable de briser le mur d’incompréhension entre Paul Biya et la famille du défunt président Ahidjo. C’est Abdou Diouf qui avait présidé les cérémonies d’inhumation de feu président Ahidjo.
En dehors de la réhabilitation, dans le cadre du processus de démocratisation en décembre 1991, d’Ahmadou Ahidjo en même temps que Ruben Um Nyobe, Félix Roland Moumié et Ernest Ouandié, le gouvernement camerounais va-t-il engager une autre phase significative de reconnaissance de ces figures historiques ? Y a-t-il un signal fort ce 30 novembre 2005 à l’endroit de la famille d’Ahmadou Ahidjo et des Camerounais ? On ne perd rien à attendre le dernier mot du ”successeur constitutionnel” d’Ahmadou Ahidjo. Surtout s’il parvient à oublier, à pardonner, à se réconcilier avec celui qui l’a fait roi. Des sources bien informées indiquent que le transfert du corps est matériellement possible. Il ne resterait qu’à l’inscrire dans le programme des grandes ambitions ! Une véritable gageure !
Source : La Nouvelle Expression
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